C’est la faute aux « médias ultraconservateurs au service de l’extrême droite » assure le correspondant en Pologne du Monde, un journal qui semble mal accepter qu’il puisse exister des opinions à droite du centre.
Le Monde qui, au lendemain de la victoire du conservateur Karol Nawrocki contre le libéral Rafał Trzaskowski au deuxième tour de l’élection présidentielle polonaise du 1er juin, titrait sur « un coup de tonnerre dans le ciel européen » tandis que Le Figaro parlait, en titre d’un article rédigé par son correspondant à Bruxelles, d’un « coup de semonce pour l’Europe » avec « la victoire du pro-Trump Nawrocki en Pologne ». Libération, de son côté, alertait ses lecteurs avec un titre sur « le risque de replonger dans l’illibéralisme » avec « la victoire du nationaliste Karol Nawrocki ». Le journal La Croix y consacrait son éditorial du 2 juin, rédigé par le rédacteur en chef en personne, sous le titre : « La victoire du candidat souverainiste en Pologne accentue les divisions européennes ».
La Croix lance la croisade
« Quinze jours après une autre élection présidentielle, en Roumanie, qui s’est soldée cette fois par la défaite du candidat nationaliste, le scrutin polonais montre la vigueur du souverainisme à travers tout le continent. Cette famille politique se présente en opposition frontale avec la pensée sociale-libérale et fondée sur l’État de droit qui a forgé les institutions européennes », écrivait Jean-Christophe Ploquin, le rédacteur en chef de La Croix dans cet éditorial. Fondée sur l’État de droit ? Vraiment ? On peut avoir quelques doutes à la lecture des informations relayées, entre autres sources, par l’Observatoire du Journalisme, comme par exemple :
- Le putsch de Donald Tusk sur les médias publics polonais, nouvelle manifestation de la dérive autoritaire de l’extrême-centre libéral (3/04/2024)
- Le premier ministre pro-UE polonais Donald Tusk bannit les médias d’opposition (7/10/2024)
- Les médias polonais aux prises avec la « démocratie militante » de l’Européen Donald Tusk (24/11/2024)
Mais ces médias polonais réprimés par Donald Tusk sont des médias « d’extrême droite », nous explique justement le correspondant du Monde dans l’éclairage intitulé « En Pologne, une galaxie de médias ultraconservateurs au service de l’extrême droite », déjà cité plus haut.
Un droit à l’existence dénié pour les conservateurs ?
Curieusement, ce correspondant, Jakub Iwaniuk, nous explique que les Polonais votent à 80 % à droite. Oui, le candidat libéral, partisan de l’IVG (interdite en Pologne et contraire à la Constitution et à une jurisprudence du Tribunal constitutionnel polonais constante en la matière depuis trois 3 décennies), du « mariage gay », d’une éducation sexuelle à l’école conforme à l’idéologie du genre, de l’accueil des migrants, de l’abandon de la souveraineté nationale au profit de l’Union européenne, du Pacte vert européen, de l’interdiction des croix et images religieuses sur les bureaux des fonctionnaires de la capitale polonaise dont il est le maire, ce candidat qui est de toutes les « marches des fiertés » (encore appelées « marches de l’égalité » en Pologne), serait, selon le correspondant du Monde, un candidat de droite. L’on comprend ainsi mieux la rhétorique du journal, qui sent un peu le stalinisme d’une autre époque, sur l’extrême droite « réactionnaire » englobant tout ce qui est à droite de la seule droite tolérable : celle de Trzaskowski et Tusk.
La Pologne bénéficie encore d’un pluralisme dans les médias
Iwaniuk ajoute « Autant dire que, dans un tel contexte, l’offre de médias réactionnaires est grande », nous explique donc ce correspondant, car en effet, la Pologne, malgré les efforts du gouvernement de Donald Tusk, bénéficie encore d’un pluralisme médiatique bien supérieur à la France, avec des médias conservateurs bien implantés qui font concurrence aux médias libéraux et de gauche. Cela comprend notamment la première chaîne d’information du pays, TV Republika, qui a connu une explosion de ses parts d’audience depuis le putsch de Donald Tusk sur les médias publics et à laquelle ce dernier voudrait maintenant supprimer la concession sur la TNT.
