Craignant un effet de contagion depuis l’avènement d’un pouvoir islamiste en Syrie, le régime monarchique de Jordanie tente, dans la panique, de juguler une poussée des Frères musulmans qui devient de plus en plus inquiétante.
D’abord, il annonce, dès le 23 avril, la dissolution de ce mouvement, représentée au Parlement par le Front de l’action islamique, Il enchaîne, le 14 mai, par l’interdiction d’accès à 12 sites d’information jugés hostiles à la politique de la monarchie ou proches des thèses des islamistes. Le quotidien gouvernemental Addustour reprend à son compte toutes les tares qui leur sont collées.
L’alibi islamiste
L’annonce a été faite par une Commission de médias, organe gouvernemental chargée de la régulation, euphémisme en vogue dans les pays de la région pour désigner simplement la censure. Parmi ces sites, on trouve des plateformes et des journaux en ligne internationaux, tels que le très influent Middle East Eye, des médias pro-qataris, à l’image d’Arabi21, réputé pour sa ligne anti-normalisation, le site libanais indépendant Raseef22, pourtant d’obédience laïque, et des médias locaux suspectée de connexion avec la mouvance islamiste, comme Sawt Al-Urdun.
Le gouvernement jordanien justifie cette décision par un souci de préserver «la sécurité nationale» ou encore «les symboles nationaux», un rhétorique usitée par les régimes autoritaires pour tenter de faire passer des mesures de répression. Ces sites sont accusés de distiller de «l’intoxication médiatique» et d’attenter à « la cohésion stabilité politique et sociale du pays».
Une judiciarisation outrancière des affaires de presse
Ce n’est pas la première fois que les autorités jordaniennes bloquent des sites internet. Entre 2013 et 2014, des dizaines de sites d’information locaux avaient été fermées, sous prétexte qu’ils n’étaient pas conformes aux dispositions d’une nouvelle loi votée en 2012 par une majorité pro-gouvernementale. Ce qui a poussé certains médias, comme 7iber, une plateforme interactive basée à Amman, soupçonnée de recevoir des financements étrangers, à changer d’adresse internet pour poursuivre leurs activités.
Cette politique de restriction s’est renforcée avec l’adoption, en septembre 2023, d’une nouvelle loi sur la cybercriminalité, dénoncée en son temps par Reporters sans Frontières (RSF). Ce texte prévoit des peines pouvant aller jusqu’à trois ans de prison pour des délits de presse comprenant notamment la diffusion de «fausses informations», un concept qui est sujet à moult interprétations. Quatre journalistes ont été arrêtés en 2024 sur la base de cette loi.
Cette judiciarisation excessive des affaires de presse a fait chuter la Jordanie dans le classement mondial de la liberté de la presse, de la 132e à la 147e place en 2025, selon un rapport de RSF. De nombreux journalistes jordaniens ‑qui ne sont pas tous des sympathisants des Frères musulmans- ont manifesté leur indignation des nouvelles mesures répressives visant la liberté de la presse, tout en mettant en garde contre une dérive contre-productive.
Des mesures contre-productives
Le journaliste Hossam Gharaibeh, patron d’une radio locale indépendante, Husna Radio, dénonce cette censure inédite, et la juge «irréaliste» et, somme toute «inefficace». Il rappelle que le blocage, tel que celui qui vient de frapper 12 médias, ne peut empêcher l’accès aux sites, du fait que les internautes disposent de multiples moyens pour contourner la censure. Le recours au VPN pour consulter des sites proscrits est monnaie courante dans de nombreux pays de la région.
Le journaliste défend l’idée selon laquelle « l’information est contrée par l’information» et que la désinformation «doit être réfutée par les faits, non censurés». Pour lui, l’interdiction de ces médias «nuit en premier lieu à la confiance entre l’État et la population».
La majorité des pays arabes sont exposées à cette forme de censure. Incapables de produire ou de véhiculer une information crédible, de plus en plus de gouvernements y ont recours, prenant le risque de s’aliéner une opinion publique avide de transparence. Hossam Gharaibeh appelle le gouvernement de son pays à engager un dialogue ouvert avec les journalistes, «pour construire un récit médiatique jordanien professionnel et pluraliste», au lieu de les exclure.
Mussa A.
Photo : mehaniq41 (Adobe Stock/#307650534)
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