Née en 1920, l’Agence Anadolu (AA) est une agence d’État, financée et pilotée dans l’orbite du pouvoir turc. Sous la direction de Serdar Karagöz, elle déploie un réseau mondial et diffuse une ligne progouvernementale assumée, notamment sur la laïcité française et la politique proche-orientale de Paris. Créée pour « faire entendre la voix de l’Anatolie », AA est devenue l’outil central du soft power turc. Son statut public et sa gouvernance arrimée à l’exécutif expliquent son rôle stratégique : produire de l’information en multilingue, avec un cadrage politique constant, et la pousser dans les écosystèmes nationaux où Ankara veut peser.
Direction, statut, financement
Depuis avril 2021, AA est dirigée par Serdar Karagöz, ancien cadre de Daily Sabah, média privé pro-gouvernemental avant qu’il rejoigne la presse publique : la Télévision Radio Turque (TRT).
Le changement en 2014 sur la structure actionnariale a consolidé l’emprise publique. En Turquie, l’agence est considérée « d’État », recevant des dotations et opérant sous tutelle politique, malgré des rappels ponctuels des juges à l’autonomie statutaire. En pratique, la ligne reste alignée sur l’exécutif.
Un maillage international… et des priorités régionales
AA revendique un réseau mondial d’antennes et de langues. En France, son bureau est à Paris (9ᵉ), relais du service francophone. Dans les Balkans, Ankara s’appuie sur Sarajevo comme hub régional, au cœur d’un espace où la Turquie combine investissements, diplomatie religieuse et communication. L’espace balkanique, partie intégrante de la stratégie de rayonnement turque, est particulièrement important pour l’agence.
La production se fait en une douzaine de langues (turc, anglais, arabe, français, kurde, russe, albanais, persan, macédonien…) avec une volumétrie élevée de dépêches, photos et vidéos, ce qui garantit une large reprise par des médias tiers et sur les réseaux sociaux.
En France : récit contre-narratif et parasitage militaire
En France, AA pousse des contenus à forte connotation politico-identitaire : dénonciation d’une supposée « islamophobie d’État », récits critiques de la laïcité et tribunes relais de figures proches de l’AKP, le parti du président Erdogan. La Turquie avait été particulièrement choquée par les caricatures antimusulmanes de Charlie Hebdo et Ankara avait riposté énergiquement.
En 2021, le SG-CIPDR (Intérieur) a publiquement qualifié AA « d’organe de propagande » et de diffuseur de fake news.
Anadolu @aa_french se présente comme une agence de presse. En réalité, il n’en est rien : Anadolu est un organe de propagande qui publie sur son site des tribunes d’opinion attaquant, de façon mensongère et calomnieuse, la France.
— SG-CIPDR (@SG_CIPDR) April 27, 2021
La présidence turque a riposté en accusant Paris d’« oppression » des médias.
Conservateur en Turquie, progressiste en France
En 2022, Marianne a documenté une dépêche d’AA listant les députés français dits « d’origine arabe », assortie de statistiques invérifiables : un cas type de cadrage ethnique contesté en droit français, mais conforme à l’agenda d’influence d’Ankara.
L’implication politique de AA peut apparaître assez déroutante. En effet, si le pouvoir en place en Turquie est conservateur, il va soutenir des partis progressistes en France dès lors que ceux-ci servent son narratif, un peu à la manière d’AJ+, et même si les personnalités relayées sont ouvertement hostiles à la Turquie. Ainsi, l’agence relaye favorablement une plainte du député LFI Raphaël Arnault, par ailleurs hostile au pouvoir turc qu’il qualifie de « fasciste », pour dénoncer les déclarations jugées « islamophobes » de la présidente de l’association « féministe identitaire » Némésis.
Dans un autre registre, AA avait publié en 2018 une carte censée indiquer des positions de l’armée française dans le nord de la Syrie. Une publication qui avait été publiée au lendemain des déclarations du président Macron sur le soutien de Paris aux FDS, qui comptent en leur sein des combattants kurdes… Ce type de contenu illustre l’adossement de l’agence aux intérêts stratégiques turcs, au-delà d’un simple rôle de fournisseur de dépêches.
Combien ça coûte ? Pourquoi ça compte ?
AA est une société publique dotée de ressources hybrides : subventions/mandats d’État, abonnements et ventes de contenus. L’absence de transparence budgétaire détaillée ligne par ligne ne masque pas l’essentiel : l’agence est un poste de dépense politique, sanctuarisé dans l’effort turc d’influence extérieure. Dans les Balkans, son maillage médiatique complète investissements, coopération militaire et diplomatie religieuse ; en France, sa présence nourrit une bataille narrative permanente. Dans le reste du monde, l’agence a un rôle de relais de la voix d’Ankara auprès des diasporas et un but culturel et diplomatique en Asie centrale auprès des États turcophones.
Un outil d’influence revendiqué
Loin d’être une agence « neutre », ce qu’elle ne revendique pas contrairement à d’autres qui ne le sont pas vraiment pour autant, AA est l’outil d’un État qui assume sa puissance d’influence.
Son budget relève d’un choix politique durable et d’une stratégie d’ancrage, mais l’ampleur de son travail ne permet pas de la comparer à des agences comme l’AFP, Associated Press ou Reuters.
Dans un contexte budgétaire délicat pour ces grandes agences de presse, le développement d’agences extra-occidentales et leur diffusion rendue plus facile par l’outil numérique redessinent la carte de l’information mondiale. Anadolu s’inscrit dans ce contexte et entend prendre sa part dans l’influence médiatique.
Rodolphe Chalamel












