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Des ingérences étrangères avérées pendant la présidentielle polonaise

24 juin 2025

Temps de lecture : 11 minutes
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Des ingérences étrangères avérées pendant la présidentielle polonaise

Temps de lecture : 11 minutes

L’élection présidentielle polonaise s’est déroulée cette année sous les projecteurs des médias internationaux.

L’une des raisons est que l’on craig­nait une répéti­tion du scé­nario roumain, c’est-à-dire l’annulation de l’élection en cas de vic­toire du can­di­dat de la droite qual­i­fiée de « pop­uliste » par la gauche libérale et les élites bruxelloises.

L’inquiétude était réelle en Pologne-même chez les com­men­ta­teurs con­ser­va­teurs ou sou­verain­istes, mais aus­si dans ces mêmes milieux ailleurs en Europe. Men­tion­nons au pas­sage que le gou­verne­ment de Don­ald Tusk refu­sait depuis l’automne dernier de vers­er au par­ti Droit et Jus­tice – le plus gros par­ti d’opposition, qui soute­nait le can­di­dat con­ser­va­teur Karol Nawroc­ki (un his­to­rien jusqu’ici prési­dent de l’Institut de la Mémoire nationale, qui n’est mem­bre d’aucun par­ti) – la sub­ven­tion qui lui était due au titre du finance­ment des par­tis poli­tique par l’État. Ceci mal­gré une injonc­tion de la Cour suprême polon­aise, ce qui per­met aujourd’hui d’affirmer que si les élec­tions prési­den­tielles polon­ais­es ont été libres, elles ne se sont pas déroulées dans des con­di­tions loyales. Finale­ment, Karol Nawroc­ki l’a emporté d’une courte tête mal­gré tout grâce au sou­tien de tous les can­di­dats de droite du pre­mier tour, mais aus­si grâce à l’impopularité gran­dis­sante du gou­verne­ment de Don­ald Tusk et au rad­i­cal­isme pro­gres­siste de son can­di­dat Rafał Trza­skows­ki, en décalage par rap­port à une société polon­aise plus con­ser­va­trice que la société française et avec une large pro­por­tion de Catholiques pratiquants.

Or la crainte d’une répéti­tion du scé­nario roumain s’était vue ren­for­cée quelques jours avant le pre­mier tour de l’élection qui s’est tenu le dimanche 18 mai. En effet, le 13 mai, l’autorité de sur­veil­lance de l’Internet NASK infor­mait d’une ten­ta­tive d’ingérence dans la cam­pagne élec­torale et fai­sait un sig­nale­ment à l’Agence de sécu­rité intérieure (ABW), c’est-à-dire au ser­vice polon­ais de con­tre-espi­onnage. Ain­si qu’on peut le lire dans un arti­cle pub­lié le 14 mai sur le site de la chaîne pub­lic d’information en con­tinu, TVP Info, qui est sous le con­trôle direct du gou­verne­ment de Don­ald Tusk depuis le putsch spec­tac­u­laire sur les médias publics de décem­bre 2023 :

Le Cen­tre d’analyse de la dés­in­for­ma­tion NASK a iden­ti­fié des pub­lic­ités poli­tiques sur Face­book qui pour­raient être financées depuis l’étranger. Ces con­tenus ont été dif­fusés en Pologne », a déclaré le NASK sur la plate­forme X. Il a souligné que les comptes pub­lic­i­taires impliqués dans la cam­pagne avaient dépen­sé plus que n’importe quel comité élec­toral au cours des sept derniers jours pour du con­tenu poli­tique. Il a ajouté que ces actions visaient apparem­ment à soutenir l’un des can­di­dats et à dis­créditer les autres. Selon le NASK, les cam­pagnes menées par les comptes pub­lic­i­taires con­cer­naient en par­ti­c­uli­er Rafał Trza­skows­ki, Karol Nawroc­ki et Sła­womir Mentzen. “L’analyse indique une pos­si­ble provo­ca­tion. Son objec­tif pou­vait être de nuire au can­di­dat pré­ten­du­ment soutenu par ce type de pub­lic­ité et de désta­bilis­er la sit­u­a­tion avant les élec­tions prési­den­tielles”, a expliqué la NASK. (…) “Les pub­lic­ités poli­tiques sus­cep­ti­bles d’avoir été payées de l’étranger et de présen­ter des car­ac­téris­tiques de dés­in­for­ma­tion ont été blo­quées par Meta après l’intervention du NASK”, a indiqué le NASK. Le NASK a appelé tous les util­isa­teurs d’Internet à être par­ti­c­ulière­ment vig­i­lants et à lui sig­naler les pub­lic­ités appa­rais­sant sur les réseaux soci­aux qui ne sont pas signées par les comités élec­toraux des can­di­dats enreg­istrés. L’Agence de sécu­rité intérieure a été infor­mée de l’affaire. Mer­cre­di, (…) le vice-pre­mier min­istre et min­istre du numérique Krzysztof Gawkows­ki a été inter­rogé sur la sécu­rité de l’élection prési­den­tielle de dimanche. (…) M. Gawkows­ki a admis que des cen­taines de mil­liers de zlo­tys avaient été util­isés pour des pub­lic­ités élec­torales qui auraient pu être financées depuis l’étranger. »