Libération déploration
« On avait dit, chez les plus enthousiastes des europhiles, que la Pologne était devenue une sorte de laboratoire du contre-populisme, celui du triomphe par les urnes des démocrates contre les autocrates de droite. Que le succès électoral d’octobre 2023 de la coalition libérale de Donald Tusk, lors du scrutin législatif, tournait pour de bon la page «illibérale», l’éloignant des auspices du voisin hongrois Viktor Orbán. Or la victoire du nationaliste Karol Nawrocki, issu du parti Droit et Justice (PiS), à l’élection présidentielle, d’après les résultats officiels annoncés ce lundi 2 juin, vient faire voler en éclats cet idéal », écrivait le correspondant à Varsovie de Libération, Patrice Sénécal, le 2 juin. Et il résumait ainsi toutes les frustrations de la gauche : « Il sera d’autant plus ardu pour la coalition gouvernementale de mettre en place les promesses tant attendues, après avoir défait le règne du PiS, de 2015 à 2023. Le rétablissement de l’État de droit, la libéralisation du droit à l’avortement, l’introduction de partenariats civils pour les couples de même sexe, entre autres réformes, n’ont toujours pas vu le jour, notamment en raison du blocage du président sortant, Andrzej Duda, lui aussi proche du PiS. »
Mais il n’existe plus en France de quotidien « d’extrême droite » depuis la disparition du journal Présent en 2022, et, tous les journaux quotidiens nationaux français offrent désormais une lecture similaire des événements, ce qui évitera peut-être de voir un jour le même « coup de semonce » arriver chez nous, ou ce qui en retarde en tout cas efficacement l’avènement.
Le Figaro proche de la même ligne
Et c’est pourquoi Le Figaro nous offre un éclairage qui va dans le même sens que ceux du Monde, de Libération et de La Croix : « La victoire sur le fil de Karol Nawrocki à la présidentielle polonaise, dimanche, est un peu aussi celle de Donald Trump. Pour la première fois, le camp Maga (« Make America Great Again ») peut revendiquer un succès dans son offensive pour peser sur des élections en Europe. Après le soutien à bras-le-corps d’Elon Musk à l’AfD (Alternative fur Deutschland) aux législatives allemandes de février, l’appui au nationaliste George Simion, défait in extremis à la présidentielle en Roumanie le mois dernier, l’Administration républicaine américaine peut, cette fois, se féliciter du résultat du vote de l’électorat polonais, plus que jamais polarisé à l’issue de ce scrutin. »
Dans un autre article, Le Figaro se demande : « Victoire de Nawrocki : la France, qui vient de signer un traité de sécurité avec la Pologne, doit-elle s’inquiéter ? » Il s’agit en fait d’une tribune d’un ancien ambassadeur de France à Varsovie, Patrick Gautrat, qui s’inquiète : « Après l’élection présidentielle du 1er juin, la «nation de l’Aigle blanc» semble devoir connaître à nouveau turbulences et infortunes. » Et Gautrat d’expliquer : « depuis plusieurs mois, Rafal Trzaskowski semblait marquer le pas, n’évoquant pas assez tous les dommages que les huit années du gouvernement PiS avaient infligés au pays et ne se référant que rarement à des questions cruciales comme le droit à l’avortement, le PACS ou la consolidation de l’État de droit. »
Le faux État de droit
Encore ce fameux État de droit ! Pourtant, des associations de juristes, de procureurs et de juges alarment depuis plusieurs mois : cette « démocratie combative » à laquelle se réfère Donald Tusk lui-même pour justifier ses violations de l’État de droit en l’absence d’une majorité parlementaire suffisante pour renverser le veto présidentiel, s’apparente à un véritable « coup d’État » (c’est le mot désormais employé par le président du Tribunal constitutionnel polonais lui-même) des libéraux pour rendre impossible tout retour au pouvoir de la droite dite « populiste ». Notons aussi au passage que, contrairement à ce que prétend Sénécal, le gouvernement de Donald Tusk a échoué à faire voter par le parlement une loi légalisant l’IVG et le président Duda n’a ainsi même pas eu à y opposer son veto, ce qu’il avait certes promis de faire. En outre, n’en déplaise aux médias français, aux deux tours de l’élection présidentielle qui a débouché la victoire de Karol Nawrocki, qui succédera ainsi à Andrzej Duda le 6 août prochain, les électeurs polonais ont majoritairement voté pour des candidats hostile à toute libéralisation de l’avortement, et c’est particulièrement vrai pour les électeurs les plus jeunes. Sans doute à cause de la « galaxie de médias ultraconservateurs au service de l’extrême droite », nous expliquera Le Monde.
Patrick Regalski