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Les Émiratis partent à l’assaut de la presse britannique

5 juin 2025

Temps de lecture : 4 minutes
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Les Émiratis partent à l’assaut de la presse britannique

Temps de lecture : 4 minutes

Soucieux de sauver des entre­pris­es de presse en dif­fi­culté, le gou­verne­ment bri­tan­nique a pris une déci­sion auda­cieuse, mais qui sem­ble lourde de con­séquences. Il autorise, depuis le 15 mai 2025, les États étrangers à détenir jusqu’à 15% du cap­i­tal des jour­naux locaux.

Les Émi­ratis, à l’esprit tou­jours aus­si con­quérant, sont les pre­miers à s’y intéress­er. Ce n’est pas la pre­mière fois qu’ils sont par­tis à l’assaut de la citadelle médi­a­tique lon­doni­enne. En 2023, ils étaient sur le point de repren­dre le Tele­graph pour 1,2 mil­liard de livres des frères Barclay.

L’opération a été négo­ciée par Red­Bird IMI – coen­tre­prise améri­cano-émi­ratie pilotée par Jeff Zuck­er et financée en grande par­tie par le cheikh Man­sour bin Zayed Al Nahyan, vice-prési­dent des Émi­rats arabes unis. L’affaire a cap­té après l’intervention du gou­verne­ment con­ser­va­teur de l’époque, qui a inter­dit toute prise de con­trôle des médias par des étrangers. Red­Bird IMI fut alors con­traint de se retir­er, et le Tele­graph a dû chercher d’autres acquéreurs.

The Telegraph convoité

Cette nou­velle loi du 15 mai offre une nou­velle oppor­tu­nité aux alliés du Golfe. Au lende­main de cette annonce, une délé­ga­tion émi­ratie a été reçue à Down­ing Street pour vraisem­blable­ment dis­cuter des modal­ité d’application de ce texte. Selon The Guardian, le plan serait que Red­Bird (ver­sion améri­caine) rachète le Tele­graph, avec 15 % du finance­ment apportés par IMI – Inter­na­tion­al Media Invest­ments, hold­ing médi­a­tique lié à Man­sour bin Zayed. Autrement dit, les Émi­rats con­serveraient une « part de sym­bole » du cap­i­tal du journal.

Ces trac­ta­tions sus­ci­tent d’ores et déjà des inquié­tudes dans les milieux poli­tiques et médi­a­tiques en Grande-Bre­tagne : doit-on laiss­er un État autori­taire, les Émi­rats arabes unis en l’occurrence, se faire une place dans la presse occi­den­tale, même à hau­teur de 15 % ? D’aucun red­outent «une ingérence dans le con­tenu édi­to­r­i­al». L’éditorialiste con­ser­va­teur Fras­er Nel­son dénonce une con­ces­sion « indéfend­able », car, con­traire, selon lui, au sacro-saint principe de la lib­erté de la presse.

Menaces sur l’indépendance éditoriale

Le jour­nal­iste Andrew Neil est allé jusqu’à deman­der la démis­sion de la secré­taire d’État à la cul­ture et aux médias, Lisa Nandy, «faute de quoi, a‑t-il déclaré, la con­fi­ance dans l’indépendance de la presse sera détru­ite». Du côté de l’opposition, les libéraux-démoc­rates ont annon­cé qu’ils blo­queront la mesure aux Com­munes, dénonçant un «risque pour l’indépendance édi­to­ri­ale».

Au-delà de l’actualité bri­tan­nique, c’est le soft pow­er émi­rati qui inter­pelle. Les incur­sions des monar­chies pétrolières ou gaz­ières du Golfe – Qatar, Ara­bie saou­dite, Émi­rats arabes unis – dans les pays occi­den­taux font crain­dre une influ­ence nocive sur l’opinion publique. Les récentes révéla­tions sur la poli­tique d’entrisme des Frères musul­mans dans les insti­tu­tions français­es rap­pel­lent cette dure réalité.

Nonob­stant ses accoin­tances avec les puis­sances occi­den­tales sur le plan géos­tratégique, et son engage­ment anti-islamiste osten­ta­toire, le régime d’Abu Dhabi n’en est pas moins sus­pec­té d’exporter des idées incom­pat­i­bles avec les valeurs occi­den­tales. Il vaut rap­pel­er, à ce sujet, que les Émi­rats arabes unis sont au bas du classe­ment en matière de lib­erté de la presse (164e sur 180 pays).

Expansionnisme médiatique

L’agence Reuters rap­porte que Red­Bird IMI « avait exposé des plans ambitieux pour éten­dre rapi­de­ment ses médias dans les démoc­ra­ties du monde entier ». On sait déjà que le hold­ing émi­rati con­trôle le quo­ti­di­en anglo­phone The Nation­al, parais­sant à Abu Dhabi et pos­sé­dant un bureau à Lon­dres. Il détint aus­si les chaînes de télévi­sion Sky News Ara­bia (50 % via parte­nar­i­at) et CNN Ara­bic, et une par­tic­i­pa­tion dans Euronews. Des groupes émi­ratis finan­cent égale­ment des organes de la presse écrite basés à Lon­dres, comme le quo­ti­di­en Al-Arab (créé en 1977 et racheté en 2015).

Rad­ha Stir­ling, mil­i­tante des droits humains, sou­tient que la présence des régimes du Golfe dans les médias bri­tan­niques est «une forme de soft pow­erqui vise à détourn­er l’attention des abus de droits de l’homme dans la région. » Pour elle, toute ouver­ture des médias occi­den­taux à des investisse­ments de Doha ou d’Abu Dhabi dans Fleet Street, per­me­t­trait à ces régimes de «redor­er leur bla­son, tout en pesant sur la fab­rique de l’information».

À l’heure où trois groupes con­trô­lent 80 % de la presse écrite bri­tan­nique, cer­tains esti­ment que même un investisse­ment de 15 % peut suf­fire à ori­en­ter la ligne éditoriale.

Mus­sa A.

Voir aus­si : Rap­port sur les Frères musul­mans : com­ment une par­tie de la classe médi­a­tique défend l’entrisme islamique

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