L’élection présidentielle polonaise s’est déroulée cette année sous les projecteurs des médias internationaux.
L’une des raisons est que l’on craignait une répétition du scénario roumain, c’est-à-dire l’annulation de l’élection en cas de victoire du candidat de la droite qualifiée de « populiste » par la gauche libérale et les élites bruxelloises.
L’inquiétude était réelle en Pologne-même chez les commentateurs conservateurs ou souverainistes, mais aussi dans ces mêmes milieux ailleurs en Europe. Mentionnons au passage que le gouvernement de Donald Tusk refusait depuis l’automne dernier de verser au parti Droit et Justice – le plus gros parti d’opposition, qui soutenait le candidat conservateur Karol Nawrocki (un historien jusqu’ici président de l’Institut de la Mémoire nationale, qui n’est membre d’aucun parti) – la subvention qui lui était due au titre du financement des partis politique par l’État. Ceci malgré une injonction de la Cour suprême polonaise, ce qui permet aujourd’hui d’affirmer que si les élections présidentielles polonaises ont été libres, elles ne se sont pas déroulées dans des conditions loyales. Finalement, Karol Nawrocki l’a emporté d’une courte tête malgré tout grâce au soutien de tous les candidats de droite du premier tour, mais aussi grâce à l’impopularité grandissante du gouvernement de Donald Tusk et au radicalisme progressiste de son candidat Rafał Trzaskowski, en décalage par rapport à une société polonaise plus conservatrice que la société française et avec une large proportion de Catholiques pratiquants.
Or la crainte d’une répétition du scénario roumain s’était vue renforcée quelques jours avant le premier tour de l’élection qui s’est tenu le dimanche 18 mai. En effet, le 13 mai, l’autorité de surveillance de l’Internet NASK informait d’une tentative d’ingérence dans la campagne électorale et faisait un signalement à l’Agence de sécurité intérieure (ABW), c’est-à-dire au service polonais de contre-espionnage. Ainsi qu’on peut le lire dans un article publié le 14 mai sur le site de la chaîne public d’information en continu, TVP Info, qui est sous le contrôle direct du gouvernement de Donald Tusk depuis le putsch spectaculaire sur les médias publics de décembre 2023 :
Le Centre d’analyse de la désinformation NASK a identifié des publicités politiques sur Facebook qui pourraient être financées depuis l’étranger. Ces contenus ont été diffusés en Pologne », a déclaré le NASK sur la plateforme X. Il a souligné que les comptes publicitaires impliqués dans la campagne avaient dépensé plus que n’importe quel comité électoral au cours des sept derniers jours pour du contenu politique. Il a ajouté que ces actions visaient apparemment à soutenir l’un des candidats et à discréditer les autres. Selon le NASK, les campagnes menées par les comptes publicitaires concernaient en particulier Rafał Trzaskowski, Karol Nawrocki et Sławomir Mentzen. “L’analyse indique une possible provocation. Son objectif pouvait être de nuire au candidat prétendument soutenu par ce type de publicité et de déstabiliser la situation avant les élections présidentielles”, a expliqué la NASK. (…) “Les publicités politiques susceptibles d’avoir été payées de l’étranger et de présenter des caractéristiques de désinformation ont été bloquées par Meta après l’intervention du NASK”, a indiqué le NASK. Le NASK a appelé tous les utilisateurs d’Internet à être particulièrement vigilants et à lui signaler les publicités apparaissant sur les réseaux sociaux qui ne sont pas signées par les comités électoraux des candidats enregistrés. L’Agence de sécurité intérieure a été informée de l’affaire. Mercredi, (…) le vice-premier ministre et ministre du numérique Krzysztof Gawkowski a été interrogé sur la sécurité de l’élection présidentielle de dimanche. (…) M. Gawkowski a admis que des centaines de milliers de zlotys avaient été utilisés pour des publicités électorales qui auraient pu être financées depuis l’étranger. »
L’information du NASK a été relayée par les grands médias polonais, mais ceux de droite se sont étonnés du narratif assurant que ces publicités circulant sur Facebook cherchaient en réalité à affaiblir le candidat libéral Rafał Trzaskowski, alors que de toute évidence c’étaient les deux plus importants candidats de droite, Karol Nawrocki et Sławomir Mentzen (le candidat de la Confédération, qui regroupe les nationalistes chrétiens et les libertariens), qu’elles cherchaient à discréditer, tout en se présentant comme une simple campagne pour inciter les citoyens à aller voter, sans doute pour contourner la législation sur le financement des campagnes électorales.
