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Élections en Pologne, panique dans les médias

14 juin 2025

Temps de lecture : 7 minutes
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Élections en Pologne, panique dans les médias

Temps de lecture : 7 minutes

C’est la faute aux « médias ultraconservateurs au service de l’extrême droite » assure le correspondant en Pologne du Monde, un journal qui semble mal accepter qu’il puisse exister des opinions à droite du centre.

Le Monde qui, au lende­main de la vic­toire du con­ser­va­teur Karol Nawroc­ki con­tre le libéral Rafał Trza­skows­ki au deux­ième tour de l’élection prési­den­tielle polon­aise du 1er juin, titrait sur « un coup de ton­nerre dans le ciel européen » tan­dis que Le Figaro par­lait, en titre d’un arti­cle rédigé par son cor­re­spon­dant à Brux­elles, d’un « coup de semonce pour l’Europe » avec « la vic­toire du pro-Trump Nawroc­ki en Pologne ». Libéra­tion, de son côté, aler­tait ses lecteurs avec un titre sur « le risque de rep­longer dans l’illibéralisme » avec « la vic­toire du nation­al­iste Karol Nawroc­ki ». Le jour­nal La Croix y con­sacrait son édi­to­r­i­al du 2 juin, rédigé par le rédac­teur en chef en per­son­ne, sous le titre : « La vic­toire du can­di­dat sou­verain­iste en Pologne accentue les divi­sions européennes ».

La Croix lance la croisade

« Quinze jours après une autre élec­tion prési­den­tielle, en Roumanie, qui s’est sol­dée cette fois par la défaite du can­di­dat nation­al­iste, le scrutin polon­ais mon­tre la vigueur du sou­verain­isme à tra­vers tout le con­ti­nent. Cette famille poli­tique se présente en oppo­si­tion frontale avec la pen­sée sociale-libérale et fondée sur l’État de droit qui a forgé les insti­tu­tions européennes », écrivait Jean-Christophe Plo­quin, le rédac­teur en chef de La Croix dans cet édi­to­r­i­al. Fondée sur l’État de droit ? Vrai­ment ? On peut avoir quelques doutes à la lec­ture des infor­ma­tions relayées, entre autres sources, par l’Observatoire du Jour­nal­isme, comme par exemple :

Mais ces médias polon­ais réprimés par Don­ald Tusk sont des médias « d’extrême droite », nous explique juste­ment le cor­re­spon­dant du Monde dans l’éclairage inti­t­ulé « En Pologne, une galax­ie de médias ultra­con­ser­va­teurs au ser­vice de l’extrême droite », déjà cité plus haut.

Un droit à l’existence dénié pour les conservateurs ?

Curieuse­ment, ce cor­re­spon­dant, Jakub Iwa­niuk, nous explique que les Polon­ais votent à 80 % à droite. Oui, le can­di­dat libéral, par­ti­san de l’IVG (inter­dite en Pologne et con­traire à la Con­sti­tu­tion et à une jurispru­dence du Tri­bunal con­sti­tu­tion­nel polon­ais con­stante en la matière depuis trois 3 décen­nies), du « mariage gay », d’une édu­ca­tion sex­uelle à l’école con­forme à l’idéologie du genre, de l’accueil des migrants, de l’abandon de la sou­veraineté nationale au prof­it de l’Union européenne, du Pacte vert européen, de l’interdiction des croix et images religieuses sur les bureaux des fonc­tion­naires de la cap­i­tale polon­aise dont il est le maire, ce can­di­dat qui est de toutes les « march­es des fiertés » (encore appelées « march­es de l’égalité » en Pologne), serait, selon le cor­re­spon­dant du Monde, un can­di­dat de droite. L’on com­prend ain­si mieux la rhé­torique du jour­nal, qui sent un peu le stal­in­isme d’une autre époque, sur l’extrême droite « réac­tion­naire » englobant tout ce qui est à droite de la seule droite tolérable : celle de Trza­skows­ki et Tusk.

La Pologne bénéficie encore d’un pluralisme dans les médias

Iwa­niuk ajoute « Autant dire que, dans un tel con­texte, l’offre de médias réac­tion­naires est grande », nous explique donc ce cor­re­spon­dant, car en effet, la Pologne, mal­gré les efforts du gou­verne­ment de Don­ald Tusk, béné­fi­cie encore d’un plu­ral­isme médi­a­tique bien supérieur à la France, avec des médias con­ser­va­teurs bien implan­tés qui font con­cur­rence aux médias libéraux et de gauche. Cela com­prend notam­ment la pre­mière chaîne d’information du pays, TV Repub­li­ka, qui a con­nu une explo­sion de ses parts d’audience depuis le putsch de Don­ald Tusk sur les médias publics et à laque­lle ce dernier voudrait main­tenant sup­primer la con­ces­sion sur la TNT.

