Depuis le 15 mai dernier, les investissements étrangers sont autorisés au Royaume-Uni, jusqu’à 15 % dans la presse nationale.
Cette mesure a suscité une vive polémique et relancé le débat sur l’indépendance médiatique dans ce pays aux longues traditions démocratiques. La célérité avec laquelle un groupe émirati (IMI), en partenariat avec des Américains (RedBird), a exprimé ses convoitises pour racheter un célèbre quotidien londonien, le Telegraph, soulève de bien légitimes soupçons.
Après l’affaire des journaux britanniques prestigieux convoités ou repris par des hommes d’affaires émiratis (notre précédente enquête), un journal emblématique de la gauche britannique, Tribune, vient d’être racheté par un magnat de la presse tunisien.
Tribune : un rachat historique mais qui ne fait pas l’unanimité
Deux semaines plus tard, l’annonce du rachat d’un autre titre en difficulté par un homme d’affaires tunisien est tombée telle un couperet sur les milieux journalistiques britanniques qui appréhendent une déréglementation généralisée.
Le 2 juin, la chaine satellitaire Islam Channel annonçait dans un communiqué que sa société mère, le groupe E Media présidé par Mohamed Ali Harrath, prenait la direction du magazine Tribune.
D’obédience trotskiste, Tribune a été fondé en 1937 par des députés travaillistes (Stafford Cripps et George Strauss) et a accueilli des plumes de renom comme Aneurin Bevan ou Michael Foot.
Qualifiant cette opération d’« historique », le communiqué promet de maintenir la ligne socialiste et « anti-impérialiste » du titre tout en lui fournissant les moyens de croître (print augmenté, contenus numériques…).
Dans ses premières déclarations, Mohamed Ali Harrath a promis un « avenir meilleur et plus lumineux » pour Tribune et assuré que son indépendance éditoriale serait « garantie ». Le journaliste et éditeur Alex Niven reste aux commandes du contenu, assisté d’un conseil consultatif comprenant notamment le député travailliste Jon Trickett et Bhaskar Sunkara.
Voir aussi : Les Émiratis partent à l’assaut de la presse britannique
Qui est Mohamed Ali Harrath ?
D’origine tunisienne, Mommed Ali Harrath s’est installé en Grande-Bretagne dans les années 1990. En 2012, il fonde une chaîne de télévision à vocation islamique, Islam Channel, et devient président d’E Media Group.
Selon la revue The National, Mohamed Ali Harrath traine un passé d’activiste islamiste, et était attiré par les révolutions religieuses, à l’image de celle de l’Iran en 1979. Son canal a été plusieurs fois épinglé par Ofcom, l’organisme de régulation audiovisuelle : en 2010, cinq émissions ont été jugées coupables d’avoir « préconisé le viol conjugal et la violence contre les femmes ».
Plus récemment, en 2023, le même organisme a infligé une amende de 40 000 livres sterling à Islam Channel pour « diffusion de discours antisémite ».
Islamogauchisme ?
Les observateurs de la scène médiatique britannique ne s’expliquent pas la nomination d’un homme avec un tel parcours à la tête d’un média de gauche. Comme en France, les soupçons d’une collusion entre un courant de la gauche et l’islamisme suscitent des inquiétudes sur le niveau d’infiltration du mouvement fondamentaliste dans la société britannique.
Parmi ces voix sceptiques, le journaliste Paul Anderson, ancien éditeur de Tribune, qui a qualifié cette opération de rachat de « plus bas niveau jamais atteint » et de « totalement étrange » dans l’histoire de la presse britannique.
Dans le camp adverse, le député Jon Trickett, venu de la gauche Corbyn, appuie l’initiative en plaidant pour « une alternative aux médias du mainstream »… Pour lui, Tribune « doit rester ancré dans son héritage socialiste et internationaliste ».
Les réactions politiques
Le débat en Grande-Bretagne sur la pertinence de la nouvelle loi, promulguée en avril dernier, autorisant la possession d’une entreprise de presse par des actionnaires étatiques étrangers continue à faire réagir la classe politique.
Ainsi, le porte-parole des Libéraux-Démocrates a fustigé cette loi, la qualifiant d’« insulte à la liberté de la presse » au Royaume-Uni. « Notre presse libre, a‑t-il déclaré, est la pierre angulaire de la démocratie britannique et ne saurait être cédée aux puissances étrangères. » Les élus de ce parti ont même annoncé leur intention de déposer une motion en deuxième chambre (chambre des Lords) pour faire annuler cette nouvelle législation.
En réponse, le gouvernement argue du fait que le seuil « modéré » de 15 % n’accorde pas de contrôle effectif aux États étrangers, dès lors qu’il empêche une prise de participation majoritaire.
Interpellée sur la question, la ministre de la Culture, Lisa Nandy, avait affirmé ainsi qu’il s’agit d’une « approche équilibrée » : protéger la presse contre « le contrôle d’État étranger » tout en autorisant les journaux à « lever des financements » essentiels.
Mussa A.


