L’information du NASK a été relayée par les grands médias polon­ais, mais ceux de droite se sont éton­nés du nar­ratif assur­ant que ces pub­lic­ités cir­cu­lant sur Face­book cher­chaient en réal­ité à affaib­lir le can­di­dat libéral Rafał Trza­skows­ki, alors que de toute évi­dence c’étaient les deux plus impor­tants can­di­dats de droite, Karol Nawroc­ki et Sła­womir Mentzen (le can­di­dat de la Con­fédéra­tion, qui regroupe les nation­al­istes chré­tiens et les lib­er­tariens), qu’elles cher­chaient à dis­créditer, tout en se présen­tant comme une sim­ple cam­pagne pour inciter les citoyens à aller vot­er, sans doute pour con­tourn­er la lég­is­la­tion sur le finance­ment des cam­pagnes électorales.

Autre infor­ma­tion dif­fusée par le NASK, que l’on peut lire dans cet arti­cle pub­lié le 13 mai sur le site de veille médi­a­tique Wirtu­alne Media :

« Le NASK révèle une opéra­tion de dés­in­for­ma­tion élec­torale dans le cadre du Para­pluie élec­toral et en col­lab­o­ra­tion avec les ser­vices. “L’analyse a porté sur l’activité d’un réseau de plusieurs cen­taines de faux comptes sur le site X (anci­en­nement Twit­ter), qui dif­fu­saient de manière coor­don­née des mes­sages con­formes à la ligne de pro­pa­gande de la Fédéra­tion de Russie. Ces comptes étaient soigneuse­ment pré­parés : ils util­i­saient des sup­ports visuels générés à l’aide d’outils d’intelligence arti­fi­cielle, pub­li­aient des con­tenus en phase avec les ten­dances actuelles et exploitaient les algo­rithmes de la plate­forme pour touch­er le plus large pub­lic pos­si­ble », indique le NASK. Les mes­sages por­taient sur des sujets polar­isant la société, tels que la sécu­rité, la poli­tique étrangère, les migra­tions ou les ques­tions économiques et sociales.” »

Le 14 mai, le can­di­dat libéral Rafał Trza­skows­ki, qui est aus­si le maire de Varso­vie, déclarait à ce pro­pos aux infor­ma­tions du soir sur la chaîne Pol­sat News :

« Il était évi­dent dès le départ que les Russ­es inter­viendraient dans notre cam­pagne. On a d’ailleurs pu con­stater que la pro­pa­gande russe est dev­enue active dès que le Pre­mier min­istre Tusk, la chancelière alle­mande, le prési­dent français et le Pre­mier min­istre bri­tan­nique se sont ren­dus à Kiev. La pro­pa­gande russe a fonc­tion­né à 200 % à ce moment-là, et elle va cer­taine­ment être à l’œuvre pen­dant les élec­tions prési­den­tielles polon­ais­es. »

Mais mal­heureuse­ment pour Trza­skows­ki et ses sou­tiens, le lende­main le site Wirtu­al­na Pol­s­ka révélait les véri­ta­bles auteurs de la cam­pagne pub­lic­i­taire sur Meta, que Meta a d’ailleurs nié avoir blo­qué à la demande du NASK puisque cette cam­pagne était en fait arrivée à son terme après avoir duré pen­dant toute la péri­ode pro­gram­mée par ses auteurs.

