Ojim.fr
Veille médias
Dossiers
Portraits
Infographies
Vidéos
Faire un don
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
Accueil des migrants : intox et infox , sur « l’Espagne qui a sauvé l’honneur de l’Europe »

L’article que vous allez lire est gratuit. Mais il a un coût. Un article revient à 50 €, un portrait à 100 €, un dossier à 400 €. Notre indépendance repose sur vos dons. Après déduction fiscale un don de 100 € revient à 34 €. Merci de votre soutien, sans lui nous disparaîtrions.

29 janvier 2019

Temps de lecture : 4 minutes
Accueil | Veille médias | Accueil des migrants : intox et infox , sur « l’Espagne qui a sauvé l’honneur de l’Europe »

Accueil des migrants : intox et infox , sur « l’Espagne qui a sauvé l’honneur de l’Europe »

Temps de lecture : 4 minutes

Durant l’été 2018, les médias nous ont tenu en haleine lorsque des bateaux d’ONG avec à leur bord des migrants africains étaient à la recherche d’un port européen pour accoster. Le gouvernement italien a en effet mis un terme au pont maritime organisé par ces associations entre la Libye et l’Italie. Heureusement, pour de nombreux médias, « l’Espagne a sauvé l’honneur de l’Europe » en accueillant des bateaux des ONG. Depuis que ces louanges ont été déclamées, quelques événements viennent en tempérer l’enthousiasme. Des événements curieusement passés sous silence dans les médias français.

Côté pile : l’honneur sauvé de l’Europe

Le 11 juin, selon L’Hu­man­ité, « seule l’Espagne a sauvé l’honneur : en annonçant sa volon­té d’offrir un point de chute aux 629 migrants (de l’Aquarius NDLR) con­damnés à l’errance ».

Le 12 juin, Libéra­tion est à l’unisson : « c’est finale­ment le nou­veau gou­verne­ment social­iste espag­nol qui a sauvé l’honneur ».

Le 19 juin, dans L’Express, le jour­nal­iste qui inter­viewe Bernard Kouch­n­er affirme : « Les Espag­nols ont finale­ment accueil­li les pas­sagers de l’Aquar­ius. Ils ont, in extrem­is, sauvé l’hon­neur de l’Eu­rope ! »

Des élé­ments de lan­gage qui sont aus­si repris dans Le Figaro par Anne Hidal­go le 29 juin : « La maire social­iste de Paris Anne Hidal­go, qui rece­vait aujour­d’hui le Pre­mier min­istre espag­nol Pedro Sanchez à l’Hô­tel de Ville, a estimé qu’il avait “sauvé l’hon­neur de l’Eu­rope” en rece­vant l’Aquar­ius, le bateau human­i­taire chargé de migrants ».

Le 14 août, Le Pro­grès et Le Dauphiné don­nent la parole à l’ancien min­istre com­mu­niste, Claude Gayssot, qui rap­pelle que « la dernière fois, il a fal­lu atten­dre des jours pour que l’Es­pagne sauve l’hon­neur de l’Eu­rope ».

Médi­a­part estime le 7 sep­tem­bre 2018 que « le chef du gou­verne­ment espag­nol Pedro Sánchez avait en quelque sorte sauvé l’honneur de l’Europe en accueil­lant dans le port de Valence l’Aquarius et les 629 migrants à son bord ».

Côté face : l’Espagne pays de transit et non de destination des migrants

Face à un tel con­cert de louanges, l’affaire sem­blerait enten­due. Néan­moins, en recoupant cer­taines infor­ma­tions, « l’honneur sauvé » de l’Europe par l’Espagne n’est pas aus­si idyllique qu’il n’y parait. Après l’accostage des bateaux des ONG, l’Espagne se mon­tre-t-elle clé­mente vis-à-vis des deman­deurs d’asile ?

L’Express nous informe le 31 octo­bre que « tous n’ont qu’un objec­tif, rejoin­dre la France ». « Parce qu’il est plus dif­fi­cile de tra­vailler dans la pénin­sule ibérique, où le taux de chô­mage reste de 15 %. Parce qu’en­fin ceux qui envis­agent de deman­der l’asile ont intérêt à effectuer les démarch­es en France, où 40 575 pro­tec­tions ont été accordées en 2017, plutôt qu’en Espagne (4 700 statuts délivrés) ». Le quo­ti­di­en El Diario nous apporte quelques infor­ma­tions sup­plé­men­taires à ce sujet : en Espagne, les délais de traite­ment sont longs, les crédits insuff­isants et les obsta­cles à l’accès à l’asile nom­breux, selon la Com­mis­sion espag­nole d’aide aux réfugiés.

Les navettes sem­blent aller bon train entre l’Espagne et le France :

Le 22 octo­bre, Le Figaro nous apprend que selon un polici­er français, les per­son­nes que son équipe vient d’interpeller à la fron­tière fran­co-espag­nole sont mali­ennes, guinéennes et maro­caines. « Les asso­ci­at­ifs côté espag­nol font miroi­ter aux migrants que la France va les accueil­lir. Ils leur don­nent 70 euros, et un bil­let de train ».

Le 26 août, le quo­ti­di­en anglais The Dai­ly Tel­graph con­sacre un arti­cle sur « l’Espagne (qui est) accusée de pouss­er les migrants vers le nord ».

Le 13 jan­vi­er 2019, le quo­ti­di­en alle­mand Die Welt développe ces infor­ma­tions : « le gou­verne­ment (espag­nol NDLR) s’affranchit des règles sur lesquelles l’Europe s’est mise d’accord. Car, dans les bus (affrétés pour trans­porter les migrants du sud vers le nord de l’Espagne, NDLR), se trou­vent des douzaines de per­son­nes qui ont atteint peu de jours aupar­a­vant le con­ti­nent européen. C’est l’Espagne qui serait com­pé­tente pour les procé­dures d’asile. Mais, en cette soirée du 5 jan­vi­er, l’un des deux bus fait le tra­jet de l’Andalousie à Barcelone, l’autre va à Bil­bao. Ces deux villes sont situées au nord du pays, la France est toute proche. L’Allemagne n’est qu’un peu plus loin. (…). L’État encour­age les migrants à quit­ter la pénin­sule ibérique pour aller vers le nord. (…). D’où les bus, payés par le gou­verne­ment, comme Madrid l’a con­fir­mé en réponse à notre demande ». (Tra­duc­tion Fdes­ouche).

Quelques jours plus tard, le jour­nal alle­mand fait état du débat poli­tique sus­cité en Alle­magne par ces pra­tiques controversées.

A ce jour, pas un mot dans les médias français sur ce sujet. On attend avec impa­tience que les nom­breuses rubriques de véri­fi­ca­tion de faits (Check­news de Libéra­tion, Factuel de l’AFP, Decodex (financé par Google) du Monde, etc.) s’en empar­ent et tem­pèrent la théorie de « l’honneur sauvé de l’Europe » par l’Espagne. On risque d’attendre longtemps.