Le rapport sur les Frères musulmans commandé par le ministère de l’Intérieur fait couler beaucoup d’encre. Souvent, l’encre coule pour défendre les musulmans, que certains journaux estiment pris pour cible dans leur ensemble, en utilisant différents moyens pour contredire le rapport.
« Amis musulmans, faites-vous de l’entrisme ? »
Face au rapport sur l’entrisme des Frères musulmans dans la société française, il existe plusieurs types de réactions. Certains médias et articles relatent les mesures proposées par Bruno Retailleau en réaction à ce rapport et les navettes entre l’Elysée et le ministère de l’Intérieur. D’autres donnent la parole à ceux qui s’opposent au rapport. Ainsi, L’Express diffuse les propos de Manuel Bompard, coordinateur national de la France insoumise (LFI). Ce dernier a voulu réagir sur RTL, lors du Grand jury, au rapport et aux réactions qui l’entourent. Il a notamment fustigé Gabriel Attal, ancien Premier ministre et actuel chef du parti Renaissance, qui souhaite interdire aux filles de moins de 15 ans de porter le voile islamique.
Pour Manuel Bompard, qui aime à se dire féministe, il s’agit là d’une mesure « pathétique et pitoyable », parce qu’elle imposerait aux policiers de vérifier les cartes d’identité des jeunes filles dont l’âge serait douteux. De leur côté, Lyon Capitale et Lyon Mag donnent la parole au Conseil des mosquées du Rhône (CMR), qui contient une trentaine de mosquées.
Le CMR s’inquiète ainsi de « la suspicion persistante qui entoure les musulmans dans notre pays » et affirme que « les mosquées affiliées au Conseil des Mosquées du Rhône restent fermement attachées à un islam enraciné dans ses valeurs spirituelles, respectueux du cadre républicain et pleinement investi dans la vie collective. »
Les Frères musulmans, faux ennemi selon les médias
D’autres médias font un choix différent. Au lieu de défendre par intervenants interposés les musulmans qui se sentiraient menacés par le rapport, ils pointent d’autres ennemis.
Ainsi en est-il de La Croix, qui publie la tribune de Malik Bezouh, physicien et essayiste spécialiste de la question de l’islam en France. Selon lui, « le véritable ennemi, c’est le wahhabisme ». Mediapart se place dans cette ligne d’action en minimisant la menace représentée par les Frères musulmans. Selon ce journal, le rapport est « loin d’être aussi alarmiste que ce qu’a tenté de faire croire Bruno Retailleau » car les chiffres montrent « un repli de l’influence » des Frères musulmans ».
Cette thèse est partagée par The Conversation, qui interviewe Franck Frégosi, « spécialiste de l’islam français ». Selon lui, les Frères musulmans ont de moins en moins d’influence. Le rapport mélangerait mythes et réalité de terrain et passe du général au particulier sans réelle logique. Le Monde, lui, cite « plusieurs experts » selon lesquels « la diffusion de l’islam radical en France se fait par d’autres biais que celui de cette confrérie jugée déclinante. »
Léna Situations, symbole de l’islamophobie ou de l’entrisme ?
Libération se place également dans cette logique, en défendant Léna Mahfouf, alias Léna Situations, influenceuse. Elle portait, pour son arrivée au festival de Cannes, une robe blanche longue et ample et un voile couvrant partiellement ses cheveux attachés. Déborah Abisror-De-Liem, secrétaire générale du groupe Ensemble pour la République, l’a en conséquence associée à l’entrisme des Frères musulmans. Léna Mahfouf a ironiquement répliqué avoir « appris » qu’elle avait rejoint cette mouvance. Libération soutient l’influenceuse et précise que la robe « est signée The Row, marque de luxe américaine créée par les sœurs Olsen et connue pour ses créations minimalistes. » Léna Mahfouf étant « régulièrement au cœur de violentes vagues de cyberharcèlement, de commentaires misogynes et de remarques haineuses. Pour ses coupes de cheveux parfois, ses tenues souvent », la polémique se déplacera rapidement sur le harcèlement subi. D’autant que certains élus de gauche pointeront le droit des femmes à s’habiller comme elles veulent, un refrain par ailleurs assez connu dans le cadre de la défense du voile. Léna Mahfouf clôturera cette séquence par un mot pour les femmes musulmanes « qui vivent ces jugements au quotidien ».
Les médias de droite au secours du rapport
A l’inverse, certains médias de droite montrent en quoi les faits observés sur le terrain ou dénoncés par des élus rejoignent les conclusions du rapport. Le Journal du Dimanche fait ainsi remarquer que « Trois jours après la publication du rapport sur les Frères musulmans, dressant le portrait d’une France de plus en plus gangrenée par la mouvance qui poursuit son offensive idéologique à travers des lieux de culte, des écoles ou sur les réseaux sociaux, une femme politique est mis en cause pour avoir dénoncé cette situation. » Il s’agit d’Isabelle Surply, selon qui la mosquée Mili Gorus, à Saint-Chamond, accueillait des « islamistes ayant des discours dangereux ». Europe 1 abonde également dans le sens du rapport en donnant des exemples de « prédicateurs 2.0 », ces musulmans rigoristes qui diffusent une vision traditionnaliste de l’islam sur certains réseaux, comme Tik-tok. Ils peuvent par exemple inciter à porter l’abaya ou alerter sur le caractère « haram », autrement dit impur, de la musique.
Les Frères musulmans, mouvance en perte de vitesse ou toujours agissante et sans cesse plus forte ? Il reste difficile de le dire, car le propre de l’influence et d’agir à visage couvert. Il est probable qu’aucun musulman – frériste ou non — ne dira jamais « oui, je demande des menus de substitution à la cantine de mes enfants pour habituer la France aux lois islamiques et plus tard les lui imposer. » C’est tout l’intérêt d’un rapport ministériel, censé disposer d’importants moyens de renseignement. En tout cas, dans l’étude du rapport, les différents politiques feraient bien de ne pas oublier, qu’en bonne théologie, la plus grande victoire du diable, c’est de faire croire qu’il n’existe pas.