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Pologne : quand Bruxelles couvre la mise au pas du régulateur des médias

21 décembre 2025

Temps de lecture : 8 minutes
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Pologne : quand Bruxelles couvre la mise au pas du régulateur des médias

Temps de lecture : 8 minutes

Pologne : quand Bruxelles couvre la mise au pas du régulateur des médias

Même si l’on n’évoque pas le sujet très sou­vent à l’Observatoire du jour­nal­isme, la dérive autori­taire, soutenue depuis Brux­elles, de la démoc­ra­tie libérale en Pologne sem­ble se pour­suiv­re à un rythme soutenu, et ce n’est pas sans inci­dences sur les médias ain­si que sur leurs autorités de régulation.

KRRiT, l’ARCOM polonais

Car si, dans le cas français, l’indépendance de l’autorité de régu­la­tion des médias, l’ARCOM, vis-à-vis du pou­voir exé­cu­tif est une chimère et tout le monde le sait, en Pologne en revanche, le Con­seil nation­al de la radio et de la télévi­sion (KRRiT), l’organe con­sti­tu­tion­nel indépen­dant chargé de super­vis­er les médias, est tou­jours dom­iné par des proches du pou­voir con­ser­va­teur qui était en place de 2015 à 2023. De ce fait, il n’est pas encore aux ordres du gou­verne­ment de Don­ald Tusk.

L’organisme de régulation polonais se rebiffe

Ain­si, après que ce dernier eut pris le con­trôle des médias publics une semaine après son retour au poste de Pre­mier min­istre en util­isant la force et en piéti­nant la loi en vigueur, le KRRiT a fait deux choses qui ont forte­ment déplu à Don­ald Tusk et à sa majorité par­lemen­taire. Une majorité qui va de son par­ti cen­triste à l’extrême gauche.

La pre­mière chose, c’était de retenir le verse­ment de la rede­vance aux médias publics en rai­son des doutes sur la légitim­ité de leur nou­velle direc­tion et de dépos­er les sommes en ques­tion sur un compte de dépôt auprès du tri­bunal com­pé­tent. La deux­ième chose con­cer­nait deux chaînes télévisées d’information en con­tinu, à sen­si­bil­ité de droite : le KRRiT leur a accordé des licences pour émet­tre sur la TNT. Résul­tat : elles ont toutes deux vu leur audi­ence explos­er. L’une d’entre elles, TV Repub­li­ka, est même dev­enue en deux ans la pre­mière chaîne d’information en con­tinu en Pologne, tan­dis que la deux­ième, wPolsce24, qui a démar­ré en sep­tem­bre 2024, a désor­mais dépassé la chaîne publique d’information en con­tinu, TVP Info. Celle-ci a certes été désertée par une bonne par­tie de ses téléspec­ta­teurs après le putsch opéré juste avant Noël 2023. Mais cette année, wPolsce24 est égale­ment passée devant une autre chaîne d’information en con­tinu, Pol­sat News, et est main­tenant la troisième chaîne de ce type la plus regardée en Pologne, der­rière TVN24. Cette dernière, comme Pol­sat News et TVP Info, affiche une ligne édi­to­ri­ale gau­cho-libérale et pro-gouvernementale.

