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WhatsApp en sursis en Russie : entre souveraineté numérique et enjeux géopolitiques, chronique d’une rupture annoncée

11 août 2025

Temps de lecture : 7 minutes
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WhatsApp en sursis en Russie : entre souveraineté numérique et enjeux géopolitiques, chronique d’une rupture annoncée

Temps de lecture : 7 minutes

WhatsApp en sursis en Russie : entre souveraineté numérique et enjeux géopolitiques, chronique d’une rupture annoncée

En résumé :
  • Con­texte : Moscou envis­age d’interdire What­sApp, pro­priété de Meta, jugé incom­pat­i­ble avec les exi­gences russ­es de sou­veraineté numérique et de sécu­rité nationale.
  • Cadre juridique : La Russie impose que les don­nées des citoyens soient stock­ées sur son ter­ri­toire (loi de 2015) et exige un con­trôle accru sur les messageries.
  • Sou­veraineté numérique : Développe­ment d’alternatives locales comme RuS­tore, VK Mes­sen­ger, et la mes­sagerie sécurisée gou­verne­men­tale MAX des­tinée aux admin­is­tra­tions et forces armées.
  • Moti­va­tions sécu­ri­taires : Lim­iter les risques d’espionnage et de sur­veil­lance par des puis­sances étrangères, par­ti­c­ulière­ment en péri­ode de guerre avec l’Ukraine et ten­sions avec l’Occident.
  • Enjeux économiques : Réduire la dépen­dance aux plate­formes étrangères pour stim­uler l’innovation locale et pro­téger le marché intérieur.

À Moscou, la question ne se pose plus vraiment en termes de probabilité mais de calendrier : WhatsApp pourrait bientôt disparaître du paysage numérique russe.

Le 18 juil­let 2025, Anton Gorelkin, député influ­ent de la Douma, a aver­ti que la mes­sagerie devait « se pré­par­er à quit­ter le marché russe ». L’idée d’inscrire l’application sur la liste des ser­vices restreints est désor­mais sérieuse­ment envis­agée, dans le cadre d’une poli­tique plus large visant à affer­mir la sou­veraineté numérique du pays. Ce pos­si­ble ban­nisse­ment ne relève pas d’un geste d’humeur. Il s’inscrit dans une stratégie patiem­ment mise en place depuis plusieurs années, où s’entremêlent con­sid­éra­tions tech­niques, enjeux économiques et impérat­ifs géos­tratégiques — des réal­ités que l’Europe elle-même ne peut ignorer.

Un cadre juridique pensé pour le contrôle

Der­rière l’éventualité de l’interdiction se déploie un arse­nal lég­is­latif forgé au fil de la dernière décen­nie. La « loi sur l’internet sou­verain », adop­tée en 2019, a doté l’autorité de régu­la­tion Roskom­nad­zor de pou­voirs élar­gis : con­trôle du routage, maîtrise des serveurs DNS, capac­ité à isol­er le Runet — l’internet russe — du reste du réseau mondial.

À cela s’ajoute le paquet Yarovaya (2016), qui impose aux opéra­teurs et ser­vices de mes­sagerie de stock­er les don­nées et, sur réqui­si­tion, de fournir les con­tenus chiffrés. Des exi­gences dif­fi­cile­ment com­pat­i­bles avec la poli­tique de con­fi­den­tial­ité affichée par Meta, mai­son-mère de WhatsApp.

L’épisode de Telegram, blo­qué entre 2018 et 2020 avant qu’un com­pro­mis ne soit trou­vé, illus­tre à la fois la déter­mi­na­tion des autorités et les lim­ites tech­niques d’un blocage total. Il a aus­si servi de lab­o­ra­toire pour met­tre au point des out­ils de fil­trage plus efficaces.

Voir aus­si : Votre smart­phone est-il un aux­il­i­aire de police ?

Souveraineté numérique et sécurité nationale

Pour Moscou, l’enjeu dépasse large­ment la ques­tion du chiffre­ment. L’infrastructure et la gou­ver­nance de What­sApp relèvent du droit améri­cain, et donc du CLOUD Act, qui autorise les autorités des États-Unis à accéder aux don­nées stock­ées par des entre­pris­es améri­caines, même à l’étranger.

D’où l’idée de pro­mou­voir des alter­na­tives locales — par exem­ple les ser­vices de mes­sagerie inté­grés à l’écosystème VK — afin de con­serv­er sur le ter­ri­toire nation­al non seule­ment les don­nées, mais aus­si les flux économiques et les com­pé­tences technologiques.

En temps de paix, cette autonomie numérique est déjà un atout stratégique : elle réduit la vul­néra­bil­ité face aux sanc­tions économiques, aux blocages uni­latéraux ou à l’espionnage indus­triel. En temps de guerre ouverte, comme dans le con­flit ukrainien, l’enjeu devient vital. Les com­mu­ni­ca­tions civiles et mil­i­taires tran­si­tant par des ser­vices étrangers peu­vent être inter­cep­tées, sur­veil­lées ou inter­rompues, avec des con­séquences directes sur la sécu­rité nationale.

Meta classifiée comme « organisation extrémiste » : pourquoi WhatsApp avait-t-il été épargné ?

Retour sur un moment révéla­teur : le 21 mars 2022, le tri­bunal de Tver­skoï, à Moscou, recon­nais­sait Meta Plat­forms — mai­son-mère de Face­book et d’Instagram — coupable d’« activ­ité extrémiste » pour avoir autorisé des appels à la mort de sol­dats russ­es et de Vladimir Pou­tine. La déci­sion entraî­na l’interdiction immé­di­ate de ces deux réseaux soci­aux sur le ter­ri­toire, mais épargna explicite­ment What­sApp.

