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Comment les médias français voient le nouveau président polonais

2 juillet 2025

Temps de lecture : 5 minutes
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Comment les médias français voient le nouveau président polonais

Temps de lecture : 5 minutes

Le 2 juin 2025 se sont tenues les élec­tions prési­den­tielles polon­ais­es, avec la vic­toire de Karol Nawroc­ki, can­di­dat du PiS (Droit et Jus­tice), classé à l’extrême-droite. Le prési­dent polon­ais ressem­ble plus au prési­dent alle­mand, prin­ci­pale­ment déten­teur d’un pou­voir de représen­ta­tion, qu’au prési­dent français et son pou­voir exé­cu­tif. La Pologne reste donc sous la houlette de Don­ald Tusk. Néan­moins, le sig­nal envoyé par la Pologne à l’Europe ne plaît pas du tout aux médias de grand chemin.

Une élection manichéenne

Avec l’élection polon­aise, les médias pou­vaient se réjouir d’avoir leur « méchant » et leur « gen­til ». Patrick Gau­trat, ancien ambas­sadeur de France en Pologne, dans une tri­bune pour le Figaro Vox, dépeint d’un côté « Rafal Traskows­ki, 53 ans, per­son­nage de qual­ité et de sur­croît poly­glotte ! » et de l’autre « Karol Nawroc­ki, un incon­nu au PiS, 42 ans, his­to­rien de Gdan­sk, qui menait une cam­pagne très vir­u­lente, par­venant à faire oubli­er l’amoncellement d’informations acca­blantes sur son passé, qu’il s’agisse d’obscures ques­tions immo­bil­ières, de liens dou­teux avec la mafia de Gdan­sk ou de son impli­ca­tion sul­fureuse dans des affaires de prox­énétisme. » Sud-Ouest notait que s’y présen­taient « deux visions opposées de la société et de l’Europe, le cen­triste pro-européen Rafal Trza­skows­ki affronte le nation­al­iste Karol Nawroc­ki, soutenu par la droite con­ser­va­trice. » Avec à la clé des enjeux vitaux : « l’avenir des droits des femmes, des per­son­nes LGBT + et la place de la Pologne au sein de l’UE ». Le Monde dépeignait un homme « bluffeur, bagar­reur, inquié­tant par­fois ». France 24, peu avant les élec­tions, illus­trait l’un de ses arti­cles par une man­i­fes­ta­tion en faveur du can­di­dat finale­ment non-élu – et pro-UE – Rafal Trza­skows­ki. On y voy­ait un homme brandir un por­trait de son can­di­dat avec en sous-titre le mot « hope » (soit « espoir » en anglais).

L’Europe de plus en plus à droite, les médias toujours à gauche

Comme ce ne sont pas les médias français qui font la poli­tique polon­aise, Karol Nawroc­ki l’a emporté. On l’a vu lors des élec­tions européennes, la droite gagne du ter­rain en Europe. Une sit­u­a­tion qui ne plaît guère à cer­tains médias avec l’élection de Karol Nawroc­ki à la prési­dence de la Pologne dimanche 1er juin. Sud-Ouest le décrit ain­si comme « un sym­bole fort de la mon­tée en puis­sance des idées nation­al­istes au sein de l’Union européenne. » Avec son slo­gan « La Pologne d’abord, les Polon­ais d’abord », dont l’inspiration de Don­ald Trump est assez évi­dente, le nou­veau prési­dent polon­ais Karol Nawroc­ki a de quoi inquiéter Brux­elles, et donc la presse française. Il est hos­tile à l’avortement, loin d’être un acquis ou un « droit fon­da­men­tal » en Pologne, et peu en faveur du lob­by LGBT+. Il sou­tient le char­bon, exploité en Pologne, et souhaite faire aban­don­ner le pacte vert européen par un référen­dum. Pour Actu.fr, Karol Nawroc­ki est un « can­di­dat nation­al­iste », « anti-immi­gra­tion, fan de Don­ald Trump. » Pour Sud-Ouest, il incar­ne « un revers sym­bol­ique fort pour Brux­elles, en par­ti­c­uli­er sur la ques­tion de l’État de droit », ce qui sous-entend que Karol Nawroc­ki ne prévoit pas de respecter led­it Etat de droit. France info tire les mêmes con­clu­sions en expli­quant que le nou­veau prési­dent « pour­rait raviv­er les ten­sions » sur ce sujet.