Le président de l’Autorité de régulation : l’homme à abattre

Le prési­dent du KRRiT, Maciej Świrs­ki, est donc devenu l’homme à abat­tre, et ce encore plus après l’élection prési­den­tielle rem­portée par le can­di­dat de l’opposition de droite, Karol Nawroc­ki, au deux­ième tour de l’élection prési­den­tielle en juin dernier. Une défaite pour le camp gau­cho-libéral imputée en par­tie, à tort ou à rai­son, à la présence dans le paysage médi­a­tique de ces deux chaînes de télévi­sion favor­ables au camp con­ser­va­teur. Celles-ci sont sans sur­prise accusées par le camp gou­verne­men­tal de dif­fuser des fauss­es infor­ma­tions et d’inciter à la haine, et cer­tains politi­ciens de gauche appel­lent ouverte­ment à leur repren­dre leur place sur la TNT. L’attitude du pou­voir pro­gres­siste et européiste vis-à-vis des médias de droite n’est donc pas très dif­férente en Pologne et en France, où la chaîne C8 en a déjà fait les frais, à titre d’avertissement pour CNews et son pro­prié­taire Vin­cent Bol­loré. Néan­moins, Don­ald Tusk n’ayant pas le con­trôle de l’ARCOM polon­ais, il a choisi de met­tre son prési­dent en accu­sa­tion devant le Tri­bunal d’État, qui est l’équivalent polon­ais de notre Cour de jus­tice de la République. Comme en France, la majorité des « juges » de ce tri­bunal sont nom­més par les deux cham­bres du Par­lement, et l’actuel Tri­bunal d’État polon­ais est donc entre les mains de la coali­tion dirigée par Don­ald Tusk. Le prési­dent de ce tri­bunal est toute­fois la prési­dente de la Cour de cas­sa­tion polon­aise, la Cour suprême, qui, elle, a été nom­mée sous la majorité précé­dente par le prési­dent con­ser­va­teur Andrzej Duda.

Conflit entre le Parlement et la Cour suprême

Ain­si, si la Diète (la cham­bre basse du Par­lement polon­ais) a bien validé à la fin du mois de juil­let la tra­duc­tion du prési­dent du KRRiT devant le Tri­bunal d’État, la prési­dente de la Cour suprême, elle, refuse de con­vo­quer ce tri­bunal, ce qu’elle seule peut faire.

Si elle s’y refuse, c’est notam­ment parce que le Tri­bunal con­sti­tu­tion­nel polon­ais a indiqué deux semaines avant le vote de la Diète que la loi per­me­t­tant de traduire le prési­dent du KRRiT devant le Tri­bunal d’État est non con­forme à la Con­sti­tu­tion polon­aise. En sub­stance, c’est parce que la loi en ques­tion prévoit la sus­pen­sion automa­tique du man­dat du prési­dent de KRRiT si la Diète décide de l’envoyer devant le Tri­bunal d’État, ce qui revient à don­ner à la Diète le pou­voir de sus­pendre le prési­dent du KRRiT par un vote à la majorité sim­ple, alors que l’indépendance de cet organe de super­vi­sion des médias est garantie par la Constitution.

Tusk soutenu par Bruxelles

Cepen­dant, depuis le print­emps 2024, le gou­verne­ment de Don­ald Tusk, fort du sou­tien de la Com­mis­sion européenne, refuse de pub­li­er et d’appliquer les juge­ments de son Tri­bunal con­sti­tu­tion­nel. Si nous pou­vons par­ler ici d’un sou­tien de la Com­mis­sion européenne, c’est parce que celle-ci a rapi­de­ment déblo­qué les mil­liards des fonds européens retenus à l’époque du gou­verne­ment du par­ti con­ser­va­teur Droit et Jus­tice (PiS), qu’elle a mis fin à la procé­dure de sanc­tion au titre de l’article 7 du traité sur l’UE (qui ne vise désor­mais plus que la Hon­grie de Vik­tor Orbán), et que, con­tre toute évi­dence, elle fait état d’une nette amélio­ra­tion de la sit­u­a­tion en Pologne dans son dernier rap­port annuel sur l’État de droit.

Une des entors­es à l’État de droit com­mis­es par le gou­verne­ment de Don­ald Tusk dès le mois de jan­vi­er 2024, soit un mois après son intro­n­i­sa­tion, sans que cela ne gêne la Com­mis­sion européenne qui avait déjà détourné le regard au moment de la prise de con­trôle illé­gale des médias publics polon­ais, c’est la prise de con­trôle illé­gale du Par­quet. En jan­vi­er 2024, le min­istre de la Jus­tice de Don­ald Tusk a en effet démis de ses fonc­tions le pro­cureur nation­al sans l’accord du prési­dent Duda. Un accord qui est pour­tant req­uis par la loi polon­aise. Après la nom­i­na­tion d’un nou­veau pro­cureur nation­al, le ménage a été fait au Par­quet et les pro­cureurs mis en place par le gou­verne­ment de Don­ald Tusk deman­dent désor­mais que la prési­dente de la Cour suprême soit elle aus­si traduite devant le Tri­bunal d’État. C’est donc une rai­son sup­plé­men­taire pour celle-ci de ne pas con­vo­quer une séance de cette cour d’exception qu’elle pré­side, mais qui est dom­inée par les politi­ciens de l’actuelle majorité parlementaire.