Dans l’article « Nos révéla­tions. Ingérence élec­torale, spots sans auteur et Akc­ja Demokrac­ja » pub­lié le 15 mai, le site révélait :

« Un employé et des bénév­oles de la fon­da­tion Akc­ja Demokrac­ja sont à l’origine de pub­lic­ités poli­tiques pub­liées sur l’internet pour pro­mou­voir Rafał Trza­skows­ki et atta­quer ses con­cur­rents, selon des infor­ma­tions de Wirtu­al­na Pol­s­ka. Son prési­dent est un homme qui, il y a quelques semaines encore, était l’assistant d’un député de la Coali­tion civique. »

La Coali­tion civique (KO) est l’alliance de la Plate­forme civique (PO) du pre­mier min­istre Don­ald Tusk, dont Rafał Trza­skows­ki est le vice-prési­dent, avec un autre petit par­ti libéral et les Verts.

L’article rédigé par deux jour­nal­istes de Wirtu­al­na Pol­s­ka révélait aux Polon­ais que les dirigeants d’Akcja Demokrac­ja (Action Démoc­ra­tie) recon­nais­saient eux-mêmes avoir mon­té cette cam­pagne sur Inter­net avec de l’argent étranger, que cette cam­pagne était bien en faveur de Rafał Trza­skows­ki, que son finance­ment dépas­sait les sommes dépen­sées par les comités de cam­pagne des can­di­dats sur la même péri­ode, et que :

« Il y a quelques jours, le prési­dent d’Akcja Demokrac­ja, Jakub Koc­jan, s’est entretenu avec le vice-pre­mier min­istre et min­istre du numérique, Krzysztof Gawkows­ki, au sujet du bon déroule­ment des élec­tions. Jusqu’à récem­ment, il était l’assistant d’un député de la KO et a reçu un prix du maire de Varso­vie Rafał Trza­skows­ki en 2020. »

Du coup, le jour-même, le comité de cam­pagne de Trza­skows­ki a dû émet­tre un com­mu­niqué pour assur­er que ces spots avaient été émis sur Inter­net sans son accord. La dés­in­for­ma­tion du NASK, une insti­tu­tion con­trôlée par le gou­verne­ment, avait donc fait pschitt et s’était retournée con­tre le can­di­dat du pre­mier min­istre Don­ald Tusk. Cette opéra­tion de dés­in­for­ma­tion est relevée dans le rap­port des obser­va­teurs de l’OSCE sur cette élec­tion prési­den­tielle polon­aise, qui remarque :

« L’action tar­dive, inco­hérente et non trans­par­ente dans l’affaire très médi­atisée des pub­lic­ités sur Face­book affichées par des tiers dont l’origine et les sources de finance­ment n’ont pas été divul­guées a sus­cité des inquié­tudes quant à l’adéquation et la rapid­ité des répons­es des insti­tu­tions publiques, ce qui a pu ébran­ler la con­fi­ance du pub­lic dans les autorités con­cernées. (…) L’inadéquation de la lég­is­la­tion rel­a­tive aux cam­pagnes menées par des tiers, en par­ti­c­uli­er en ligne, asso­ciée à l’absence de con­trôle et de sanc­tions effi­caces, a encore aggravé les lacunes exis­tantes, lim­i­tant la capac­ité des électeurs à pren­dre des déci­sions en con­nais­sance de cause. Plusieurs tiers, y com­pris des organ­i­sa­tions de mobil­i­sa­tion des électeurs et d’observation des élec­tions, ont fait cam­pagne pour Rafał Trza­skows­ki, y com­pris en ligne, mais n’étaient pas tenus par la loi de divulguer l’origine de leurs revenus ou de leurs dépens­es. Deux de ces cam­pagnes en ligne pour­raient faire l’objet d’une enquête pour sus­pi­cion de finance­ment étranger. (…) Entre le 16 avril et le 14 mai, deux nou­veaux pro­fils Face­book ont dépen­sé un total com­biné d’environ 500 000 zlo­tys (env. 120 000 euros, ndlr.) pour 136 pub­lic­ités vidéo pro­mou­vant Rafal Trza­skows­ki et ciblant Karol Nawroc­ki et Sla­womir Mentzen, ce qui a dépassé les dépens­es engagées par les can­di­dats eux-mêmes. »

L’on apprend dans ce rap­port que la société qui gérait cette cam­pagne depuis l’étranger était une société autrichi­enne, Estra­dos Dig­i­tal GmbH, dont le prin­ci­pal action­naire est une société améri­caine liée au Par­ti Démoc­rate, High­er Ground Labs.

