Revenus en recul, plans d’économies, contrats annulés et pressions politiques : l’AFP affronte une zone de fortes turbulences. Dans un marché redessiné par l’IA et les plateformes, la question de son positionnement éditorial ressurgit. Le malaise dépasse le cas français et touche l’ensemble des grandes agences.
En quelques mois, l’Agence France-Presse a cumulé mauvaises nouvelles et signaux faibles qui deviennent inquiétants : prévision de recul des revenus commerciaux, programme d’économies de 12 à 14 millions d’euros d’ici fin 2026, clients perdus sur fond de tensions géopolitiques, fin de contrats américains (fact-checking Meta, Voice of America). Le tout sur fond de risques de terrain accrus et de critiques internes sur la gestion sociale.
Un modèle fragilisé par la tech… et les États
Le cœur de modèle des agences planétaires reposait sur des abonnements médias, des contrats publics et, plus récemment, des revenus B2B (fact-checking, data, services vidéo). Trois chocs l’ébranlent. D’abord, la crise des médias traditionnels avec moins de marges et plus de renégociations. Ensuite, la dépendance aux plateformes et réseaux sociaux qu’elle ne maîtrise pas. Enfin, la pression des États : annulations « brutales », restrictions d’accès, campagnes hostiles dans un contexte géopolitique tendu. Par ailleurs, en Amérique latine, en Europe centrale, au Sahel ou à Gaza, l’AFP a vu à la fois ses coûts opérationnels monter et ses débouchés se dérober du fait de l’instabilité des territoires couverts.
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L’AFP, une agence pas neutre et alignée dans un monde qui change
L’AFP défend son statut hybride : organisme autonome, missions d’intérêt général, compensation publique mais sans actionnaires. Cette singularité exige une indépendance éditoriale lisible. Or la polarisation mondiale transforme chaque choix lexical en marqueur politique. La controverse récurrente sur les qualifications (« terroriste », « islamiste », etc.) nourrit une perception de biais chez des clients ou décideurs de la même manière que le traitement de la guerre en Ukraine a pu être envisagé, naturellement avec un point de vu très occidental, au risque de se mettre à dos la Russie et des Etats en quête d’une lecture moins absolu du conflit. Le positionnement politique de l’AFP, corroboré par les centaines de milliers de dollars de l’agence américaine USAID, a également mis en lumière les influences qui peuvent toucher l’agence française.
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AP, Reuters, EFE, DPA : personne n’est à l’abri
Le problème dépasse Paris. AP (Etats-Unis) voit ses revenus publicitaires B2B et ses accords plateformes sous pression, tout en finançant un réseau mondial coûteux. Reuters (Royaume-Uni), dispose d’un coussin data/fintech mais subit la même crise. EFE (Espagne) et DPA (Allemagne) arbitrent, elles aussi, entre présence internationale, contraintes budgétaires et crispations politiques nationales. Partout, l’IA bouleverse les habitudes des grandes agences de presse : génération de dépêches basiques, audio-photo automatisés, traduction neuronale. Si les agences n’investissent pas assez, elles décrochent ; si elles investissent sans nouveaux revenus, elles creusent le déficit.
La survie des grandes agences n’est pas impossible mais cela impliquera des choix parfois audacieux et toujours difficile notamment en matière d’investissement dans des outils IA pour accroître la productivité sans brader la signature, en sécurisant des contrats pluriannuels avec des clauses anti-revirement et afficher une charte de transparence éditoriale simple, compréhensible par des clients non européens.
Rodolphe Chalamel

















