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Pauvre presse francophone belge

18 juillet 2025

Temps de lecture : 6 minutes
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Pauvre presse francophone belge

Temps de lecture : 6 minutes

Pauvre presse francophone belge

La faute aux autorités, aux plateformes numériques et à l’IA ?

À l’an­nonce de la fusion entre les groupes de presse écrite fran­coph­o­ne belge IPM et Rossel, les jour­nal­istes et les syn­di­cats ont pub­lié un com­mu­niqué dans lequel ils dénon­cent « l’incapacité per­sis­tante des autorités poli­tiques et de régu­la­tion, aux niveaux belge et européen, à met­tre en place un cadre con­cur­ren­tiel sain et équitable entre médias et plate­formes numériques ». « Le temps presse, affir­ment-ils (sans inten­tion appar­ente d’un jeu de mots). Sans action déter­minée, le pil­lage des con­tenus par l’IA généra­tive accélér­era le déclin du secteur. » En bref, c’est la faute aux autorités, aux plate­formes numériques et à l’IA.

Les auteurs du com­mu­niqué insis­tent sur la néces­sité du plu­ral­isme des médias, « un plu­ral­isme réel et non de façade », et d’« une infor­ma­tion diver­si­fiée, de qual­ité et respectueuse de la déon­tolo­gie, sur l’ensemble du ter­ri­toire et sur toutes les matières […], dans un con­texte de dés­in­for­ma­tion galopante ». L’in­for­ma­tion, dis­ent-ils, est un bien pub­lic. C’est aus­si pré­cis que l’in­térêt général, cette notion fourre-tout qui, selon qui la définit, peut jus­ti­fi­er toutes les atteintes aux libertés.

Les jour­nal­istes et syn­di­cats de la presse offi­cielle fran­coph­o­ne belge ne devraient-ils pas bal­ay­er devant leur porte et s’in­ter­roger sur les dérives qui leur sont pro­pres, à com­mencer par la baisse de qual­ité de l’of­fre par manque d’au­t­o­cri­tique, frilosité édi­to­ri­ale et entre-soi rédac­tion­nel, et sur le mod­èle économique et la dépen­dance crois­sante aux aides publiques des maisons de presse ?

Un biais idéologique marqué

Pour par­ler d’une absence de plu­ral­isme, « réel et non de façade », le pre­mier reproche qui revient à l’é­gard de la presse écrite fran­coph­o­ne belge, en par­ti­c­uli­er chez des lecteurs qui ne parta­gent pas sa vision, est son biais idéologique mar­qué (écol­o­giste, égal­i­tariste, pro-européen et mon­di­al­iste). Ce phénomène, que l’on retrou­ve dans d’autres pays européens, est par­ti­c­ulière­ment pronon­cé dans la presse fran­coph­o­ne belge. Il s’ex­plique par une homogénéité soci­ologique des jour­nal­istes (de par leur for­ma­tion, leur cadre de vie urbain, leurs références cul­turelles), la polar­i­sa­tion crois­sante de leur pro­duc­tion (dont cer­tains thèmes ou points de vue sont ignorés), la dis­qual­i­fi­ca­tion automa­tique de cer­tains courants d’opin­ion sous cou­vert de vig­i­lance éthique ou de lutte con­tre « les » extrêmes.

À ce stade, la ques­tion se pose de ce que l’on entend par un jour­nal­isme réelle­ment plu­ral­iste dans un régime démoc­ra­tique, pour autant que la Bel­gique le soit encore, ce que le jour­nal­iste belge Ivan De Vad­der a con­testé avec moult argu­ments dans son essai Wan­hoop in de Wet­straat paru en 2022. (Quant à l’U­nion européenne, c’est une autre his­toire.) Il est un autre élé­ment qui inter­vient, le cor­don san­i­taire poli­tique et médi­a­tique appliqué à la belge, c.-à‑d. dif­férem­ment en Flan­dre et dans la par­tie fran­coph­o­ne du pays, autour de l’ex­trême droite par­lemen­taire, voire à la carte, sans la moin­dre procé­dure ni jus­ti­fi­ca­tion, dans le cas de cer­taines fig­ures poli­tiques, ostracisées en fonc­tion des cir­con­stances du moment. (Ça s’est vu à l’é­gard de la fig­ure de proue de la N‑VA en Wal­lonie lors des dernières élec­tions législatives.)

