En résumé :
- Attaullah Baig, ex-responsable de la sécurité de WhatsApp, poursuit Meta après avoir été licencié.
- Ses enquêtes révèlent que 1 500 ingénieurs de Meta avaient un accès direct aux données des utilisateurs de WhatsApp, dont carnets d’adresses et contacts.
- Ses tentatives d’instaurer des mesures simples de sécurité ont été bloquées par sa hiérarchie.
Attaullah Baig, ancien responsable de la sécurité de WhatsApp, a porté plainte contre Meta. Selon l’assignation déposée le 8 septembre dernier auprès de la Cour fédérale de San Francisco, il affirme avoir été licencié en représailles à ses tentatives de renforcer la sécurité de la messagerie.
Attaullah Baig, un expert reconnu
Si Meta assure que Baig a été remercié pour « insuffisance professionnelle », son parcours contredit cette version : loin d’être un profil secondaire, il avait déjà dirigé des équipes de cybersécurité dans des environnements très sensibles comme PayPal et Capital One, deux mastodontes de la finance en ligne où la sécurité est absolument critique. Il a par ailleurs été CTO (Chief Technology Officer, c’est-à-dire directeur technique), ce qui le place au sommet des responsabilités techniques dans une entreprise, avant de rejoindre WhatsApp en janvier 2021. Après un parcours remarqué au « bootcamp » d’intégration de Meta, il prend en février 2021 la tête de la sécurité de WhatsApp.
Très vite, il découvre que l’entreprise n’a mis en place une équipe de cybersécurité que récemment, à la suite du rapport d’Amnesty International sur le logiciel espion Pegasus. Celui-ci peut, rappelons-le, prendre le contrôle total d’un téléphone sans action de l’utilisateur. WhatsApp continue encore aujourd’hui à corriger des failles de ce type, parfois connues depuis des années.
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La sécurité chez WhatsApp ? Un constat alarmant
En cherchant à établir un état des lieux, Baig constate l’absence totale de documentation sur les données collectées. Ses tests révèlent que 1 500 ingénieurs de Meta, et non de WhatsApp seulement, disposent d’un accès en production aux données des utilisateurs, incluant carnets d’adresses et informations de contacts.
Son équipe de sécurité ne compte alors que six personnes, et il ne parvient pas à l’agrandir au-delà de dix. Dans le même temps, il remarque que de nombreux ingénieurs multiplient les tâches artificielles pour progresser en interne, plutôt que de traiter les questions de fond.
Baig propose alors des mesures élémentaires : journaliser les accès aux données, dresser un inventaire, cartographier l’infrastructure. Mais sa hiérarchie bloque ses initiatives et minimise les risques. En septembre 2022, il prévient même la direction que WhatsApp pourrait être en infraction avec l’accord conclu avec la FTC en 2019, qui avait déjà coûté 5 milliards de dollars à Meta.
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Les représailles de Meta
Peu après, Baig dit avoir été placé sous micro-management et classé « à améliorer ». Malgré cela, il met au point une protection contre le « profil scraping », qui permettait à des tiers de collecter des données publiques et même de déduire si deux personnes échangeaient entre elles. Il corrige ce problème seul, en 2022, sans soutien de sa direction.
À ses yeux, WhatsApp et Meta fonctionnent comme des organisations fermées pour ne pas dire sectaires, où les décisions de la hiérarchie ne sont pas discutées, même si elles impliquent de mentir aux autorités et aux utilisateurs.
Une question de confiance ?
Le récit d’Attaullah Baig met en lumière un paradoxe glaçant : nous confions nos données les plus intimes à des entreprises qui se parent du langage de la protection et de l’éthique, tout en construisant en coulisses des systèmes béants où la sécurité n’est qu’un simulacre. Ce n’est pas seulement une question d’incompétence : c’est une mécanique de dissimulation, où la rentabilité prime sur la vérité, et où l’utilisateur n’est qu’un gisement de données exploitable à merci.
Face à cela, Baig incarne la figure isolée de ceux qui osent briser l’omerta au cœur des géants numériques. Sa trajectoire rappelle une évidence dérangeante : dans l’univers de Meta, la vie privée n’est pas un droit à protéger, mais un obstacle à contourner.
Yves Lejeune
Source : Take Back Our Tech, 19/09/2025
Note à propos de “Pegasus”
- Le logiciel espion Pegasus, développé par la société israélienne NSO Group, n’est pas une application que l’on télécharge : c’est un outil d’intrusion sophistiqué, utilisé par des États pour infiltrer des smartphones.
- Plusieurs rapports d’Amnesty International et de Citizen Lab (Toronto) ont montré que Pegasus exploitait des failles de iMessage (sans clic nécessaire), y compris sur les versions récentes d’iOS.
- Pegasus exploite toutes sortes de failles dans les applications de communication les plus utilisées (WhatsApp, iMessage, FaceTime, etc.), car elles offrent un point d’entrée universel. Ces attaques dites zero-click permettaient d’installer Pegasus simplement par la réception d’un message invisible.


















