Mandaté pour « risque grave », le cabinet CEDAET décrit l’organisation de la direction de France Télévisions comme « autoritaire et élitiste » et évoque même des « relations brutales » et des inégalités de traitement au sein de la rédaction nationale du média public. L’audit dénonce aussi des obstructions internes. L’épisode fragilise Delphine Ernotte et, par ricochet, le récit « vertueux » servi à Radio France.
Un rapport de 160 pages
L’alerte sociale n’est plus un bruit de fond. Présenté au CSE le 23 octobre, le rapport de 160 pages du cabinet indépendant CEDAET dresse un tableau sévère des conditions de travail dans la rédaction nationale issue de la fusion France 2/France 3 : management vertical, perte d’autonomie, « brutalisation » des relations et sentiment de relégation chez les ex-France 3. Le taux de réponse à l’enquête n’est d’ailleurs pas marginal puisqu’il s’élève à 42 %.
Une organisation accusée de « brutaliser » le travail
Selon CEDAET, la fusion n’a pas créé un modèle hybride mais a imposé celui de France 2, « plus autoritaire et hiérarchique ». Les témoignages évoquent des faits de « harcèlement », des humiliations en conférences, des critiques et une inégalité d’accès aux sujets visibles, aux magazines et aux postes d’encadrement. Les risques psychosociaux seraient « importants et multiformes ».
Le cabinet relate aussi des freins inhabituels à sa mission : absence de badges d’accès, autorisations laborieuses pour assister aux réunions, données « lacunaires » fournies au compte-gouttes.
Les conclusions convergent : climat délétère, division du collectif et discriminations ressenties, surtout parmi les transfuges de France 3.
Ernotte sous pression, le récit du service public écorné
Pour Delphine Ernotte-Cunci, reconduite en juin à la tête de France Télévisions, l’empilement est défavorable : erreurs d’antenne depuis la rentrée, finances contraintes, puis audit social accablant. L’image d’un pilotage « exemplaire » de l’audiovisuel public vacille. Effet ricochet sur l’écosystème : à Radio France, la direction promeut mutualisations et « plateforme » commune avec France Télévisions, ce qui pourrait pousser à une véritable contagion du pire pour les médias publics. Déjà mise en difficulté par la commission de la culture du Sénat début octobre aux côtés de Sybille Veil (Radio France), Delphine Ernotte se trouve dans une zone de turbulence moins d’un an après avoir vu sa gestion mise en cause par des magistrats de la Cour des comptes.
Peu d’écho médiatique, une omerta corporatiste ?
Les élus du Comité social et économique (CSE) de France Télévisions exigent un plan d’action : réinstaurer la « dispute professionnelle » dans un cadre sécurisé, donner aux RH un pouvoir effectif d’intervention, « objectiver charges et répartitions de tâches », faire cesser les violences au travail. À défaut, la crise s’installera. La performance éditoriale et la légitimité du service public s’en trouveront encore affaiblies.
Le scandale demeure assez contenu. En effet, hormis la Lettre, seules la gauche médiatique, radicale et syndicale (L’Humanité, Blast Info, site du NPA Révolutionnaire, SNJ, CFDT) et la droite (Valeurs Actuelles, Le JDD) se sont fait l’écho de cette actualité.
Voir aussi : Auditions croisées au Sénat : Sybille Veil et Delphine Ernotte sur la défensive
Encadré : CEDAET, qui sont-ils ?
Fondé en 1985 et devenu SCOP en 1988, CEDAET est un cabinet d’expertise habilité auprès des CSE, spécialisé en santé et organisation du travail. Il est codirigé par Magali Zimmer et Nicolas Bouhdjar. Le cabinet revendique l’indépendance et travaille régulièrement pour des instances représentatives du personnel, des administrations et établissements publics. S’il n’a pas d’affichage partisan connu, il entretient des liens fonctionnels avec le monde syndical et institutionnel inhérents à sa mission d’expert des instances représentatives du personnel (IRP).
Rodolphe Chalamel

