Autre information diffusée par le NASK, que l’on peut lire dans cet article publié le 13 mai sur le site de veille médiatique Wirtualne Media :
« Le NASK révèle une opération de désinformation électorale dans le cadre du Parapluie électoral et en collaboration avec les services. “L’analyse a porté sur l’activité d’un réseau de plusieurs centaines de faux comptes sur le site X (anciennement Twitter), qui diffusaient de manière coordonnée des messages conformes à la ligne de propagande de la Fédération de Russie. Ces comptes étaient soigneusement préparés : ils utilisaient des supports visuels générés à l’aide d’outils d’intelligence artificielle, publiaient des contenus en phase avec les tendances actuelles et exploitaient les algorithmes de la plateforme pour toucher le plus large public possible », indique le NASK. Les messages portaient sur des sujets polarisant la société, tels que la sécurité, la politique étrangère, les migrations ou les questions économiques et sociales.” »
Le 14 mai, le candidat libéral Rafał Trzaskowski, qui est aussi le maire de Varsovie, déclarait à ce propos aux informations du soir sur la chaîne Polsat News :
« Il était évident dès le départ que les Russes interviendraient dans notre campagne. On a d’ailleurs pu constater que la propagande russe est devenue active dès que le Premier ministre Tusk, la chancelière allemande, le président français et le Premier ministre britannique se sont rendus à Kiev. La propagande russe a fonctionné à 200 % à ce moment-là, et elle va certainement être à l’œuvre pendant les élections présidentielles polonaises. »
Mais malheureusement pour Trzaskowski et ses soutiens, le lendemain le site Wirtualna Polska révélait les véritables auteurs de la campagne publicitaire sur Meta, que Meta a d’ailleurs nié avoir bloqué à la demande du NASK puisque cette campagne était en fait arrivée à son terme après avoir duré pendant toute la période programmée par ses auteurs.
Dans l’article « Nos révélations. Ingérence électorale, spots sans auteur et Akcja Demokracja » publié le 15 mai, le site révélait :
« Un employé et des bénévoles de la fondation Akcja Demokracja sont à l’origine de publicités politiques publiées sur l’internet pour promouvoir Rafał Trzaskowski et attaquer ses concurrents, selon des informations de Wirtualna Polska. Son président est un homme qui, il y a quelques semaines encore, était l’assistant d’un député de la Coalition civique. »
La Coalition civique (KO) est l’alliance de la Plateforme civique (PO) du premier ministre Donald Tusk, dont Rafał Trzaskowski est le vice-président, avec un autre petit parti libéral et les Verts.
L’article rédigé par deux journalistes de Wirtualna Polska révélait aux Polonais que les dirigeants d’Akcja Demokracja (Action Démocratie) reconnaissaient eux-mêmes avoir monté cette campagne sur Internet avec de l’argent étranger, que cette campagne était bien en faveur de Rafał Trzaskowski, que son financement dépassait les sommes dépensées par les comités de campagne des candidats sur la même période, et que :
« Il y a quelques jours, le président d’Akcja Demokracja, Jakub Kocjan, s’est entretenu avec le vice-premier ministre et ministre du numérique, Krzysztof Gawkowski, au sujet du bon déroulement des élections. Jusqu’à récemment, il était l’assistant d’un député de la KO et a reçu un prix du maire de Varsovie Rafał Trzaskowski en 2020. »
Du coup, le jour-même, le comité de campagne de Trzaskowski a dû émettre un communiqué pour assurer que ces spots avaient été émis sur Internet sans son accord. La désinformation du NASK, une institution contrôlée par le gouvernement, avait donc fait pschitt et s’était retournée contre le candidat du premier ministre Donald Tusk. Cette opération de désinformation est relevée dans le rapport des observateurs de l’OSCE sur cette élection présidentielle polonaise, qui remarque :
« L’action tardive, incohérente et non transparente dans l’affaire très médiatisée des publicités sur Facebook affichées par des tiers dont l’origine et les sources de financement n’ont pas été divulguées a suscité des inquiétudes quant à l’adéquation et la rapidité des réponses des institutions publiques, ce qui a pu ébranler la confiance du public dans les autorités concernées. (…) L’inadéquation de la législation relative aux campagnes menées par des tiers, en particulier en ligne, associée à l’absence de contrôle et de sanctions efficaces, a encore aggravé les lacunes existantes, limitant la capacité des électeurs à prendre des décisions en connaissance de cause. Plusieurs tiers, y compris des organisations de mobilisation des électeurs et d’observation des élections, ont fait campagne pour Rafał Trzaskowski, y compris en ligne, mais n’étaient pas tenus par la loi de divulguer l’origine de leurs revenus ou de leurs dépenses. Deux de ces campagnes en ligne pourraient faire l’objet d’une enquête pour suspicion de financement étranger. (…) Entre le 16 avril et le 14 mai, deux nouveaux profils Facebook ont dépensé un total combiné d’environ 500 000 zlotys (env. 120 000 euros, ndlr.) pour 136 publicités vidéo promouvant Rafal Trzaskowski et ciblant Karol Nawrocki et Slawomir Mentzen, ce qui a dépassé les dépenses engagées par les candidats eux-mêmes. »
L’on apprend dans ce rapport que la société qui gérait cette campagne depuis l’étranger était une société autrichienne, Estrados Digital GmbH, dont le principal actionnaire est une société américaine liée au Parti Démocrate, Higher Ground Labs.