Libération déploration

« On avait dit, chez les plus ent­hou­si­astes des europhiles, que la Pologne était dev­enue une sorte de lab­o­ra­toire du con­tre-pop­ulisme, celui du tri­om­phe par les urnes des démoc­rates con­tre les auto­crates de droite. Que le suc­cès élec­toral d’octobre 2023 de la coali­tion libérale de Don­ald Tusk, lors du scrutin lég­is­latif, tour­nait pour de bon la page «illibérale», l’éloignant des aus­pices du voisin hon­grois Vik­tor Orbán. Or la vic­toire du nation­al­iste Karol Nawroc­ki, issu du par­ti Droit et Jus­tice (PiS), à l’élection prési­den­tielle, d’après les résul­tats offi­ciels annon­cés ce lun­di 2 juin, vient faire vol­er en éclats cet idéal », écrivait le cor­re­spon­dant à Varso­vie de Libéra­tion, Patrice Séné­cal, le 2 juin. Et il résumait ain­si toutes les frus­tra­tions de la gauche : « Il sera d’autant plus ardu pour la coali­tion gou­verne­men­tale de met­tre en place les promess­es tant atten­dues, après avoir défait le règne du PiS, de 2015 à 2023. Le rétab­lisse­ment de l’État de droit, la libéral­i­sa­tion du droit à l’avortement, l’introduction de parte­nar­i­ats civils pour les cou­ples de même sexe, entre autres réformes, n’ont tou­jours pas vu le jour, notam­ment en rai­son du blocage du prési­dent sor­tant, Andrzej Duda, lui aus­si proche du PiS. »

Mais il n’existe plus en France de quo­ti­di­en « d’extrême droite » depuis la dis­pari­tion du jour­nal Présent en 2022, et, tous les jour­naux quo­ti­di­ens nationaux français offrent désor­mais une lec­ture sim­i­laire des événe­ments, ce qui évit­era peut-être de voir un jour le même « coup de semonce » arriv­er chez nous, ou ce qui en retarde en tout cas effi­cace­ment l’avènement.

Le Figaro proche de la même ligne

Et c’est pourquoi Le Figaro nous offre un éclairage qui va dans le même sens que ceux du Monde, de Libéra­tion et de La Croix : « La vic­toire sur le fil de Karol Nawroc­ki à la prési­den­tielle polon­aise, dimanche, est un peu aus­si celle de Don­ald Trump. Pour la pre­mière fois, le camp Maga (« Make Amer­i­ca Great Again ») peut revendi­quer un suc­cès dans son offen­sive pour peser sur des élec­tions en Europe. Après le sou­tien à bras-le-corps d’Elon Musk à l’AfD (Alter­na­tive fur Deutsch­land) aux lég­isla­tives alle­man­des de févri­er, l’appui au nation­al­iste George Simion, défait in extrem­is à la prési­den­tielle en Roumanie le mois dernier, l’Administration répub­li­caine améri­caine peut, cette fois, se féliciter du résul­tat du vote de l’électorat polon­ais, plus que jamais polar­isé à l’issue de ce scrutin. »

Dans un autre arti­cle, Le Figaro se demande : « Vic­toire de Nawroc­ki : la France, qui vient de sign­er un traité de sécu­rité avec la Pologne, doit-elle s’inquiéter ? » Il s’agit en fait d’une tri­bune d’un ancien ambas­sadeur de France à Varso­vie, Patrick Gau­trat, qui s’inquiète : « Après l’élection prési­den­tielle du 1er juin, la «nation de l’Aigle blanc» sem­ble devoir con­naître à nou­veau tur­bu­lences et infor­tunes. » Et Gau­trat d’expliquer : « depuis plusieurs mois, Rafal Trza­skows­ki sem­blait mar­quer le pas, n’évoquant pas assez tous les dom­mages que les huit années du gou­verne­ment PiS avaient infligés au pays et ne se référant que rarement à des ques­tions cru­ciales comme le droit à l’avortement, le PACS ou la con­sol­i­da­tion de l’État de droit. »

Le faux État de droit

Encore ce fameux État de droit ! Pour­tant, des asso­ci­a­tions de juristes, de pro­cureurs et de juges alar­ment depuis plusieurs mois : cette « démoc­ra­tie com­bat­ive » à laque­lle se réfère Don­ald Tusk lui-même pour jus­ti­fi­er ses vio­la­tions de l’État de droit en l’absence d’une majorité par­lemen­taire suff­isante pour ren­vers­er le veto prési­den­tiel, s’apparente à un véri­ta­ble « coup d’État » (c’est le mot désor­mais employé par le prési­dent du Tri­bunal con­sti­tu­tion­nel polon­ais lui-même) des libéraux pour ren­dre impos­si­ble tout retour au pou­voir de la droite dite « pop­uliste ». Notons aus­si au pas­sage que, con­traire­ment à ce que pré­tend Séné­cal, le gou­verne­ment de Don­ald Tusk a échoué à faire vot­er par le par­lement une loi légal­isant l’IVG et le prési­dent Duda n’a ain­si même pas eu à y oppos­er son veto, ce qu’il avait certes promis de faire. En out­re, n’en déplaise aux médias français, aux deux tours de l’élection prési­den­tielle qui a débouché la vic­toire de Karol Nawroc­ki, qui suc­cédera ain­si à Andrzej Duda le 6 août prochain, les électeurs polon­ais ont majori­taire­ment voté pour des can­di­dats hos­tile à toute libéral­i­sa­tion de l’avortement, et c’est par­ti­c­ulière­ment vrai pour les électeurs les plus jeunes. Sans doute à cause de la « galax­ie de médias ultra­con­ser­va­teurs au ser­vice de l’extrême droite », nous expli­quera Le Monde.

Patrick Regal­s­ki

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