Le motif avancé était clair : à la dif­férence de Face­book ou d’Instagram, What­sApp n’est pas un espace pub­lic de dif­fu­sion de con­tenus, mais un out­il de mes­sagerie privée. Ce car­ac­tère stricte­ment com­mu­ni­ca­tion­nel lui val­ut un statut à part et le main­tien de son fonc­tion­nement, là où les autres ser­vices de Meta étaient ban­nis. Ce choix reflé­tait une stratégie assumée : con­tenir l’influence jugée sub­ver­sive des réseaux soci­aux, tout en préser­vant les canaux de com­mu­ni­ca­tion jugés indis­pens­ables à la vie quotidienne.

Quelques mois plus tard, en novem­bre 2022, le min­istère russe de la Jus­tice inscrivait Meta au reg­istre offi­ciel des organ­i­sa­tions extrémistes. Ce classe­ment, lourd de con­séquences, prive ses plate­formes de toute pro­tec­tion juridique, crim­i­nalise leur usage — y com­pris la sim­ple inser­tion d’un lien ou d’une men­tion — et creuse un peu plus la frac­ture entre l’espace numérique russe et celui de l’Occident.

Voir aus­si : Meta con­tre RT, pas de dégel dans la guerre froide médiatique

Le rôle central de MAX, le messager national russe

Dans sa quête d’autonomie numérique, la Russie ne se con­tente pas de se détourn­er des plate­formes étrangères : elle érige ses pro­pres alter­na­tives. MAX, lancé début 2025 par le groupe VK en est l’exemple le plus emblé­ma­tique. Conçu sur le mod­èle des « super-appli­ca­tions » à la manière de WeChat, MAX ne se lim­ite pas à la mes­sagerie : il intè­gre des ser­vices éta­tiques (Gosus­lu­gi), l’identification numérique, la sig­na­ture élec­tron­ique, les paiements via le sys­tème ban­caire cen­tral, ain­si qu’un écosys­tème de mini-appli­ca­tions et un assis­tant con­ver­sa­tion­nel, GigaChat.

Soutenu publique­ment par Vladimir Pou­tine, l’outil s’imposera dès le 1er sep­tem­bre 2025 : la loi exig­era qu’il soit préin­stal­lé sur tous les smart­phones ven­dus en Russie. Dans l’esprit des autorités, MAX doit se sub­stituer aux mes­sageries étrangères jugées vul­nérables, tout en garan­tis­sant la maîtrise des don­nées et des échanges, y com­pris dans des con­textes sensibles.

Voir aus­si : Cap­i­tal­isme de sur­veil­lance : Cam­bridge Ana­lyt­i­ca renaît-elle ? Une agence d’espionnage privée arme à nou­veau Facebook

Un miroir tendu à l’Europe

L’Union européenne, elle aus­si, se débat avec sa dépen­dance vis-à-vis des géants améri­cains du numérique. Cloud, sys­tèmes d’exploitation, mes­sageries : dans la plu­part des domaines, l’infrastructure cri­tique reste sous con­trôle étranger. Les insti­tu­tions brux­el­lois­es mis­ent davan­tage sur la régu­la­tion que sur l’interdiction : interopéra­bil­ité, pro­tec­tion des don­nées, con­cur­rence loyale… Mais la préoc­cu­pa­tion est la même : éviter que des déci­sions pris­es à Wash­ing­ton — ou ailleurs — ne puis­sent paral­yser des ser­vices essentiels.

Si la méth­ode dif­fère — l’Europe préférant une approche graduée et coopéra­tive —, le con­stat est com­mun : la maîtrise de ses infra­struc­tures numériques con­di­tionne la lib­erté d’action d’une puis­sance, qu’il s’agisse d’affirmer son indépen­dance économique ou de garan­tir la sécu­rité de ses citoyens.

Voir aus­si : Meta, une cen­sure de gauche libérale lib­er­taire insti­tu­tion­nal­isée. Pre­mière partie

Le contrôle des communications : une question de souveraineté

L’éventuelle dis­pari­tion de What­sApp du paysage numérique russe n’est pas un caprice poli­tique ; elle s’inscrit dans une stratégie mûre­ment réfléchie de sécuri­sa­tion et de con­trôle des com­mu­ni­ca­tions. La Russie en tire les con­séquences les plus rad­i­cales ; l’Europe, plus pru­dente, avance par ajuste­ments réglementaires.

Mais der­rière les dif­férences de méth­ode se cache une même inter­ro­ga­tion : que reste-t-il de la sou­veraineté d’un État lorsque ses canaux de com­mu­ni­ca­tion dépen­dent d’intérêts étrangers ?

Yves Leje­une

Note : WhatsApp en Russie, quelques données chiffrées

  • Selon The Eco­nom­ic Times, What­sApp est util­isé par env­i­ron 97,4 mil­lions de per­son­nes en Russie en avril 2025, soit près de 68 % de la pop­u­la­tion dis­posant de smart­phones. À titre de com­para­i­son, les don­nées con­cer­nant la France par­lent de 52,9 % et de 47,6 % pour l’Alle­magne.
  • D’autres sources, comme le World Pop­u­la­tion Review, esti­ment ce chiffre à env­i­ron 66,7 mil­lions d’utilisateurs russ­es, basé sur les don­nées de 2024, ce qui place la Russie en 6ème posi­tion mondiale.

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