L’Assemblée nationale a requis une commission d’enquête sur la neutralité, le fonctionnement et le financement de l’audiovisuel public à l’initiative du groupe Union des droites pour la République (UDR). Lors d’une audition de la PDG de France Télévisions menée par le député rapporteur Charles Alloncle, ce dernier a mis en évidence des soupçons de corruption avec pantouflage et prise illégale d’intérêts.
Charles Alloncle épluche les comptes
Charles Alloncle, député de la 9ᵉ circonscription de l’Hérault, passe actuellement au crible le groupe France Télévisions présidé par Delphine Ernotte. Cette dernière a ainsi été interrogée pendant près de quatre heures le 10 décembre 2025. Une semaine plus tard, les 17 et 18 décembre, il a également auditionné Sybille Veil (PDG de Radio France), Adèle Van Reeth (directrice de France Inter) et Stéphane Sitbon-Gomez (directeur des antennes et des programmes de France Télévisions).
Après avoir méthodiquement enquêté et entendu plusieurs personnes dans le cadre de la commission, le député UDR a mis en lumière des affaires de corruption au sein du groupe de France Télévisions.
🚨De la corruption à France Télévisions ? @CHAlloncle révèle que des dirigeants de France TV ont signé des contrats pour des sociétés de production à plusieurs DIZAINES de millions d’euros.
Ils ont ensuite été licenciés par France TV, ont pris des indemnités de licenciement de… pic.twitter.com/kX4A2GtFfX
— Observatoire du journalisme (Ojim) (@ojim_france) December 11, 2025
À ce sujet, il a d’ailleurs déclaré le 11 décembre 2025 au micro de Christine Kelly : « On a organisé six auditions sur une cinquantaine, il y a déjà eu un certain nombre de révélations absolument confondantes : les prises illégales d’intérêts, les pactes de corruption, les pantouflages entre certains dirigeants de France Télévisions et des sociétés privées, les mensonges et les parjures proférés en audition. Tous ces faits sont passibles d’années d’emprisonnement et de centaines de milliers d’euros d’amendes. »
Une ex-dirigeante de France TV épinglée pour prises illégales d’intérêts et pantouflage
Des anciens dirigeants de France Télévisions auraient donc signé « des dizaines ou des centaines de milliers d’euros de contrats pour des sociétés de production privées ». Ils se seraient ensuite « fait licencier » avec des indemnités de licenciement « de plusieurs centaines de milliers d’euros », avant de « finir dans ces mêmes sociétés de productions ».
Au micro de @Ben_Duhamel sur France Inter, j’ai rappelé que nous n’en sommes qu’aux prémices de la commission d’enquête sur l’audiovisuel public et que je ne tirerai de conclusions qu’une fois les auditions achevées.
Toutefois, de graves dysfonctionnements ont d’ores et déjà été… pic.twitter.com/03psKnOCr1
— Charles Alloncle (@CHAlloncle) December 15, 2025
Plus précisément, parmi ces anciens dirigeants de France Télévisions, le député a épinglé Nathalie Darrigrand. Cette dame, ex-directrice des programmes de France Télévisions et ex-directrice de France 5, a signé pendant son mandat à France Télévisions des contrats à hauteur « de dizaines ou de centaines de millions d’euros » pour des sociétés de production privées, en particulier « Together Media ». Cette dernière appartient à Renaud Le Van Kim, un proche de Delphine Ernotte et ancien militant de la Ligue communiste révolutionnaire. Ces contrats confiés à la société « Together » concernent des émissions emblématiques du service public telles que C ce soir ou C Politique.
Nathalie Darrigrand, après avoir été licenciée de France Télévisions, a fini à la tête de la société de production « Together » (à qui elle avait attribué ces mêmes contrats), ce qui constitue, selon le droit, une prise illégale d’intérêts. Le député accuse aussi Nathalie Darrigrand d’avoir perçu des indemnités de licenciement « allant de 300 à 400 000 euros ».
En réponse à ces graves accusations, Delphine Ernotte a expliqué que ces passages du public au privé sont monnaie courante chez France Télévisions et suggère au législateur la possibilité d’encadrer strictement ces transferts via la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
Nathalie Darrigrand, directrice des programmes de France Télévisions jusqu’en janvier 2020, aurait signé des dizaines de millions d’euros de contrats au profit de la société Together de Renaud Le Van Kim (C Ce soir, C Politique…), avant d’être licenciée et de bénéficier de… pic.twitter.com/vQi7u5iDTA
— Charles Alloncle (@CHAlloncle) December 12, 2025
Conflits d’intérêts et mélange des genres chez France TV
Les sociétés de production privées que nous mentionnons plus haut ont pris une influence considérable sur le groupe France TV. Dans un article du 8 décembre 2025, Médiapart nous apprend ainsi que « Mediawan » (société de production détenue par Xavier Niel, Mathieu Pigasse et Pierre-Antoine Capton) est en tête des fournisseurs de programmes de l’audiovisuel public.
