Sous couvert de déontologie, un comité éditorial a dévoilé le 29 avril 2025, à l’occasion des Assises méditerranéennes du journalisme, une toute nouvelle charte visant à améliorer le traitement médiatique des questions migratoires. Décortiquée, la charte se révèle en réalité un nouvel outil de contrôle et de censure des journalistes.
Une charte de l’autocensure
Le sujet est inflammable. Aussi, certains journalistes ont décidé de se censurer davantage. Le 29 avril dernier, à l’occasion des Assises méditerranéennes du Journalisme à Marseille, une trentaine de médias ont signé une toute nouvelle charte déontologique, fruit d’une collaboration entre journalistes et chercheurs de gauche.
Baptisée « Charte de Marseille », cette charte a pour vocation, sur le papier, « de répondre — avec rigueur et humanité — aux défis journalistiques liés aux migrations ». En clair, la charte, présentée comme un guide pour une couverture médiatique « précise, complète et respectueuse » des questions migratoires, prétend orienter les journalistes vers un traitement éthique des migrations sur la base de « textes déontologiques de référence » (parmi lesquels les chartes de Rome et d’Idomeni sur le traitement des migrations).
Cacher l’origine et la religion
Dans les faits pourtant, c’est une véritable liste à la Prévert de consignes visant à brider encore davantage l’information sur l’immigration qu’a entendu soumettre — sous couvert de déontologie — un comité éditorial composé de Guiti News (premier média « franco-exilé », porté par des journalistes réfugiés et français), du syndicat SNJ, de l’association Journalisme et Citoyenneté et du réseau IJNet en français.
S’adressant aux journalistes professionnels et aux professionnels de l’information, la charte est ainsi déclinée en onze principes tous, a priori, plus louables les uns que les autres. Au menu, on retrouve notamment : le respect de la dignité des personnes, la lutte contre les stéréotypes, ou encore la nécessité de contextualiser les faits migratoires.
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À y regarder de plus près, la charte entend imposer aux journalistes un cadre idéologique restreignant leur liberté à délivrer une information transparente, notamment en ce qui concerne les affaires de justice impliquant des personnes d’origine étrangère.
Dans le détail, au milieu de nombreuses banalités (comme enjoindre les journalistes à fournir des informations « vérifiées, sourcées, et contextualisées »), la charte recommande ainsi aux journalistes « de ne mentionner l’origine, la religion ou l’ethnie que s’ils estiment que cela est pertinent pour l’information du public ».
En clair, les journalistes signant cette charte s’engagent donc à cacher — sauf exceptions — la religion ou l’origine des migrants impliqués dans des affaires de justice ou lors de reportages. Qui va juger si cela est pertinent ? En fonction de quels a priori ? Une commission de cette charte sera-t-elle mandatée pour en juger ? La question, là, reste en suspens.
Privilégier l’émotionnel au détriment des faits
Plus loin, la charte recommande également de « ne pas invisibiliser les personnes migrantes » et appelle à donner « la parole aux personnes concernées ». Qu’importe donc que le récit livré soit honnête ou non. Rappelons d’ailleurs qu’en 2018, la journaliste et militante canadienne Laurent Southern révélait, dans une séquence captée en caméra cachée, comment des ONG apprenaient aux migrants à « mentir » et jouer la « comédie ».
L’exigence des articles 5 et 9 de « donner la parole aux personnes concernées », de « lutter contre les stéréotypes » et d’éviter le « traitement au cas par cas » reste, par ailleurs, une injonction « à privilégier des récits compassionnels, au détriment d’une analyse objective des conséquences de l’immigration massive », souligne de son côté Frontières, rappelant que les chiffres, pourtant implacables (comme les 323 260 premiers titres de séjour délivrés en France en 2023, un record historique) « sont rarement mis en avant dans les médias signataires, qui préfèrent des portraits émouvants aux réalités statistiques ».
Former/déformer les journalistes
Pire encore, la Charte enjoint les journalistes à être « vigilant sur les termes » qu’ils emploient afin d’éviter « amalgames et approximations ». « Migrant, immigré, réfugié, étranger ou demandeur d’asile n’ont pas la même signification », rappelle religieusement la Charte aux journalistes, les sommant de « veiller à employer les mots les plus appropriés » et donc à diluer des réalités concrètes dans un discours complexe.
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Enfin, dernier point et non des moindres, la charte recommande de développer des reportages collaboratifs avec des rédactions étrangères et appelle à une « formation continue » des journalistes sur les questions migratoires, incluant des partenariats transfrontaliers et des collaborations avec des ONG comme France Terre d’Asile ou SOS Méditerranée. Or, rappelle Frontières, ces formations, souvent dispensées par des acteurs acquis à la cause sans-frontiériste, « risquent de transformer les rédactions en relais d’une idéologie mondialiste, où la critique de l’immigration devient taboue ».
Une trentaine de médias signataires
Cette initiative qui, du propre aveu du comité éditorial de la charte s’inscrit dans un mouvement plus large de réflexion sur le rôle des médias dans la société, a d’ores et déjà été saluée par de nombreux médias qui sont aujourd’hui une trentaine à s’être engagés à respecter ses préconisations.
Parmi ces médias, on retrouve notamment Mediapart, Loopsider, Reporterre mais aussi de nombreux médias subventionnés par l’État, parmi lesquels L’Humanité, Politis, La Marseillaise ou encore Rue89Lyon.
Mais surtout, on retrouve parmi les signataires France Médias Monde, média de service public (305 millions d’euros de budget par an) qui regroupe France 24, RFI et la radio Monte Carlo Doualiya. Sur son site, RFI vante ainsi une charte qui contribue à « améliorer la qualité de l’information » face à « la complexité des phénomènes migratoires et à la montée des discours de haine ».
Des écoles de journalisme parmi les signataires
Cette charte est « une nouvelle étape dans l’évolution des pratiques journalistiques » s’enorgueillit la chaîne sur son site, ajoutant que de nombreuses écoles de journalisme et syndicats sont également signataires.
La Charte de Marseille a en effet été signée par les principaux syndicats de journalistes français (SNJ, SNJ-CGT et CFDT Journalistes) et les écoles de journalisme de Lannion (vivier de talents pour Mediapart), Tours et Cergy.
Une prise de position tranchée qui interroge : « Le fait de voir des écoles de journalisme signer cette charte préfigure l’émergence prochaine d’une génération de journalistes formés avec ce choix de ne pas informer totalement les Français en leur cachant une partie de la réalité », anticipe Claude Chollet, président de l’Observatoire du journalisme.
Lorelei Bancharel