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Choix des mots, taire l’origine des migrants… Des médias signent une charte pour cacher la vérité sur l’immigration

15 mai 2025

Temps de lecture : 6 minutes
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Choix des mots, taire l’origine des migrants… Des médias signent une charte pour cacher la vérité sur l’immigration

Temps de lecture : 6 minutes

Sous cou­vert de déon­tolo­gie, un comité édi­to­r­i­al a dévoilé le 29 avril 2025, à locca­sion des Assis­es méditer­ranéennes du jour­nal­isme, une toute nou­velle charte visant à amélior­er le traite­ment médi­a­tique des ques­tions migra­toires. Décor­tiquée, la charte se révèle en réal­ité un nou­v­el out­il de con­trôle et de cen­sure des journalistes.

Une charte de l’autocensure

Le sujet est inflam­ma­ble. Aus­si, cer­tains jour­nal­istes ont décidé de se cen­sur­er davan­tage. Le 29 avril dernier, à l’occasion des Assis­es méditer­ranéennes du Jour­nal­isme à Mar­seille, une trentaine de médias ont signé une toute nou­velle charte déon­tologique, fruit d’une col­lab­o­ra­tion entre jour­nal­istes et chercheurs de gauche.

Bap­tisée « Charte de Mar­seille », cette charte a pour voca­tion, sur le papi­er, « de répon­dre — avec rigueur et human­ité — aux défis jour­nal­is­tiques liés aux migra­tions ». En clair, la charte, présen­tée comme un guide pour une cou­ver­ture médi­a­tique « pré­cise, com­plète et respectueuse » des ques­tions migra­toires, pré­tend ori­en­ter les jour­nal­istes vers un traite­ment éthique des migra­tions sur la base de « textes déon­tologiques de référence » (par­mi lesquels les chartes de Rome et d’Idomeni sur le traite­ment des migrations).

Cacher l’origine et la religion

Dans les faits pour­tant, c’est une véri­ta­ble liste à la Prévert de con­signes visant à brid­er encore davan­tage l’information sur l’immigration qu’a enten­du soumet­tre — sous cou­vert de déon­tolo­gie — un comité édi­to­r­i­al com­posé de Gui­ti News (pre­mier média « fran­co-exilé », porté par des jour­nal­istes réfugiés et français), du syn­di­cat SNJ, de l’association Jour­nal­isme et Citoyen­neté et du réseau IJNet en français.

S’adressant aux jour­nal­istes pro­fes­sion­nels et aux pro­fes­sion­nels de l’information, la charte est ain­si déclinée en onze principes tous, a pri­ori, plus louables les uns que les autres. Au menu, on retrou­ve notam­ment : le respect de la dig­nité des per­son­nes, la lutte con­tre les stéréo­types, ou encore la néces­sité de con­tex­tu­alis­er les faits migratoires.

Voir aus­si : « Immi­gra­tion, idéolo­gie et souci de la vérité » : retour sur un essai passé inaperçu

À y regarder de plus près, la charte entend impos­er aux jour­nal­istes un cadre idéologique restreignant leur lib­erté à délivr­er une infor­ma­tion trans­par­ente, notam­ment en ce qui con­cerne les affaires de jus­tice impli­quant des per­son­nes d’origine étrangère.

Dans le détail, au milieu de nom­breuses banal­ités (comme enjoin­dre les jour­nal­istes à fournir des infor­ma­tions « véri­fiées, sour­cées, et con­tex­tu­al­isées »), la charte recom­mande ain­si aux jour­nal­istes « de ne men­tion­ner l’origine, la reli­gion ou l’ethnie que s’ils esti­ment que cela est per­ti­nent pour l’information du public ».

En clair, les jour­nal­istes sig­nant cette charte s’en­ga­gent donc à cacher — sauf excep­tions — la reli­gion ou l’o­rig­ine des migrants impliqués dans des affaires de jus­tice ou lors de reportages. Qui va juger si cela est per­ti­nent ? En fonc­tion de quels a pri­ori ? Une com­mis­sion de cette charte sera-t-elle man­datée pour en juger ? La ques­tion, là, reste en suspens.

Privilégier l’émotionnel au détriment des faits

Plus loin, la charte recom­mande égale­ment de « ne pas invis­i­bilis­er les per­son­nes migrantes » et appelle à don­ner « la parole aux per­son­nes con­cernées ». Qu’importe donc que le réc­it livré soit hon­nête ou non. Rap­pelons d’ailleurs qu’en 2018, la jour­nal­iste et mil­i­tante cana­di­enne Lau­rent South­ern révélait, dans une séquence cap­tée en caméra cachée, com­ment des ONG appre­naient aux migrants à « men­tir » et jouer la « comédie ».