Et puisqu’il est ici question d’une ingérence étrangère, force est de mentionner encore la campagne de dénigrement du candidat conservateur menée par le site Onet.pl, qui est la propriété du groupe germano-suisse Ringier Axel Springer (qui se partage avec Soros une grande partie des médias polonais), dont le président avait instruit en 2017 ses journalistes polonais, dans une lettre qui avait fuité et avait fait grand bruit, de soutenir dans leurs articles Donald Tusk et son parti. Or la plupart des supposées « révélations » divulguées pendant la campagne présidentielle polonaise sur le passé du candidat Karol Nawrocki, y compris des accusations de proxénétisme avancées entre les deux tours de l’élection et basées sur des sources anonymes, sont venues du site Onet. C’est ainsi qu’on pouvait y lire le 26 mai dernier :
« Onet a joint deux témoins qui confirment que lorsqu’il travaillait au Grand Hôtel de Sopot, Karol Nawrocki et un réseau d’autres agents de sécurité auraient organisé des prostituées pour des clients. Le web a immédiatement été inondé de commentaires. Cezary Tomczyk, vice-président de la Plateforme civique (et vice-ministre de la Défense, ndlr.), a écrit : “Soit Nawrocki saisit la justice en référé électoral, soit Nawrocki était un proxénète”. »
Le titre de l’article ne cachait même pas le but recherché :
« Karol Nawrocki et son passé. Le web est en ébullition après la publication de l’Onet. “Le clou dans le cercueil de la campagne”. »
Comme Cezary Tomczyk, le premier ministre Donald Tusk a appelé publiquement le candidat Karol Nawrocki à saisir la justice en référé électoral si les accusations de proxénétisme à son encontre sont mensongères.
La technique de manipulation utilisée par ce média allemand en Pologne et par les soutiens politiques du candidat libéral Rafał Trzaskowski a été décortiquée dans un tweet (affiché 300 000 fois) de l’avocat Bartosz Lewandowski (qui travaille avec l’Institut Ordo Iuris, un think-tank juridique conservateur, et qui défend, entre autres clients, le député du parti Droit et Justice (PiS) Marcin Romanowski auquel la Hongrie a accordé l’asile politique en décembre dernier face aux répressions politiques du gouvernement de Donald Tusk) :
« Monsieur le Ministre, il convient d’examiner le code électoral et la jurisprudence. Selon la jurisprudence dominante, les articles de presse ne constituent pas du “démarchage électoral” au sens du code électoral. Par conséquent, la procédure de référé électoral dans ce cas pourrait ne pas être applicable du tout. J’ai traité un certain nombre de cas dans le cadre de la procédure de référé électoral et les médias se défendent toujours de la même manière. En d’autres termes, la seule chose qui reste est un procès en diffamation de longue durée, parce que l’ouverture d’une procédure en référé électoral peut déboucher sur un échec pour des raisons formelles, et l’on fera alors croire au public que le candidat a perdu son procès. »
C’est d’ailleurs ce qu’a fait le candidat Nawrocki : il n’a pas introduit de référé mais a engagé des poursuites classiques en diffamation contre le média de Ringier Axel Springer pour cet article et plusieurs autres. Ainsi, cette campagne aura une nouvelle fois démontré à la droite polonaise la nécessité de repoloniser les médias et de contraindre les ONG à plus de transparence sur leurs financements étrangers afin d’éviter les ingérences étrangères dans les élections. Non pas les ingérences russes, même si elles existent aussi, mais les ingérences de la gauche libérale occidentale (y compris en Roumanie où la Macronie est elle aussi accusée d’ingérence dans les élections).
Patrick Regalski