Ojim.fr
Veille médias
Dossiers
Portraits
Infographies
Vidéos
Faire un don
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
Buzzfeed et Trump : billard à trois bandes et plus si affinités

L’article que vous allez lire est gratuit. Mais il a un coût. Un article revient à 50 €, un portrait à 100 €, un dossier à 400 €. Notre indépendance repose sur vos dons. Après déduction fiscale un don de 100 € revient à 34 €. Merci de votre soutien, sans lui nous disparaîtrions.

15 janvier 2017

Temps de lecture : 7 minutes
Accueil | Veille médias | Buzzfeed et Trump : billard à trois bandes et plus si affinités

Buzzfeed et Trump : billard à trois bandes et plus si affinités

Temps de lecture : 7 minutes

Dans son article du New York Post (It’s open war between the media and Donald Trump, 11 janvier 2017), Michael Goodwin déplorait la dernière offensive lancée par CNN et Buzzfeed contre Donald Trump, visant à présenter Trump devenu agent russe à la suite d’un chantage sur ses pratiques sexuelles dépravées… et filmées. Avec, à la clé, une visite à Prague de son plus ancien bras-droit, l’avocat Michael Cohen (dont la femme est ukrainienne), pour rencontrer le FSB. John le Carré de retour…

Good­win se félic­i­tait égale­ment de la réac­tion de Trump, qui avait pris le tau­reau par les cornes lors de sa con­férence de presse du 10 jan­vi­er. En fait Trump a usé de la for­mule mag­ique des con­tre-attaques politi­ci­ennes, chères au cou­ple Clin­ton : nier, détourn­er, détruire.

La meilleure défense c’est l’attaque

Trump a d’abord nié sur le ton de la colère froide (pour une fois), pré­cisant qu’à la date de la ren­con­tre de Prague, Cohen était avec son fils en Cal­i­fornie, ajoutant que son passe­port ne men­tion­nait aucune sor­tie du ter­ri­toire améri­cain, rap­pelant enfin que les médias avaient recon­nu depuis qu’il s’agissait d’un autre Michael Cohen. Trump a égale­ment nié la par­tie salace, dans le reg­istre de l’humour grinçant : « tous ceux qui me con­nais­sent savent que je suis ger­mo­phobe! » Puis il a détourné le sujet sur les ser­vices secrets, leur reprochant (ou cer­tains de leurs agents) de trahir leur devoir de sécu­rité nationale, ce qui est légale­ment crim­inel, en « fui­tant » des infor­ma­tions non seule­ment erronées, mais délibéré­ment fausses.

Enfin il a détru­it CNN, rap­pelant que la chaîne était la seule des médias « main­stream » à pub­li­er une infor­ma­tion expurgée certes mais dra­ma­tique­ment alarmiste sur l’existence d’un chan­tage exer­cé par Vladimir sur Don­ald. Il rap­pela aus­si que les autres médias, soudain pudi­bonds, par exem­ple NBC (dont l’action­naire Com­cast est égale­ment celui de Buz­zfeed), con­sid­éraient l’information comme appar­tenant à la caté­gorie fauss­es nou­velles (Fake News). Ce qui a per­mis à Trump d’ostraciser en pub­lic, et avec morgue (« You are fake news! »), le jour­nal­iste de CNN Jim Acosta.

Trump a par ailleurs fait bon usage de son temps de parole, définis­sant ses plans d’action sur «Oba­macare » (assur­ance-san­té), le mur de la fron­tière mex­i­caine, les nom­i­na­tions à la Cour Suprême. Il pré­cisa égale­ment ses objec­tifs en matière de cyber sécu­rité (sor­tir un plan en cent jours), sans oubli­er d’égratigner l’industrie phar­ma­ceu­tique, qui perdit ain­si un mil­liard de cap­i­tal­i­sa­tion bour­sière en une heure, avant de se repren­dre. Sor­tait enfin le « gros morceau » : le trans­fert de ses affaires à ses deux fils dans un trust séparé.

Bref, les obser­va­teurs rete­naient que Trump, grâce à la polémique, avait « fait pass­er » des sujets risqués sans méchantes ques­tions (son busi­ness, le refus des mex­i­cains de financer le mur…), et qu’il avait ten­té une manœu­vre pour l’instant réussie de divi­sion des jour­nal­istes. Mais surtout, la sor­tie du com­mu­niqué de presse de James Clap­per, coor­di­na­teur de la machine féo­dale des dix-sept agences améri­caines de ren­seigne­ment, a remis quelques pen­d­ules à l’heure. En réal­ité, Trump était sor­ti gran­di de l’incident.

Trump  « poutinisé » : la nouvelle guerre froide interne

Il n’empêche que, selon Michael Good­win, l’opération représen­tait une escalade dans le « procès en pou­tin­i­sa­tion » de Trump orchestré par une par­tie des ser­vices secrets. Et de rap­pel­er que Chuck Schumer avait con­seil­lé à Trump de ne pas incom­mod­er les espi­ons (« tu les affrontes un jour, et ils ont six façons de te ren­dre la pareille »). Good­win con­clu­ait : « ce n’est pas un secret que la plu­part, sinon toutes, des agences de ren­seigne­ment voulaient Clin­ton à la Mai­son Blanche ». Ne serait-ce que parce qu’elle était prévis­i­ble ou con­ciliante à l’égard de de ces bas­tions budgé­ti­vores en quête con­stante de nou­veaux pro­jets et de nou­veaux financements.