L’exigence des arti­cles 5 et 9 de « don­ner la parole aux per­son­nes con­cernées », de « lut­ter con­tre les stéréo­types » et d’éviter le « traite­ment au cas par cas » reste, par ailleurs, une injonc­tion « à priv­ilégi­er des réc­its com­pas­sion­nels, au détri­ment d’une analyse objec­tive des con­séquences de l’immigration mas­sive », souligne de son côté Fron­tières, rap­pelant que les chiffres, pour­tant implaca­bles (comme les 323 260 pre­miers titres de séjour délivrés en France en 2023, un record his­torique) « sont rarement mis en avant dans les médias sig­nataires, qui préfèrent des por­traits émou­vants aux réal­ités statistiques ».

Former/déformer les journalistes

Pire encore, la Charte enjoint les jour­nal­istes à être « vig­i­lant sur les ter­mes » qu’ils emploient afin d’éviter « amal­games et approx­i­ma­tions ». « Migrant, immi­gré, réfugié, étranger ou deman­deur d’asile n’ont pas la même sig­ni­fi­ca­tion », rap­pelle religieuse­ment la Charte aux jour­nal­istes, les som­mant de « veiller à employ­er les mots les plus appro­priés » et donc à diluer des réal­ités con­crètes dans un dis­cours complexe.

Voir aus­si : Meurtre d’Élias : les par­ents de l’adolescent rétab­lis­sent les faits cachés par les médias

Enfin, dernier point et non des moin­dres, la charte recom­mande de dévelop­per des reportages col­lab­o­rat­ifs avec des rédac­tions étrangères et appelle à une « for­ma­tion con­tin­ue » des jour­nal­istes sur les ques­tions migra­toires, inclu­ant des parte­nar­i­ats trans­frontal­iers et des col­lab­o­ra­tions avec des ONG comme France Terre d’Asile ou SOS Méditer­ranée. Or, rap­pelle Fron­tières, ces for­ma­tions, sou­vent dis­pen­sées par des acteurs acquis à la cause sans-fron­tiériste, « risquent de trans­former les rédac­tions en relais d’une idéolo­gie mon­di­al­iste, où la cri­tique de l’immigration devient taboue ».

Une trentaine de médias signataires

Cette ini­tia­tive qui, du pro­pre aveu du comité édi­to­r­i­al de la charte s’in­scrit dans un mou­ve­ment plus large de réflex­ion sur le rôle des médias dans la société, a d’ores et déjà été saluée par de nom­breux médias qui sont aujourd’hui une trentaine à s’être engagés à respecter ses préconisations.

Par­mi ces médias, on retrou­ve notam­ment Medi­a­part, Loop­sider, Reporterre mais aus­si de nom­breux médias sub­ven­tion­nés par l’État, par­mi lesquels L’Humanité, Poli­tis, La Mar­seil­laise ou encore Rue89Lyon.

Mais surtout, on retrou­ve par­mi les sig­nataires France Médias Monde, média de ser­vice pub­lic (305 mil­lions d’euros de bud­get par an) qui regroupe France 24, RFI et la radio Monte Car­lo Doualiya. Sur son site, RFI vante ain­si une charte qui con­tribue à « amélior­er la qual­ité de l’information » face à « la com­plex­ité des phénomènes migra­toires et à la mon­tée des dis­cours de haine ».

Des écoles de journalisme parmi les signataires

Cette charte est « une nou­velle étape dans l’évo­lu­tion des pra­tiques jour­nal­is­tiques » s’enorgueillit la chaîne sur son site, ajoutant que de nom­breuses écoles de jour­nal­isme et syn­di­cats sont égale­ment signataires.

La Charte de Mar­seille a en effet été signée par les prin­ci­paux syn­di­cats de jour­nal­istes français (SNJ, SNJ-CGT et CFDT Jour­nal­istes) et les écoles de jour­nal­isme de Lan­nion (vivi­er de tal­ents pour Medi­a­part), Tours et Cergy.

Une prise de posi­tion tranchée qui inter­roge : « Le fait de voir des écoles de jour­nal­isme sign­er cette charte pré­fig­ure l’émergence prochaine d’une généra­tion de jour­nal­istes for­més avec ce choix de ne pas informer totale­ment les Français en leur cachant une par­tie de la réal­ité », anticipe Claude Chol­let, prési­dent de l’Observatoire du journalisme.

Lorelei Ban­charel

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