Soucieux de sauver des entreprises de presse en difficulté, le gouvernement britannique a pris une décision audacieuse, mais qui semble lourde de conséquences. Il autorise, depuis le 15 mai 2025, les États étrangers à détenir jusqu’à 15% du capital des journaux locaux.
Les Émiratis, à l’esprit toujours aussi conquérant, sont les premiers à s’y intéresser. Ce n’est pas la première fois qu’ils sont partis à l’assaut de la citadelle médiatique londonienne. En 2023, ils étaient sur le point de reprendre le Telegraph pour 1,2 milliard de livres des frères Barclay.
L’opération a été négociée par RedBird IMI – coentreprise américano-émiratie pilotée par Jeff Zucker et financée en grande partie par le cheikh Mansour bin Zayed Al Nahyan, vice-président des Émirats arabes unis. L’affaire a capté après l’intervention du gouvernement conservateur de l’époque, qui a interdit toute prise de contrôle des médias par des étrangers. RedBird IMI fut alors contraint de se retirer, et le Telegraph a dû chercher d’autres acquéreurs.
The Telegraph convoité
Cette nouvelle loi du 15 mai offre une nouvelle opportunité aux alliés du Golfe. Au lendemain de cette annonce, une délégation émiratie a été reçue à Downing Street pour vraisemblablement discuter des modalité d’application de ce texte. Selon The Guardian, le plan serait que RedBird (version américaine) rachète le Telegraph, avec 15 % du financement apportés par IMI – International Media Investments, holding médiatique lié à Mansour bin Zayed. Autrement dit, les Émirats conserveraient une « part de symbole » du capital du journal.
Ces tractations suscitent d’ores et déjà des inquiétudes dans les milieux politiques et médiatiques en Grande-Bretagne : doit-on laisser un État autoritaire, les Émirats arabes unis en l’occurrence, se faire une place dans la presse occidentale, même à hauteur de 15 % ? D’aucun redoutent «une ingérence dans le contenu éditorial». L’éditorialiste conservateur Fraser Nelson dénonce une concession « indéfendable », car, contraire, selon lui, au sacro-saint principe de la liberté de la presse.
Menaces sur l’indépendance éditoriale
Le journaliste Andrew Neil est allé jusqu’à demander la démission de la secrétaire d’État à la culture et aux médias, Lisa Nandy, «faute de quoi, a‑t-il déclaré, la confiance dans l’indépendance de la presse sera détruite ». Du côté de l’opposition, les libéraux-démocrates ont annoncé qu’ils bloqueront la mesure aux Communes, dénonçant un « risque pour l’indépendance éditoriale ».
Au-delà de l’actualité britannique, c’est le soft power émirati qui interpelle. Les incursions des monarchies pétrolières ou gazières du Golfe – Qatar, Arabie saoudite, Émirats arabes unis – dans les pays occidentaux font craindre une influence nocive sur l’opinion publique. Les récentes révélations sur la politique d’entrisme des Frères musulmans dans les institutions françaises rappellent cette dure réalité.
Nonobstant ses accointances avec les puissances occidentales sur le plan géostratégique, et son engagement anti-islamiste ostentatoire, le régime d’Abu Dhabi n’en est pas moins suspecté d’exporter des idées incompatibles avec les valeurs occidentales. Il vaut rappeler, à ce sujet, que les Émirats arabes unis sont au bas du classement en matière de liberté de la presse (164e sur 180 pays).
Expansionnisme médiatique
L’agence Reuters rapporte que RedBird IMI « avait exposé des plans ambitieux pour étendre rapidement ses médias dans les démocraties du monde entier ». On sait déjà que le holding émirati contrôle le quotidien anglophone The National, paraissant à Abu Dhabi et possédant un bureau à Londres. Il détint aussi les chaînes de télévision Sky News Arabia (50 % via partenariat) et CNN Arabic, et une participation dans Euronews. Des groupes émiratis financent également des organes de la presse écrite basés à Londres, comme le quotidien Al-Arab (créé en 1977 et racheté en 2015).
Radha Stirling, militante des droits humains, soutient que la présence des régimes du Golfe dans les médias britanniques est « une forme de soft power qui vise à détourner l’attention des abus de droits de l’homme dans la région. » Pour elle, toute ouverture des médias occidentaux à des investissements de Doha ou d’Abu Dhabi dans Fleet Street, permettrait à ces régimes de «redorer leur blason, tout en pesant sur la fabrique de l’information».
À l’heure où trois groupes contrôlent 80 % de la presse écrite britannique, certains estiment que même un investissement de 15 % peut suffire à orienter la ligne éditoriale.
Mussa A.
Voir aussi : Rapport sur les Frères musulmans : comment une partie de la classe médiatique défend l’entrisme islamique