Près de 200 médias français, de TF1 au Figaro, poursuivent Meta pour « pratiques illégales » liées à la collecte illicite de données personnelles. Ils accusent la firme de Mark Zuckerberg d’avoir capté des revenus publicitaires en violant le RGPD, causant un préjudice économique massif.
Depuis le 22 avril 2025, une coalition inédite de 200 médias français, incluant des géants comme TF1, France Télévisions, Le Figaro, Les Echos-Le Parisien, Prisma, et des titres régionaux tels que Ouest-France ou La Voix du Nord, a porté plainte contre Meta au tribunal des activités économiques de Paris. Ces médias mettent en cause des « pratiques commerciales déloyales » fondées sur une collecte massive et illicite de données personnelles, en violation du Règlement général sur la protection des données (RGPD), entré en vigueur en mai 2018.
Selon les plaignants, Meta aurait profité de la période où les médias mettaient en place des mécanismes de consentement pour leurs utilisateurs pour continuer à recueillir des données sans autorisation, alimentant ainsi une publicité ultraciblée. Cette stratégie aurait permis à Meta de capter une part disproportionnée des investissements publicitaires, au détriment des éditeurs respectueux des règles européennes.
Des centaines de millions d’euros en jeu
Les avocats des médias estiment que cette pratique a engendré un préjudice économique massif. Marc Feuillée, directeur général du groupe Le Figaro, résume l’enjeu :
« En respectant la loi, nous avons été pénalisés. La concurrence doit se faire sur les mérites, pas sur le contournement des règles. »
Les plaignants dénoncent ainsi un avantage concurrentiel « obtenu illégalement » par Meta, qui aurait siphonné des dizaines, voire des centaines de millions d’euros de revenus publicitaires.
Cette action collective n’est pas isolée. En décembre 2023, l’Association des médias d’information espagnole, représentant plus de 80 entreprises, a engagé une procédure similaire contre Meta, réclamant 550 millions d’euros pour des violations du RGPD entre 2018 et 2023. Cette plainte, qui s’appuie sur une décision de l’autorité irlandaise de protection des données (DPC) de décembre 2022, sera jugée en octobre 2025. La DPC avait déjà sanctionné Meta à plusieurs reprises : 405 millions d’euros en 2022 pour des manquements dans le traitement des données de mineurs, et 265 millions d’euros la même année pour une protection insuffisante des données utilisateurs.
En novembre 2024, la Commission européenne avait, elle, infligé une amende de 798 millions d’euros à Meta coupable d’avoir enfreint les règles de la concurrence.
Plus récemment, en avril 2025, Meta a écopé d’une amende de 200 millions d’euros dans le cadre du Digital Markets Act (DMA), renforçant l’image d’une plateforme régulièrement dans le viseur des régulateurs européens.
Des tensions récurrentes entre Meta et les médias
Les relations entre Meta et les médias, en France comme à l’international, sont marquées par des conflits récurrents. En France, la question des droits voisins – la rémunération des éditeurs pour l’utilisation d’extraits de leurs contenus – a déjà donné lieu à des batailles judiciaires. En 2021, l’Autorité de la concurrence française avait infligé une amende de 500 millions d’euros à Google pour non-respect des droits voisins, poussant Meta à négocier des accords avec certains éditeurs français. Cependant, ces accords n’ont pas apaisé toutes les tensions. En novembre 2024, des médias comme Le Monde, Le Figaro et l’AFP ont poursuivi X, propriété d’Elon Musk, pour des motifs similaires, tandis qu’une cinquantaine d’autres ont attaqué Microsoft pour l’usage de leurs contenus sur Bing et LinkedIn.
À l’échelle mondiale, Meta a également été critiqué pour ses pratiques. En Australie, la loi de 2021 obligeant les plateformes à rémunérer les médias a conduit à un bras de fer, Meta menaçant de bloquer les contenus d’actualité avant de conclure des accords. Aux États-Unis, les éditeurs reprochent régulièrement à Meta de monopoliser les revenus publicitaires grâce à des pratiques opaques.
Un tournant pour les médias français
Cette plainte française marque une mobilisation sans précédent, réunissant presse écrite, audiovisuel public et privé et de sensibilités diverses. Si certains groupes, comme Le Monde ou M6, n’ont pas rejoint l’action, ils se réservent le droit d’agir ultérieurement, comme dans le cadre de la récente sanction contre Apple (150 millions d’euros pour abus de position dominante).
Ce combat illustre un enjeu crucial : rétablir une concurrence équitable dans un marché publicitaire dominé par les géants technologiques. L’issue de cette plainte pourrait redéfinir les rapports de force entre médias traditionnels et plateformes numériques, en France et au-delà.
L’enjeu dépasse par ailleurs les seuls gains financiers et rejoint des intérêts stratégiques notamment en matière d’influence.
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Rodolphe Chalamel