En relançant l’idée d’un « label » pour distinguer les médias « dignes de confiance » et en annonçant un nouveau référé contre les « infox attentatoires à la dignité », Emmanuel Macron prétend défendre la démocratie mais personne n’est dupe d’un possible filtre politique déguisé alors qu’une partie de la presse et les réseaux sociaux échappent désormais au pouvoir.
Au fil de ses échanges avec les lecteurs de la presse régionale, Emmanuel Macron a détaillé une nouvelle offensive contre la désinformation avec la création d’un label pour les sites d’information et les réseaux sociaux ainsi que la mise en place d’une procédure de référé accéléré contre certaines « infox ». Officiellement, il s’agit de protéger le débat public ; en pratique, le risque d’un tri entre « bons » et « mauvais » médias est évident, dans un paysage déjà très encadré et dans un contexte de guerre ouverte entre les médias publics et les médias du groupe Bolloré.
Un label pour les médias : entre « dignité » et soupçon de ministère de la Vérité
À Arras, devant des lecteurs de La Voix du Nord, le chef de l’État a dit vouloir « tout faire pour que soit mis en place un label » professionnel pour les réseaux sociaux et sites d’information, afin de signaler ceux qui seraient « dignes de confiance » et mieux lutter contre la désinformation. Il propose de distinguer les plateformes commerciales des médias « d’information » et renvoie l’attribution du label à des « professionnels », en citant explicitement comme référence la Journalism Trust Initiative (JTI) portée par Reporters sans frontières (RSF). Rappelons que cette association vient de voir l’Arcom contester ses accusations d’atteinte au pluralisme de la chaîne CNews.
Officiellement, pas de « ministère de la Vérité ». Mais dans un contexte où l’exécutif convoque des conseils de défense « informationnelle », l’idée d’un label adossé à une norme quasi-ISO élaborée avec RSF ouvre de facto la voie à un classement implicite : d’un côté les médias certifiés, de l’autre ceux que les pouvoirs publics, les grandes plateformes ou les annonceurs pourront écarter au motif qu’ils ne seraient pas « conformes ».
Décodex, JTI : des expériences de labellisation loin d’être neutres
Ce projet ne surgit pas dans le vide. Le précédent du « Décodex » du Monde a montré à quel point la tentation de labelliser la « fiabilité » des sites d’information peut dériver vers un système de notation idéologique. Le quotidien du soir a d’ailleurs dû abandonner son fameux « label vert », reconnaissant que son code couleur avait été perçu comme une forme d’« agence de notation » des autres médias.
La JTI, soutenue par RSF, va plus loin encore : véritable norme internationale, elle permet à des acteurs publics ou privés (États, plateformes, annonceurs, donateurs) de conditionner indexation algorithmique, revenus publicitaires ou subventions au respect de critères procéduraux et organisationnels, définis à l’avance et contrôlés par audit. À ce stade, difficile de voir la différence entre RSF et le groupe de pression d’extrême gauche Sleeping Giants.
Dans un tel cadre, la labellisation devient un instrument de sélection économique et réglementaire, potentiellement redoutable pour les médias indépendants ou dissidents.
Un référé « infox attentatoires à la dignité » : protection des victimes ou nouveau délit d’opinion ?
Dans le même mouvement, Emmanuel Macron a annoncé vouloir créer une nouvelle procédure de référé pour faire retirer en 48 heures les contenus qualifiés de « fausses informations attentatoires à la dignité », en particulier les deepfakes et montages à caractère sexuel ou diffamatoire.
Le président s’appuie ici sur des cas de cyberharcèlement bien réels, et sur sa propre expérience, ainsi que celle de son épouse, face aux rumeurs et images montées en ligne, relatés lors d’un échange avec des lecteurs du groupe EBRA dans les Vosges.
La protection des victimes est un objectif légitime. Mais la notion d’« infox attentatoire à la dignité » est juridiquement floue et, mal encadrée, pourrait s’étendre bien au-delà des montages pornographiques ou du cyberharcèlement pour viser des contenus purement politiques : enquêtes gênantes, caricatures, révélations embarrassantes.
Dans un paysage médiatique bouleversé par l’avènement des réseaux sociaux et l’apparition de médias allant à contre-sens de la doxa, le projet de label présidentiel ressemble moins à une défense abstraite de la vérité qu’à une tentative supplémentaire de structurer l’espace médiatique qui échappe de plus en plus à une élite politique qui se sent menacée.
Rodolphe Chalamel


