En 2024, France Télévisions a rapporté 111 millions d’euros de chiffre d’affaires à Mediawan sur un ensemble de 920 millions d’euros consacrés à l’achat de programmes. Afin de produire ces trois émissions phares du service public : « C dans l’air », « C à vous » et « Ça commence aujourd’hui », France Télévisions verse 33 millions d’euros à Mediawan.
Signe de sa position ultradominante, le groupe Mediawan est actionnaire majoritaire dans vingt-huit des sociétés de production qui fournissent France Télévisions en programmes divers. Qu’un groupe privé ait autant d’influence sur la programmation de France TV interroge légitimement sur l’indépendance et la neutralité du service public français.
De plus, Mathieu Pigasse, cofondateur de Mediawan, n’hésite pas à mener une bataille intellectuelle et idéologique à travers ses émissions censées refléter l’opinion de tous les Français. Le milliardaire assume sans ambages son engagement contre l’extrême droite (comprendre le RN), reconnaissant « souhaiter mettre les médias qu’il contrôle dans ce combat ».
Cependant, le service public n’a pas vocation à délivrer aux Français les opinions d’une personne privée. Le député Charles Alloncle a ainsi dénoncé ce mélange des genres et cette captation des émissions du service public au service d’un projet idéologique privé.
Un milliard d’euros par an : c’est ce que coûte la production des programmes de France Télévisions.
Mediawan, le groupe détenu par Matthieu Pigasse, Xavier Niel et Pierre-Antoine Capton est le premier à en profiter.
Ces mêmes acteurs revendiquent ouvertement un agenda… pic.twitter.com/spf9iwD1Bv
— Charles Alloncle (@CHAlloncle) December 6, 2025
Dîner chez Maxim’s
Non seulement Mediawan est le premier groupe qui bénéficie du milliard d’euros par an que coûte la production des programmes de France Télévisions, mais son président du directoire Pierre-Antoine Capton a également invité Delphine Ernotte-Cunci, la PDG de France Télévisions, Stéphane Sitbon-Gomez, son directeur des antennes et des programmes, ainsi qu’Anne Elisabeth Lemoine et Aurélie Casse, présentatrices des émissions “C à vous” et “C l’hebdo”, à une soirée privée au luxueux restaurant Maxim’s pour fêter ses 50 ans.
Les dirigeants de France Télévisions, censés être les garants de la neutralité de l’audiovisuel public, entretiennent donc des liens étroits avec des sociétés de production privées, ce qui favorise l’hyperconcentration des médias dans la main de quelques milliardaires qui souhaitent imposer leur vision de la société.
Comme le note Mediapart :
« Le recours à des fournisseurs extérieurs expose d’ailleurs les émissions du service public à des conflits d’intérêts et soulève régulièrement des interrogations en matière d’indépendance de l’information ».
Ils prennent notamment l’exemple de l’émission C à vous qui avait reçu Xavier Niel – troisième actionnaire et cofondateur de Mediawan – pour le lancement de sa nouvelle box internet. L’Arcom avait d’ailleurs épinglé l’émission pour « publicité clandestine », estimant que la présentation de la nouvelle offre du fondateur de Free avait été « trop élogieuse et marquée par une absence de critiques ».
Pendant ce temps-là… France Télévisions est dans le rouge
Comme si la corruption et les conflits d’intérêts ne suffisaient pas, la situation financière du groupe France Télévisions est critique. En effet, selon la Cour des comptes, le groupe a accumulé plus de 81 millions d’euros de déficit depuis 2017. Leur trésorerie positive en 2017 (41 millions d’euros) est passée négative en 2025 (-27 millions) et leurs capitaux propres sont inférieurs à la moitié du capital social. En huit ans, les capitaux propres de France TV ont dégringolé de 294 à 179 millions d’euros.
Le déficit de 81 millions et la baisse de 65 millions d’euros de sa dotation obligent la PDG de France Télévisions à réduire le montant du capital du groupe audiovisuel public. Ce choix de réduction du capital a été jugé le plus adéquat pour éviter la dissolution. Selon La Lettre, « l’opération est actuellement entre les mains de Bercy, via l’Agence des participations de l’État (APE), qui doit guider le groupe audiovisuel dans la procédure à suivre ».
Delphine Ernotte avait déclaré dans Les Échos qu’il ne devait y avoir « aucun tabou » pour redresser les comptes. À la recherche de 150 millions d’euros d’économies pour 2026, elle avait annoncé des coupes à venir sur la création ou encore les droits sportifs.
Cependant, malgré ce dérapage budgétaire et ces économies forcées, Delphine Ernotte perçoit toujours un salaire de 322 000 euros fixe et une part variable sur atteinte d’objectif d’un montant maximum de 78 000 euros par mois, soit un montant maximal de 400 000 euros brut par an.
Jean-Charles Soulier


















