Force ouvrière demande l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire sur dix ans de trajectoire budgétaire à France Télévisions, pendant que la CFE-CGC conteste en justice la reconduction de Delphine Ernotte. Déficit, stratégie numérique chahutée, dialogue social crispé et querelle avec les médias de Lagardère… Les dossiers s’additionnent pour la papesse des médias publics.
Déficits et externalisations douteuses
Dans un courrier adressé aux présidents des deux chambres et aux commissions de la culture, FO appelle les députés et sénateurs à « éplucher » la décennie France Télévisions et l’affectation d’environ 2,8 milliards d’euros annuels. Le syndicat dénonce une « gouvernance erratique », des « sacrifices » imposés aux salariés alors que « les sociétés de production privées prospèrent » via l’externalisation, et pointe un budget 2025 voté en déficit. Au-delà de l’instantané, FO demande une vision continue : mesurer les effets cumulatifs des choix de gestion, des suppressions de recettes (redevance et publicité partielle), et des paris numériques.
Cette exigence de transparence tombe au moment où l’Arcom a reconduit Delphine Ernotte pour un troisième mandat. Elle s’articule aussi avec des critiques éditoriales internes, de l’omission d’intérêts dans certaines émissions emblématiques au choix des visages pour les rendez-vous d’info. Le message est clair : avant d’embrayer sur une future holding de l’audiovisuel public, il faudrait solder le passé proche !
Reconduction contestée, audiences à la traîne
La CFE-CGC, par la voix de Jean-Jacques Cordival, a, elle, saisi la justice pour contester la procédure de reconduction. Au dossier : irrégularités alléguées, mais aussi un réquisitoire sur la stratégie. L’échec de Salto, abandonné avec une perte sèche estimée à 90 millions d’euros, reste un symbole.
Le rajeunissement de l’audience n’a pas été au rendez-vous, la chaîne d’info publique peine à dépasser 1 % et la plateforme france.tv, priorisée, n’a pas encore démontré un effet d’entraînement à la hauteur des investissements.
Sur le terrain social, la dénonciation des accords collectifs a braqué les organisations syndicales qui y voient un « chaos social » et un mouvement de polyvalence subie. Le virage numérique sert d’argument, mais les salariés redoutent une dégradation des métiers, hors plan social assumé.
Sur la mission culturelle, la critique vise moins l’existence d’offres comme Culturebox que leur visibilité et la concentration des achats chez quelques grands producteurs. À l’heure des arbitrages budgétaires, le soupçon est que l’injonction à faire « plus de numérique » sert de paravent à une réduction de voilure, sans stratégie éditoriale suffisamment différenciante.
Offensive contre la « galaxie Bolloré » et effet boomerang
En parallèle, Delphine Ernotte a durci le ton contre CNews et Europe 1, médias du groupe Lagardère, qualifiant la première de « chaîne d’extrême droite ». Cette posture, saluée à gauche par certains au nom de la défense du service public, a braqué d’autres acteurs : accusation de « déclaration de guerre », mise en cause d’une « politisation » du service public, et rappel par l’Arcom de l’exigence d’impartialité.
FO et la CFE-CGC ramènent le débat au cœur : trajectoire financière, efficacité des choix, qualité du dialogue social, gouvernance. Une commission d’enquête permettrait d’objectiver budgets, résultats, externalisations, achats et performances par genre, y compris l’échec Salto, le positionnement de france.tv, la politique d’info, et les effets des réformes en cours. Elle éclairerait aussi la cohérence d’un projet de holding qui prétend mutualiser sans clarifier.
L’addition des fronts ouverts rend le début de troisième mandat d’Ernotte périlleux : si l’offensive contre les médias concurrents mobilise les partisans, elle n’éteint ni le doute interne ni les questions parlementaires et surtout elle ne masque pas les chiffres catastrophiques d’une présidence qui a pourtant été prolongée de 5 ans… sans compter les avertissements de la Cour des comptes, sur lesquels nous reviendrons.
Voir aussi : Delphine Ernotte, portrait
Rodolphe Chalamel


















