En résumé :
- Une demande de censure politique ? Pavel Durov affirme avoir été sollicité par un intermédiaire lié aux services français pour censurer des canaux moldaves avant l’élection présidentielle.
- Un refus de Durov : un premier lot de chaînes, réellement en infraction avec les règles de Telegram, a été supprimé ; une seconde liste, essentiellement politique, a été rejeté
- Instrumentalisation politico-judiciaire : Durov dénonce une tentative d’instrumentaliser sa situation judiciaire en France, après son arrestation en août 2024 (Reuters)
- Les autorités françaises nient, accusant le fondateur de Telegram de jouer avec le calendrier électoral.
- L’affaire illustre le dilemme croissant entre sécurité nationale, élections protégées et liberté d’expression sur les grandes plateformes numériques.
Le fondateur de Telegram, Pavel Durov, a publié fin septembre un message public affirmant qu’un intermédiaire, au nom des services de renseignement français, lui aurait demandé — alors qu’il se trouvait sous contrôle judiciaire en France — de faire retirer certains canaux Telegram « au bénéfice » du gouvernement moldave avant les élections. Selon Durov, quelques chaînes effectivement contraires aux règles de Telegram ont été supprimées, mais une seconde liste qui lui aurait été transmise comprenait essentiellement des médias et voix politiques légitimes, « uniquement parce qu’ils exprimaient des opinions déplaisantes aux autorités françaises et moldaves ». Durov affirme avoir refusé de procéder à ces suppressions politiques et dit avoir dénoncé publiquement la tentative de pression.
Une accusation qui embarrasse Paris
Le fondateur de Telegram, Pavel Durov, a publié fin septembre un message qui a fait l’effet d’un pavé dans la mare diplomatique. Selon lui, alors qu’il se trouvait sous contrôle judiciaire en France, un intermédiaire mandaté par les services de renseignement aurait sollicité son aide pour censurer plusieurs canaux moldaves avant l’élection présidentielle.
Après examen, certains d’entre eux ont bien été retirés pour infraction aux règles de la plateforme, mais la demande aurait rapidement glissé vers une liste essentiellement politique, composée de chaînes respectant pleinement les règles de Telegram. Devant cette dérive, Durov dit avoir opposé un refus.
Ce que Durov dit exactement (et comment il l’explique)
Dans son message, Durov relate qu’un premier lot de canaux « clairement en infraction » a été retiré par Telegram après examen, mais que l’intermédiaire lui aurait alors expliqué que, en échange de cette coopération, les services français « dire[raie]nt du bien de lui » auprès du juge ayant ordonné son arrestation l’année précédente — une promesse, selon Durov, inacceptable parce qu’elle pourrait constituer une tentative d’« ingérence dans le processus judiciaire ». Il ajoute que, si la promesse n’était qu’une « façon de parler », elle révélait en tout cas l’exploitation de sa situation judiciaire pour peser sur des processus politiques étrangers.
Réactions officielles et posture française
Dès la publication de l’accusation, la réaction officielle française a été de relativiser et de rappeler que Pavel Durov avait déjà porté des accusations similaires à d’autres occasions électorales. Les comptes rendus publics (presse et canaux officiels) signalent un démenti indirect : la France nie l’existence d’une consigne de ce type et considère les déclarations de Durov comme inopportunes, surtout en période électorale. À ce stade, aucune preuve publique (enregistrement, document officiel) n’a été produite par Pavel Durov pour corroborer le rôle précis d’un service français.
Les enjeux juridiques et éthiques soulevés
Les allégations de Durov posent, même comme simple hypothèse, plusieurs problèmes lourds :
- Indépendance de la justice : s’il existait un lien de troc entre une demande de censure et une intervention auprès d’un magistrat, il s’agirait d’une tentative d’ingérence dans le fonctionnement de la justice — un principe fondamental des démocraties. (Durov avance explicitement cette crainte.)
- Pression sur les plateformes : la demande présumée illustre le dilemme classique des États face aux « gatekeepers » numériques : jusqu’où peuvent-ils solliciter la suppression de contenus politiques sur des plateformes globales et chiffrées sans franchir la ligne vers la censure politique ?
- Crédibilité et transparence : quand une entreprise comme Telegram, ou un État, avance des faits très sensibles, la confiance publique exige des éléments vérifiables. Sans preuve publique, l’affaire reste au stade des accusations réciproques, ce qui fragilise la position de toutes les parties.
Le précédent évoqué par Durov : la Roumanie
Durov rappelle qu’il avait déjà accusé des services français d’avoir demandé des suppressions similaires en Roumanie lors d’un précédent cycle électoral — allégation elle aussi démentie par Paris. Ces répétitions, si elles sont avérées, traceraient un schéma préoccupant ; si elles ne le sont pas, elles participent à une stratégie de communication agressive de la part d’un dirigeant en conflit judiciaire. Les faits devront être examinés avec méthode.
Où en est-on factuellement ?
L’affirmation centrale — qu’un intermédiaire a proposé un échange entre censure de canaux et intervention favorable auprès du juge — émane de Pavel Durov et figure sur son compte public.
Reuters et d’autres médias de référence ont relayé la déclaration et l’ont mise en relation avec la situation judiciaire de Durov en France et avec les élections en Moldavie. Les autorités françaises ont nié les allégations et critiqué le calendrier des révélations.
Libertés numériques en sursis
L’affaire met en lumière le dilemme auquel sont confrontés les États comme les plateformes : garantir la sécurité des processus démocratiques sans transformer des outils de communication privés en instruments de contrôle. Telegram, de son côté, insiste sur son engagement en faveur de la liberté d’expression et affirme qu’aucun contenu ne sera supprimé pour des raisons politiques. Mais cette controverse renforce la défiance du public, déjà méfiant face aux collusions possibles entre pouvoirs politiques et grandes entreprises numériques.
Yves Lejeune

















