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La Jordanie interdit 12 sites : quand la censure n’a plus d’impact

1 juin 2025

Temps de lecture : 4 minutes
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La Jordanie interdit 12 sites : quand la censure n’a plus d’impact

Temps de lecture : 4 minutes

Craig­nant un effet de con­ta­gion depuis l’avènement d’un pou­voir islamiste en Syrie, le régime monar­chique de Jor­danie tente, dans la panique, de juguler une poussée des Frères musul­mans qui devient de plus en plus inquiétante.

D’abord, il annonce, dès le 23 avril, la dis­so­lu­tion de ce mou­ve­ment, représen­tée au Par­lement par le Front de l’action islamique, Il enchaîne, le 14 mai, par l’interdiction d’accès à 12 sites d’information jugés hos­tiles à la poli­tique de la monar­chie ou proches des thès­es des islamistes. Le quo­ti­di­en gou­verne­men­tal Addus­tour reprend à son compte toutes les tares qui leur sont collées.

L’alibi islamiste

L’annonce a été faite par une Com­mis­sion de médias, organe gou­verne­men­tal chargée de la régu­la­tion, euphémisme en vogue dans les pays de la région pour désign­er sim­ple­ment la cen­sure. Par­mi ces sites, on trou­ve des plate­formes et des jour­naux en ligne inter­na­tionaux, tels que le très influ­ent Mid­dle East Eye, des médias pro-qataris, à l’image d’Arabi21, réputé pour sa ligne anti-nor­mal­i­sa­tion, le site libanais indépen­dant Raseef22, pour­tant d’obédience laïque, et des médias locaux sus­pec­tée de con­nex­ion avec la mou­vance islamiste, comme Sawt Al-Urdun.

Le gou­verne­ment jor­danien jus­ti­fie cette déci­sion par un souci de préserv­er «la sécu­rité nationale» ou encore «les sym­bol­es nationaux», un rhé­torique usitée par les régimes autori­taires pour ten­ter de faire pass­er des mesures de répres­sion. Ces sites sont accusés de dis­tiller de «l’intoxication médi­a­tique» et d’attenter à « la cohé­sion sta­bil­ité poli­tique et sociale du pays». 

Une judiciarisation outrancière des affaires de presse

Ce n’est pas la pre­mière fois que les autorités jor­dani­ennes blo­quent des sites inter­net. Entre 2013 et 2014, des dizaines de sites d’information locaux avaient été fer­mées, sous pré­texte qu’ils n’étaient pas con­formes aux dis­po­si­tions d’une nou­velle loi votée en 2012 par une majorité pro-gou­verne­men­tale. Ce qui a poussé cer­tains médias, comme 7iber, une plate­forme inter­ac­tive basée à Amman, soupçon­née de recevoir des finance­ments étrangers, à chang­er d’adresse inter­net pour pour­suiv­re leurs activités.

Cette poli­tique de restric­tion s’est ren­for­cée avec l’adoption, en sep­tem­bre 2023, d’une nou­velle loi sur la cyber­crim­i­nal­ité, dénon­cée en son temps par Reporters sans Fron­tières (RSF). Ce texte prévoit des peines pou­vant aller jusqu’à trois ans de prison pour des dél­its de presse com­prenant notam­ment la dif­fu­sion de «fauss­es infor­ma­tions», un con­cept qui est sujet à moult inter­pré­ta­tions. Qua­tre jour­nal­istes ont été arrêtés en 2024 sur la base de cette loi.

Cette judi­cia­ri­sa­tion exces­sive des affaires de presse a fait chuter la Jor­danie dans le classe­ment mon­di­al de la lib­erté de la presse, de la 132e à la 147e place en 2025, selon un rap­port de RSF. De nom­breux jour­nal­istes jor­daniens ‑qui ne sont pas tous des sym­pa­thisants des Frères musul­mans- ont man­i­festé leur indig­na­tion des nou­velles mesures répres­sives visant la lib­erté de la presse, tout en met­tant en garde con­tre une dérive contre-productive.

Des mesures contre-productives

Le jour­nal­iste Hos­sam Gharaibeh, patron d’une radio locale indépen­dante, Hus­na Radio, dénonce cette cen­sure inédite, et la juge «irréal­iste» et, somme toute «inef­fi­cace». Il rap­pelle que le blocage, tel que celui qui vient de frap­per 12 médias, ne peut empêch­er l’accès aux sites, du fait que les inter­nautes dis­posent de mul­ti­ples moyens pour con­tourn­er la cen­sure. Le recours au VPN pour con­sul­ter des sites pro­scrits est mon­naie courante dans de nom­breux pays de la région.

Le jour­nal­iste défend l’idée selon laque­lle « l’information est con­trée par l’information» et que la dés­in­for­ma­tion «doit être réfutée par les faits, non cen­surés». Pour lui, l’interdiction de ces médias «nuit en pre­mier lieu à la con­fi­ance entre l’État et la population».

La majorité des pays arabes sont exposées à cette forme de cen­sure. Inca­pables de pro­duire ou de véhiculer une infor­ma­tion crédi­ble, de plus en plus de gou­verne­ments y ont recours, prenant le risque de s’aliéner une opin­ion publique avide de trans­parence. Hos­sam Gharaibeh appelle le gou­verne­ment de son pays à engager un dia­logue ouvert avec les jour­nal­istes, «pour con­stru­ire un réc­it médi­a­tique jor­danien pro­fes­sion­nel et plu­ral­iste», au lieu de les exclure.

Mus­sa A.

Pho­to : mehaniq41 (Adobe Stock/#307650534)

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