Il n’empêche que Maciej Świrs­ki, le prési­dent du Con­seil nation­al de la radio et de la télévi­sion (KRRiT), a mal­gré tout per­du la prési­dence de l’autorité des médias polon­ais à la fin du mois de juil­let par déci­sion des autres mem­bres du Con­seil, majori­taire­ment proches du PiS, comme lui. Il sem­blerait qu’il y ait eu des pres­sions de la part de la direc­tion du PiS afin de sor­tir le KRRiT de la ligne de mire quelques jours avant l’investiture du prési­dent Nawroc­ki, prévue pour le 6 août, et alors que l’on craig­nait que Don­ald Tusk et ses amis ne cherchent à blo­quer cette investiture.

Coup d’État rampant

Ce n’est pas une plaisan­terie : le prési­dent de la Diète lui-même, Szy­mon Hołow­n­ia, chef d’un par­ti cen­triste mem­bre de la coali­tion anti-PiS de Don­ald Tusk, a affir­mé sur la chaîne Pol­sat News en juil­let dernier avoir subi des pres­sions pour refuser de con­vo­quer la séance extra­or­di­naire de la Diète au cours de laque­lle le nou­veau prési­dent devait prêter ser­ment afin de pou­voir pren­dre ses fonc­tions. Celui qui aurait été appelé à exercer la fonc­tion prési­den­tielle à titre pro­vi­soire en l’absence d’un nou­veau prési­dent en place à l’expiration du man­dat de l’ancien a affir­mé avoir résisté à ce qu’il a lui-même appelé une ten­ta­tive de « coup d’État ». En févri­er, c’est le prési­dent du Tri­bunal con­sti­tu­tion­nel qui avait saisi le Par­quet pour ce qu’il esti­mait déjà être un « coup d’État ram­pant » de la part de la coali­tion gau­cho-libérale soutenue par Bruxelles.

Don­ald Tusk lui-même a revendiqué utilis­er les out­ils non démoc­ra­tiques et pas tou­jours con­formes au droit de la « démoc­ra­tie com­bat­ive » afin de « restau­r­er l’État de droit » et d’empêcher le retour au pou­voir des « pop­ulistes ». Avec le sou­tien de Brux­elles toujours…

Mais cela ne se fait pas sans dif­fi­cultés. En témoigne la pop­u­lar­ité de ces deux chaînes de télévi­sion qui tirent à boulets rouges sur ce gou­verne­ment soutenu par Brux­elles. Maciej Świrs­ki le déclarait ouverte­ment alors qu’il était encore prési­dent du KRRiT : la déci­sion de leur accorder une licence pour émet­tre sur la TNT avait été motivée par la volon­té, après la prise de con­trôle de la télévi­sion publique par le gou­verne­ment de Tusk et alors que les deux grands groupes télévisés privés (TVN et Pol­sat) déjà présents sur la TNT avaient une ligne édi­to­ri­ale libérale-lib­er­taire et européiste, de réin­tro­duire un cer­tain plu­ral­isme dans l’audiovisuel polon­ais. Comme l’a fait remar­quer Świrs­ki dans cette inter­view pour TV Repub­li­ka, c’était juste­ment pour éviter que le paysage médi­a­tique polon­ais devi­enne comme celui de cer­tains pays d’Europe occi­den­tale « où les médias sont prin­ci­pale­ment gaucho-libéraux ».

Patrice Regal­s­ki

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