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Budget et influence : l’agence turque Anadolu, bras médiatique d’Ankara

27 octobre 2025

Temps de lecture : 5 minutes
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Budget et influence : l’agence turque Anadolu, bras médiatique d’Ankara

Temps de lecture : 5 minutes

Budget et influence : l’agence turque Anadolu, bras médiatique d’Ankara

Née en 1920, l’Agence Anadolu (AA) est une agence d’État, financée et pilotée dans l’orbite du pou­voir turc. Sous la direc­tion de Ser­dar Karagöz, elle déploie un réseau mon­di­al et dif­fuse une ligne pro­gou­verne­men­tale assumée, notam­ment sur la laïc­ité française et la poli­tique proche-ori­en­tale de Paris. Créée pour « faire enten­dre la voix de l’Anatolie », AA est dev­enue l’outil cen­tral du soft pow­er turc. Son statut pub­lic et sa gou­ver­nance arrimée à l’exécutif expliquent son rôle stratégique : pro­duire de l’information en mul­ti­lingue, avec un cadrage poli­tique con­stant, et la pouss­er dans les écosys­tèmes nationaux où Ankara veut peser.

Direction, statut, financement

Depuis avril 2021, AA est dirigée par Ser­dar Karagöz, ancien cadre de Dai­ly Sabah, média privé pro-gou­verne­men­tal avant qu’il rejoigne la presse publique : la Télévi­sion Radio Turque (TRT).

Le change­ment en 2014 sur la struc­ture action­nar­i­ale a con­solidé l’emprise publique. En Turquie, l’agence est con­sid­érée « d’État », rece­vant des dota­tions et opérant sous tutelle poli­tique, mal­gré des rap­pels ponctuels des juges à l’autonomie statu­taire. En pra­tique, la ligne reste alignée sur l’exécutif.

Un maillage international… et des priorités régionales

AA revendique un réseau mon­di­al d’antennes et de langues. En France, son bureau est à Paris (9ᵉ), relais du ser­vice fran­coph­o­ne. Dans les Balka­ns, Ankara s’appuie sur Sara­je­vo comme hub région­al, au cœur d’un espace où la Turquie com­bine investisse­ments, diplo­matie religieuse et com­mu­ni­ca­tion. L’espace balka­nique, par­tie inté­grante de la stratégie de ray­on­nement turque, est par­ti­c­ulière­ment impor­tant pour l’agence.

La pro­duc­tion se fait en une douzaine de langues (turc, anglais, arabe, français, kurde, russe, albanais, per­san, macé­donien…) avec une volumétrie élevée de dépêch­es, pho­tos et vidéos, ce qui garan­tit une large reprise par des médias tiers et sur les réseaux sociaux.

En France : récit contre-narratif et parasitage militaire

En France, AA pousse des con­tenus à forte con­no­ta­tion politi­co-iden­ti­taire : dénon­ci­a­tion d’une sup­posée « islam­o­pho­bie d’État », réc­its cri­tiques de la laïc­ité et tri­bunes relais de fig­ures proches de l’AKP, le par­ti du prési­dent Erdo­gan. La Turquie avait été par­ti­c­ulière­ment choquée par les car­i­ca­tures antimusul­manes de Char­lie Heb­do et Ankara avait riposté énergique­ment.

En 2021, le SG-CIPDR (Intérieur) a publique­ment qual­i­fié AA « d’organe de pro­pa­gande » et de dif­fuseur de fake news.

La prési­dence turque a riposté en accu­sant Paris d’« oppres­sion » des médias.

Conservateur en Turquie, progressiste en France

En 2022, Mar­i­anne a doc­u­men­té une dépêche d’AA lis­tant les députés français dits « d’origine arabe », assor­tie de sta­tis­tiques invéri­fi­ables : un cas type de cadrage eth­nique con­testé en droit français, mais con­forme à l’agenda d’influence d’Ankara.

L’implication poli­tique de AA peut appa­raître assez déroutante. En effet, si le pou­voir en place en Turquie est con­ser­va­teur, il va soutenir des par­tis pro­gres­sistes en France dès lors que ceux-ci ser­vent son nar­ratif, un peu à la manière d’AJ+, et même si les per­son­nal­ités relayées sont ouverte­ment hos­tiles à la Turquie. Ain­si, l’agence relaye favor­able­ment une plainte du député LFI Raphaël Arnault, par ailleurs hos­tile au pou­voir turc qu’il qual­i­fie de « fas­ciste », pour dénon­cer les déc­la­ra­tions jugées « islam­o­phobes » de la prési­dente de l’association « fémin­iste iden­ti­taire » Némésis.

Dans un autre reg­istre, AA avait pub­lié en 2018 une carte cen­sée indi­quer des posi­tions de l’ar­mée française dans le nord de la Syrie. Une pub­li­ca­tion qui avait été pub­liée au lende­main des déc­la­ra­tions du prési­dent Macron sur le sou­tien de Paris aux FDS, qui comptent en leur sein des com­bat­tants kur­des… Ce type de con­tenu illus­tre l’adossement de l’agence aux intérêts stratégiques turcs, au-delà d’un sim­ple rôle de four­nisseur de dépêches.

Combien ça coûte ? Pourquoi ça compte ?

AA est une société publique dotée de ressources hybrides : subventions/mandats d’État, abon­nements et ventes de con­tenus. L’absence de trans­parence budgé­taire détail­lée ligne par ligne ne masque pas l’essentiel : l’agence est un poste de dépense poli­tique, sanc­tu­ar­isé dans l’effort turc d’influence extérieure. Dans les Balka­ns, son mail­lage médi­a­tique com­plète investisse­ments, coopéra­tion mil­i­taire et diplo­matie religieuse ; en France, sa présence nour­rit une bataille nar­ra­tive per­ma­nente. Dans le reste du monde, l’agence a un rôle de relais de la voix d’Ankara auprès des dias­po­ras et un but cul­turel et diplo­ma­tique en Asie cen­trale auprès des États turcophones.

Un outil d’influence revendiqué

Loin d’être une agence « neu­tre », ce qu’elle ne revendique pas con­traire­ment à d’autres qui ne le sont pas vrai­ment pour autant, AA est l’outil d’un État qui assume sa puis­sance d’influence.

Son bud­get relève d’un choix poli­tique durable et d’une stratégie d’ancrage, mais l’ampleur de son tra­vail ne per­met pas de la com­par­er à des agences comme l’AFP, Asso­ci­at­ed Press ou Reuters.

Dans un con­texte budgé­taire déli­cat pour ces grandes agences de presse, le développe­ment d’agences extra-occi­den­tales et leur dif­fu­sion ren­due plus facile par l’outil numérique redessi­nent la carte de l’information mon­di­ale. Anadolu s’inscrit dans ce con­texte et entend pren­dre sa part dans l’influence médiatique.

Rodolphe Cha­la­mel

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