Contre toute attente, le régime saoudien entame le retrait au pays de ses principaux médias audiovisuels, dont notamment les deux chaînes d’information en continu du même groupe, Al-Arabiya, Al-Hadath, basées à Dubaï, mégapole considérée comme une sorte de zone franche ou de base arrière politico-médiatique de la monarchie saoudienne.
Selon Reuters, ces deux médias installés dans le complexe Media City, à Dubaï, ont déjà commencé à affecter leurs équipes vers Riyad, dans le cadre d’un plan de relocalisation qui devrait se poursuivre jusqu’à fin de l’année 2025.
Une relocalisation, à quel prix ?
La décision semble murement réfléchie : tirant les enseignements d’une cohabitation qui leur profitait de moins en moins, les dirigeants saoudiens ont décidé de faire de leur capitale un nouveau « hub » régional. Ils ont même interdit aux administrations publiques de signer de nouveaux contrats avec des entreprises ayant leur siège à l’étranger. La question qui se pose est de savoir si les Saoudiens pourraient disposer de tous les atouts (liaisons avec les étrangers, présentatrices non voilées…) dont ils bénéficiaient aux Émirats.
Divergences Ryad / Abu Dhabi
En toile de fond, les divergences de vue apparues récemment entre Riyad et Abu Dhabi sur les grands enjeux géopolitiques qui agitent la région ont fini par déteindre sur leurs orientations médiatiques. Soucieux de préserver un positionnement plus équilibré, notamment sur la question palestinienne et les relations avec l’Iran, les Saoudiens ne s’accommodent plus des engagements ostentatoires de leurs alliés émiratis en faveur de l’État hébreu. Ils ne supportent plus de voir leurs porte-voix médiatiques (installés à Dubaï) confondus avec les médias émiratis et montrés du doigt par une partie de l’opinion arabe.
Longtemps brocardée et décrite comme « un suppôt de l’ennemi israélien » par des téléspectateurs qui lui reprochent de s’attaquer ouvertement à « la résistance » palestinienne, Al-Arabiya commence depuis peu à tempérer son discours. Elle se montre de plus en plus critique de la politique israélienne et, parallèlement, fait la part belle aux déclarations occidentales dénonçant les bombardements. Si cette chaîne continue de rapporter les justifications israéliennes (le « droit de protéger son peuple », etc.), elle ne se prive plus aujourd’hui de dire qu’une partie de l’opinion internationale désapprouve les actions de Tel Aviv.
Une volteface et des questions
Lancée en 2003 pour concurrencer Al-Jazeera, et détenue par le groupe MBC (aujourd’hui largement contrôlé par l’État saoudien), Al-Arabiya s’est rapidement imposée comme l’une des plus suivies du monde arabe. Assumant une ligne éditoriale farouchement anti-islamiste, elle a pris le risque de s’aliéner une large frange de la rue arabe au sujet de la question palestinienne. Le journal israélien Haaretz (joyeusement repris par le site pro-qatari, Al-Estiklal) rappelle, à ce propos, qu’Al-Arabiya invitait régulièrement des porte-parole de l’armée israélienne (Tsahal) en plateau, y compris son porte-parole, Daniel Hagari, dans les heures qui suivaient ses opérations militaires. Dans les réseaux sociaux, d’aucuns se demandaient si cette chaîne arabe n’était pas tout simplement une « émanation israélienne ». Ils s’‘indignaient aussi du fait que les journalistes d’Al-Arabiya – à l’instar de leurs confrères des médias émiratis – évitent d’appeler « martyrs » les Palestiniens tués sous les bombardements.
Virulence anti-Netanyahu
Cette tendance marque un tournant dans les couvertures médiatiques saoudiennes en général. Par exemple, la chaîne Al-Ekhbariya se distingue par un traitement étonnamment virulent du conflit israélo-palestinien. Elle qualifie Benyamin Netanyahu de « Premier ministre de l’occupation », issu « d’une famille sioniste extrémiste ». Une telle description n’aurait jamais été tolérée il y a quelques mois.
Des bouleversements sans limites dans la région
Dans un article, Al-Riyadh, quotidien pro-gouvernemental, rappelle « le droit du peuple palestinien à la résistance ». Lui emboîtant le pas, plusieurs titres de la presse locale multiplient des tribunes mettant en avant la sacralité de la cause palestinienne », et affirmant que la souveraineté palestinienne était une « ligne rouge » pour Riyad.
La levée de boucliers avait commencé en février dernier, lorsque le Premier ministre israélien avait suggéré l’idée de transférer la population de Gaza vers le territoire saoudien. Tous les médias saoudiens ont accusé Netanyahu de « folie ».
La guerre ouverte entre Israël et l’Iran est venue aggraver la fracture entre Riyad et Abu Dhabi. Dès le premier jour, le chef de la diplomatie saoudienne a condamné fermement les attaques, les qualifiant « d’agressions israéliennes flagrantes » portant « atteinte à la souveraineté d’un pays frère ».
Pour la première fois, les médias saoudiens, Al-Arabiya en tête, se montraient plus critiques envers Israël et son allié américain qu’Al-Jazeera, porte-étendard de « l’axe de la résistance ». Les bouleversements dans la région du Moyen-Orient n’ont plus de limites !
Mussa A.


