Ce qui n’est peut-être pas le cas… du FBI, qual­i­fié le 4 novem­bre dernier de « Trum­p­land » par le Guardian. Le com­porte­ment erra­tique, pen­dant la cam­pagne prési­den­tielle, de son directeur James Comey, pour­rait ain­si s’expliquer par la « vive antipathie des agents à encon­tre d’Hillary Clin­ton… out­rés de voir leur directeur ne pas recom­man­der d’inculpation… ». Quoi qu’il en soit, l’inspecteur Général du Min­istère de la Jus­tice, Michael E. Horowitz, vient de recevoir le man­dat d’enquêter sur les agisse­ments de James Comey et de ses ser­vices, afin de véri­fi­er s’il a vio­lé les règles, éthiques ou autres. Encore une façon de dis­créditer l’élection de Trump.

Glenn Greenwald : les médias dominants complices

Dans son numéro du 11 jan­vi­er 2017, le site hos­tile au com­plexe mil­i­taro-indus­triel, The Inter­cept, résume sous la plume du lib­er­taire Glenn Green­wald (par ailleurs jour­nal­iste au Guardian), l’état de « guerre ouverte » entre Trump et les ser­vices secrets, qui représen­tent le « com­plexe » : « Ils utilisent les sales tac­tiques de la Guerre Froide, avec à la base ce que l’on définit main­tenant comme Fake News. Leur out­il le plus pré­cieux : les médias, [qui] révèrent, ser­vent, adhèrent, et se rangent du côté des fonc­tion­naires cachés du ren­seigne­ment ».Puis le jour­nal­iste admon­este les démoc­rates, trau­ma­tisés de la perte de l’élection comme de l’effondrement du par­ti : « chaque jour qui passe, ils divor­cent de la rai­son et sont prêts, impa­tients, à accepter toute reven­di­ca­tion, toute tac­tique, à s’aligner sur le mal, quel que soit l’aspect faux, indigne, et dom­mage­able de tels com­porte­ments ».

Green­wald con­cède ensuite que la prési­dence Trump pose prob­lème, décrivant les proces­sus clas­siques de la con­fronta­tion poli­tique, mais s’insurge de voir la gauche servir de claque pour la CIA. Il le con­firme à la télévi­sion (Fox News, 12 jan­vi­er). Ain­si la gauche tomberait dans le pan­neau, car en s’associant à des attaques aus­si viles, elles immu­nisent un Trump (qui a ample­ment démon­tré sa capac­ité de sur­vivre), con­tre toute attaque sur ses malver­sa­tions affairistes. Car per­son­ne n’y croira.

L’effet boomerang

Réca­pit­u­lons avec Bill O’Reilly, de Fox News, en une inter­pré­ta­tion libre, élargie :

Au départ les rivaux répub­li­cains de Trump recru­tent un pro­fes­sion­nel fouilleur d’ordures pour bâtir un dossier sur Trump. Le con­sul­tant est ensuite payé par la cam­pagne Clin­ton. Il pro­duit (il y a plusieurs mois) un pro­to­type des « infor­ma­tions Buz­zfeed ». Le séna­teur répub­li­cain McCain y a alors accès, partage le tout avec le séna­teur Gra­ham, et se con­tente de remet­tre cela à James Comey, du FBI, aux fins de véri­fi­ca­tion. Le doc­u­ment fuit dans la presse, mais per­son­ne ne le juge per­ti­nent ou exploitable. Clin­ton perd con­tre toute attente. Trump démarre sa péri­ode de tran­si­tion sur les cha­peaux de roue. La « con­tre-révo­lu­tion démoc­rate » s’organise autour d’un thème cen­tral, la Russie. Les « con­tre-révo­lu­tion­naires » sont ter­ror­isés de voir le fourbe Trump réus­sir, remon­ter dans les enquêtes d’opinion, dou­bler les médias et se mithri­da­tis­er grâce à la démoc­ra­tie directe.

Une alliance se forme donc entre les appa­ratchiks démoc­rates, les néo­cons, et les « Open Bor­ders ». Car si Trump réus­sit ses pre­miers cent jours, cela pour­rait sig­ni­fi­er « la fin de l’OTAN » en une année d’élections qui peut faire bas­culer France, Hol­lande et Alle­magne : le grand chelem de Pou­tine, en quelque sorte…

Trump doit donc être cam­pé en traitre, de même que devront l’être les par­tis sou­verain­istes européens. D’où la « fuite » organ­isée vers CNN qui provoque un effet d’annonce, repris par Buz­zfeed faisant le sale tra­vail, ce qui force tout le reste de la presse (qui avait refusé de jouer) à courir après le scoop. Or Trump s’en sort… et les néo­cons (Krautham­mer, Gra­ham sur Fox News le 12 jan­vi­er), main­tenant en repli, esti­ment un peu tard que le doc­u­ment Buz­zfeed est … une fab­ri­ca­tion russe, un faux, pour semer le désordre.

Ou pour relancer Trump et l’immuniser con­tre tout reproche de trahi­son? A suivre…

Voir aussi : Glenn Greenwald, au cœur de la nébuleuse des lanceurs d’alerte