Et puisqu’il est ici ques­tion d’une ingérence étrangère, force est de men­tion­ner encore la cam­pagne de dén­i­gre­ment du can­di­dat con­ser­va­teur menée par le site Onet.pl, qui est la pro­priété du groupe ger­mano-suisse Ringi­er Axel Springer (qui se partage avec Soros une grande par­tie des médias polon­ais), dont le prési­dent avait instru­it en 2017 ses jour­nal­istes polon­ais, dans une let­tre qui avait fuité et avait fait grand bruit, de soutenir dans leurs arti­cles Don­ald Tusk et son par­ti. Or la plu­part des sup­posées « révéla­tions » divul­guées pen­dant la cam­pagne prési­den­tielle polon­aise sur le passé du can­di­dat Karol Nawroc­ki, y com­pris des accu­sa­tions de prox­énétisme avancées entre les deux tours de l’élection et basées sur des sources anonymes, sont venues du site Onet. C’est ain­si qu’on pou­vait y lire le 26 mai dernier :

« Onet a joint deux témoins qui con­fir­ment que lorsqu’il tra­vail­lait au Grand Hôtel de Sopot, Karol Nawroc­ki et un réseau d’autres agents de sécu­rité auraient organ­isé des pros­ti­tuées pour des clients. Le web a immé­di­ate­ment été inondé de com­men­taires. Cezary Tom­czyk, vice-prési­dent de la Plate­forme civique (et vice-min­istre de la Défense, ndlr.), a écrit : “Soit Nawroc­ki saisit la jus­tice en référé élec­toral, soit Nawroc­ki était un prox­énète”. »

Le titre de l’article ne cachait même pas le but recherché :

« Karol Nawroc­ki et son passé. Le web est en ébul­li­tion après la pub­li­ca­tion de l’Onet. “Le clou dans le cer­cueil de la cam­pagne”. »

Comme Cezary Tom­czyk, le pre­mier min­istre Don­ald Tusk a appelé publique­ment le can­di­dat Karol Nawroc­ki à saisir la jus­tice en référé élec­toral si les accu­sa­tions de prox­énétisme à son encon­tre sont mensongères.

La tech­nique de manip­u­la­tion util­isée par ce média alle­mand en Pologne et par les sou­tiens poli­tiques du can­di­dat libéral Rafał Trza­skows­ki a été décor­tiquée dans un tweet (affiché 300 000 fois) de l’avocat Bar­tosz Lewandows­ki (qui tra­vaille avec l’Institut Ordo Iuris, un think-tank juridique con­ser­va­teur, et qui défend, entre autres clients, le député du par­ti Droit et Jus­tice (PiS) Marcin Romanows­ki auquel la Hon­grie a accordé l’asile poli­tique en décem­bre dernier face aux répres­sions poli­tiques du gou­verne­ment de Don­ald Tusk) :

« Mon­sieur le Min­istre, il con­vient d’examiner le code élec­toral et la jurispru­dence. Selon la jurispru­dence dom­i­nante, les arti­cles de presse ne con­stituent pas du “démar­chage élec­toral” au sens du code élec­toral. Par con­séquent, la procé­dure de référé élec­toral dans ce cas pour­rait ne pas être applic­a­ble du tout. J’ai traité un cer­tain nom­bre de cas dans le cadre de la procé­dure de référé élec­toral et les médias se défend­ent tou­jours de la même manière. En d’autres ter­mes, la seule chose qui reste est un procès en diffama­tion de longue durée, parce que l’ouverture d’une procé­dure en référé élec­toral peut débouch­er sur un échec pour des raisons formelles, et l’on fera alors croire au pub­lic que le can­di­dat a per­du son procès. »

C’est d’ailleurs ce qu’a fait le can­di­dat Nawroc­ki : il n’a pas intro­duit de référé mais a engagé des pour­suites clas­siques en diffama­tion con­tre le média de Ringi­er Axel Springer pour cet arti­cle et plusieurs autres. Ain­si, cette cam­pagne aura une nou­velle fois démon­tré à la droite polon­aise la néces­sité de repolonis­er les médias et de con­train­dre les ONG à plus de trans­parence sur leurs finance­ments étrangers afin d’éviter les ingérences étrangères dans les élec­tions. Non pas les ingérences russ­es, même si elles exis­tent aus­si, mais les ingérences de la gauche libérale occi­den­tale (y com­pris en Roumanie où la Macronie est elle aus­si accusée d’ingérence dans les élec­tions).

Patrick Regal­s­ki

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