À force de ten­ta­tives d’in­fan­til­i­sa­tion du pub­lic fran­coph­o­ne belge par souci de le préserv­er des idéolo­gies qui vont à l’en­con­tre de la doxa offi­cielle, sa presse préserve-t-elle les « valeurs démoc­ra­tiques » ou pra­tique-t-elle tout sim­ple­ment une forme de cen­sure déguisée qui nour­rit le dés­in­térêt à son égard ? Le refus du débat con­tra­dic­toire ren­force l’im­pres­sion d’une presse enfer­mée dans ses dogmes, ce qui nuit à son orig­i­nal­ité et à sa qual­ité (vic­times du for­matage et de la répéti­tiv­ité des angles de vue), nuit à son rôle de force de réflex­ion et de con­tre-pou­voir et, finale­ment, nuit à la démocratie.

Incrim­in­er les plate­formes numériques et l’IA comme boucs émis­saires exclusifs des dif­fi­cultés de la presse fran­coph­o­ne belge, c’est aller à con­tre-courant de l’his­toire. Ce n’est pas une pre­mière en Bel­gique fran­coph­o­ne. Le prési­dent du Par­ti social­iste fran­coph­o­ne n’avait-il pas imag­iné en 2022 une Bel­gique sans e‑commerce ? En ce qui con­cerne la presse écrite fran­coph­o­ne belge, cela pose plusieurs prob­lèmes, intel­lectuels, stratégiques et moraux. La numéri­sa­tion du monde et l’IA sont des man­i­fes­ta­tions de l’évo­lu­tion tech­nologique. L’on s’adapte ou l’on reste en rade.

Un problème stratégique

Le prob­lème de la presse écrite fran­coph­o­ne belge n’est pas tech­nologique, mais stratégique : tout comme elle a refusé de s’adapter à l’évo­lu­tion de son lec­torat, elle a été inca­pable de tenir compte de l’évo­lu­tion tech­nologique et de se réin­ven­ter en entrant en dia­logue avec l’ensem­ble de ses lecteurs et en pro­posant des pod­casts de qual­ité et des for­mats inter­ac­t­ifs. Elle a préféré s’in­staller dans la dépen­dance aux aides publiques et la cul­ture de la plainte plutôt que d’ex­péri­menter et d’innover.

Ce n’est pas la tech­nolo­gie qui tue la presse, c’est l’inaction face à la tech­nolo­gie. L’in­crim­in­er, c’est une manière d’éviter les vraies ques­tions. Pourquoi le jour­nal­isme fran­coph­o­ne belge n’at­tire-t-il plus de jeunes esprits bril­lants ? (Ça ne date pas de hier, l’au­teur de cet arti­cle pour­rait per­son­nelle­ment en témoign­er.) Pourquoi les rédac­tions refusent-t-elles le plu­ral­isme d’opin­ions – « réel et non de façade » ? À quoi cela sert-t-il que les pou­voirs publics sub­ven­tion­nent l’u­ni­for­mité et la médi­ocrité ? Une presse forte dans le monde de demain ne sera pas celle qui se plaint du change­ment, mais celle qui s’en saisit, restant fidèle aux principes qui l’ont fondée.

Il ne faut pas chercher loin les com­para­isons. Il suf­fit de faire le par­al­lèle entre la presse fla­mande et la presse fran­coph­o­ne en Bel­gique : le con­traste est révéla­teur. La presse fla­mande est glob­ale­ment plus sta­ble, diver­si­fiée, plus cen­trée sur les intérêts du lecteur et rentable, ayant anticipé et embrassé tôt le virage numérique, empreinte d’une cul­ture de ser­vice, de coopéra­tion et de ges­tion. La presse fran­coph­o­ne pèche non seule­ment par son retard dans le domaine numérique, mais surtout par son homogénéité idéologique et son manque de diver­sité de ligne édi­to­ri­ale, sa cul­ture « moral­isante » et défen­sive (quand il s’ag­it de ses pro­pres intérêts), d’où son absence de renou­velle­ment stratégique à tous égards.

Com­ment s’en éton­ner ? D’après un por­trait datant de 2023, la majorité des jour­nal­istes se situent à la gauche du paysage poli­tique et, par­mi les moins de 35 ans, près d’un quart, à l’ex­trême gauche, ces ten­dances se trou­vant apparem­ment ren­for­cées chez les femmes. Près de trois quarts esti­ment être plus à gauche que le pub­lic auquel ils s’adressent. Le mil­i­tan­tisme et la prox­im­ité par­ti­sane sont toute­fois beau­coup plus mar­qués du côté fran­coph­o­ne. Cela s’est indécem­ment man­i­festé chez les agités du cor­don ombil­i­cal et san­i­taire (asymétrique) lors des dernières élec­tions lég­isla­tives belges. N’allez pas chercher ailleurs que dans l’é­cart entre les attentes du pub­lic et l’of­fre rédac­tion­nelle de la presse fran­coph­o­ne belge la rai­son pour laque­lle son lec­torat s’en détourne.

Source : lepalingenesiste.substack.com

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