Quand les Polonais remettent l’aide à l’Ukraine en question

Karol Nawroc­ki a égale­ment remis en ques­tion l’accueil de migrants ukrainiens, déplo­rant le fait que les Polon­ais aient du mal à accéder aux soins. Il regrette une cer­taine « inso­lence » de Volodymyr Zelen­s­ki et refuse farouche­ment que l’Ukraine entre dans l’Union européenne et l’OTAN. Des posi­tions qu’on ne lui par­donne évidem­ment pas. Sud-Ouest rap­pelle que « depuis l’invasion russe en Ukraine en 2022, la Pologne a accueil­li des cen­taines de mil­liers de réfugiés en prove­nance de son voisin déchiré par la guerre », et que par­mi ces réfugiés se trou­vent « prin­ci­pale­ment des femmes et des enfants ». Sans remet­tre en ques­tion le drame vécu par les réfugiés ukrainiens, l’élection polon­aise mon­tre que l’accueil des réfugiés n’est jamais neu­tre pour le pays d’accueil, et qu’il con­stitue un effort trop peu reconnu.

La Pologne, pays martyr

Dans les colonnes médi­a­tiques, le bruit des bottes résonne comme un disque rayé, mais con­tin­ue à être joué. Le Figaro Vox, pub­lie la tri­bune de Patrick Gau­trat, ancien ambas­sadeur de France en Pologne. Il y explique que « la Pologne a con­nu tout au long de son his­toire nom­bre d’heures de gloire mais égale­ment de ter­ri­bles tragédies dont cer­taines résul­taient en par­tie de ses pro­pres erreurs » et qu’elle « sem­ble devoir con­naître à nou­veau tur­bu­lences et infor­tunes. » La vic­toire de Karol Nawor­c­ki s’explique par de « mau­vais démons » (sic) « plus agres­sifs que jamais », qui se sont man­i­festés dans un « com­bat sans mer­ci » con­tre, sup­pose-t-on, les anges de Don­ald Tusk.

Comment les médias rassurent les Français

Alors que les idées con­ser­va­tri­ces pren­nent de plus en plus de place en Europe, les médias veu­lent ras­sur­er les Français : ces idées n’ont que peu de poids. Sud-Ouest affirme que « le futur prési­dent exercera une influ­ence lim­itée sur la poli­tique étrangère » qu’il « ne devrait pas faire dérailler les chantiers européens », que « les pou­voirs du prési­dent sont lim­ités » et que « c’est son pre­mier min­istre Don­ald Tusk, résol­u­ment pro-européen, qui représente la Pologne aux som­mets entre dirigeants ». Par ailleurs, cer­tains titres ten­tent de min­imiser la vic­toire de Karol Nawroc­ki, procédé plus rarement usité lorsque la gauche arrive au pou­voir. France info pré­cise que Karol Nawor­c­ki ne l’emporte qu’après un « scrutin indé­cis », « alors que le can­di­dat pro-européen Rafal Trza­skows­ki avait d’abord été don­né vain­queur d’une courte tête ». Il est per­mis de se deman­der si France info aurait fait la même remar­que avec des rôles inver­sés. D’autant que la vic­toire de Karol Nawroc­ki était prévue par les sondages.

La vic­toire de Karol Nawroc­ki et du PiS, et surtout son traite­ment, mon­tren­tune fois de plus que cer­tains médias ne sont pas prêts à la mod­i­fi­ca­tion poli­tique que vit l’Europe. On apprend aus­si, ce qui est plus grave, qu’ils ne s’y pré­par­ent pas, et restent donc cloîtrés dans un monde qui, s’il est peut-être con­fort­able, rend leur mis­sion d’information bien dif­fi­cile à remplir.

Adélaïde Hec­quet

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