En deux ans et demi, CMA CGM, géant du transport maritime, a multiplié les acquisitions dans les médias, de La Provence à BFM RMC, en passant par Pathé et Chérie 25.
Dirigée par Véronique Saadé, CMA Media ambitionne de créer un groupe solide et rentable, avec le lancement de RMC+ en 2026.
Véronique Saadé à la manœuvre
Depuis l’acquisition du quotidien régional La Provence en automne 2022, CMA CGM, troisième armateur mondial, s’est lancé dans une course effrénée pour s’imposer dans le paysage médiatique français. En moins de trois ans, le groupe dirigé par Rodolphe Saadé a constitué un portefeuille impressionnant : participations dans le groupe M6 et la plateforme vidéo Brut, rachat de La Tribune avec une édition dominicale, acquisition de BFM RMC pour 1,55 milliard d’euros, investissement dans le fonds cinéma Yapluka de Dimitri Rassam, et, plus récemment, une prise de participation de 20 % dans Pathé. Une expansion fulgurante orchestrée par une gouvernance familiale resserrée, incarnée par Véronique Saadé, présidente de CMA Media.
Des milliards pour investir
« Nous décidons vite. Si un dossier fait sens et que nous pouvons le financer, pourquoi attendre ? », explique Véronique Saadé dans une interview au Figaro. Avec 6 milliards d’euros de bénéfices en 2024 et 1 milliard au premier trimestre 2025, CMA CGM dispose de liquidités conséquentes pour financer ses ambitions. Pourtant, l’armateur rejette l’idée d’une quête d’influence ou de mécénat. « Notre logique est entrepreneuriale, comme dans nos autres secteurs. Nous visons la rentabilité via une taille critique et des synergies », insiste-t-elle. Le secteur des médias, en pleine mutation, offre des opportunités que le groupe saisit, parfois en « provoquant le destin ». Les affaires avant tout comme avait pu l’expliquer l’homme d’affaire libanais Rodolphe Saadé dans un entretien pour le journal L’Orient le jour en mai 2023. Un positionnement en retrait à relativiser par la proximité entre l’homme d’affaire et le président de la République Emmanuel Macron. Sans oublier le statut fiscal très favorable – et très protégé – de l’armateur de CMA-CGM.
Un pôle de divertissement renforcé
Le rachat de Chérie 25, annoncé en mai 2025 et en attente de l’approbation de l’Arcom, illustre cette stratégie. Cette chaîne, appelée à être renommée, viendra renforcer le pôle de divertissement de CMA Media aux côtés de RMC Story et RMC Découverte. « Nous investirons dans de nouveaux programmes pour enrichir ces antennes et diversifier leurs identités », précise Véronique Saadé. Avec une part d’audience de 1,4 % en avril 2025, Chérie 25 permettra d’élargir la régie publicitaire du groupe, diversifiant ses cibles commerciales.
Ce rachat s’inscrit dans un projet plus vaste : le lancement de RMC+, une plateforme de streaming prévue pour le premier semestre 2026. Pensée pour regrouper les contenus du groupe, elle mettra l’accent sur la fiction, les documentaires et les programmes de découverte. « La consommation à la demande est idéale pour ces formats », souligne Nicolas de Tavernost, vice-président de CMA Media. Cette initiative devrait porter le chiffre d’affaires de RMC BFM à plus de 400 millions d’euros, contre 360 millions auparavant.
BFM RMC : une intégration mouvementée, peut-être prometteuse plus tard
L’acquisition de BFM RMC, bien que stratégique, n’a pas été sans défis. Les départs des cadres dirigeants Marc-Olivier Fogiel, Arthur Dreyfuss et Hervé Béroud, suivis d’une clause de cession touchant une centaine de journalistes, ont créé des turbulences. Malgré une dépréciation de 250 millions d’euros dans les comptes, Véronique Saadé défend cette opération : « Surpayer n’est pas notre style. Nous croyons au potentiel de cet actif. » Sous la direction de Régis Ravanas, BFM progresse, notamment auprès des actifs, même si la concurrence, notamment CNews (3,3 % d’audience contre 2,7 % pour BFMTV en avril), reste vive.
Refusant de céder à la polarisation, CMA Media maintient une ligne éditoriale axée sur la « fiabilité et la proximité ». BFM renforce sa couverture internationale et régionale, avec ses déclinaisons locales, pour « refléter les préoccupations des Français », selon Véronique Saadé. Une dynamique inégale puisque la déclinaison parisienne de la chaine a baisser le rideau en mars 2025.
En pleine période de mercato, le groupe a sécurisé des vedettes comme Apolline de Malherbe et Estelle Denis, tout en explorant d’autres profils comme avec l’arrivée de Cyril Hanouna chez M6.
L’avenir de CMA Media repose sur l’intégration de ses acquisitions et l’exploitation des synergies, notamment via l’intelligence artificielle développée par Kyutai, filiale de CMA CGM. Alors que l’Arcom prévoit un appel à candidatures pour six chaînes TNT en 2026, le groupe reste prudent mais ouvert aux opportunités. « Nous regardons tout, sans tout faire », tempère Véronique Saadé. Face à la concurrence des géants mondiaux comme Netflix ou TikTok, CMA CGM mise sur une consolidation du secteur pour préserver le patrimoine médiatique français.
En alliant agilité décisionnelle et vision entrepreneuriale, CMA CGM s’impose comme un acteur majeur des médias, avec une ambition claire : bâtir un groupe cohérent, rentable et ancré dans les attentes du public. Se reposant sur un socle de décideurs issus de l’empire familiale Saadé avec Véronique, la femme de Rodolphe, présidente de CMA Média. La sœur de Rodolphe Saadé, Tanya Saadé Zeenny, est directrice générale déléguée de CMA CGM et présidente de la Fondation CMA CGM est également impliquée dans les investissements médiatiques, notamment dans l’acquisition de la Financière Lov & Lifestyle en juillet 2024, en partenariat avec Véronique Saadé.
Moins pointé du doigt que la sphère Bolloré, la sphère Saadé pourrait peser considérablement dans les années qui viennent, sur tous les plans, économique, médiatique et économique. Les deux groupes se connaissent d’ailleurs bien puisqu’en 2024 CMA CGM avait racheté Bolloré Logistics.
Voir aussi : Rodolphe Saadé, infographie
Rodolphe Chalamel