Les prix de l’énergie ne cessent d’augmenter, et les Français s’en plaignent ! Afin de lutter contre la précarité énergétique, plusieurs associations ont manifesté mardi 18 novembre 2025. TF1, Ouest-France, France Bleu, France Info… De nombreux médias qui ont couvert cette journée nous informent qu’un Français sur trois souffre du froid et que certains n’arrivent parfois même plus à payer leurs factures énergétiques. Mais tous ces médias qui alertent sur les conséquences dramatiques évitent soigneusement de parler des causes de la hausse des prix de l’énergie : marché européen de l’électricité et choix politiques désastreux vis-à-vis du nucléaire.
Un chauffage sous contrainte
De nombreux Français n’ont pas suffisamment de chauffage en hiver. Selon une étude de l’Observatoire national de la précarité énergétique, 35% des répondants déclarent avoir souffert du froid durant l’hiver 2024–2025, soit 5 points de pourcentage de plus que l’année précédente.
Selon le baromètre annuel du médiateur national de l’énergie, 30 % des ménages déclarent avoir souffert du froid pendant au moins 24h dans leur logement. Cette part a doublé en quatre ans. Autre statistique : 75 % des ménages réduisent leur chauffage pour ne pas avoir de factures trop élevées (6 points de plus qu’en 2022). Et ces chiffres sont en constante augmentation d’année en année… En 2024, 28% des foyers étaient ainsi concernés contre 18% en 2020, le tout avec un doublement du prix moyen de l’électricité en dix ans.
Les associations sonnent l’alarme
Afin de résoudre ce problème, 20 associations appellent les locataires concernés à demander le chèque énergie et d’autres aides comme le Fonds de solidarité logement ou encore de rejoindre un syndicat de locataires. Pour les propriétaires, ils conseillent MaPrimeRénov’ ou encore les Certificats d’économie d’énergie (CEE). Cependant, le média gaucho écologiste Reporterre nous informe que le gouvernement Lecornu envisage de couper un quart du budget — soit 225 millions d’euros — consacré au chèque énergie et de basculer un demi-milliard d’euros de MaPrimeRénov’ vers des financements privés « incertains ».
À l’instar des associations mobilisées qui demandent un triplement du chèque énergie malgré la volonté contraire du gouvernement, Ouest-France titre dans leur article :
« À quelles aides peuvent prétendre les 18 000 ménages en précarité énergétique dans l’agglo d’Angers ? »
À qui la faute ?
Dans la grande majorité des articles parus sur le sujet de la précarité énergétique, aucun journaliste ne mentionne le marché européen de l’électricité ou encore la loi NOME et l’ARENH. Pourtant, l’augmentation de la facture énergétique des Français est la résultante directe de politiques mises en place par l’Union européenne. En effet, ce marché européen de l’électricité et les lois qui en ont découlé ont contribué à détruire le patrimoine énergétique français qui nous permettait d’avoir l’électricité la plus propre et la moins chère d’Europe.
Une véritable guerre de l’énergie agite le continent. L’Allemagne, ne voyant pas d’un très bon œil l’avantage compétitif de la France en matière d’énergie, a joué un rôle moteur dans les directives UE promouvant la libéralisation des marchés électriques (depuis les années 2000), alignées sur son modèle décentralisé et renouvelable.
Cela inclut notamment l’ouverture à la concurrence, qui a conduit en France à la loi Nouvelle Organisation du Marché de l’Electricité (NOME) 2010, obligeant EDF à vendre 25 % de sa production nucléaire historique à prix réglementé (42 €/MWh) aux fournisseurs alternatifs – souvent allemands ou liés à des groupes comme Engie.
L’arnaque de l’ARENH
De cette loi découle l’ARENH (Accès Régulé à l’Électricité Nucléaire Historique). Il s’agit d’un mécanisme créé par la loi NOME : EDF doit vendre jusqu’à un certain volume de son électricité nucléaire à d’autres fournisseurs, à un prix « régulé » sous-évalué. L’objectif était de permettre aux fournisseurs alternatifs – et donc privés — d’accéder à une électricité bas-coût (issue du parc nucléaire historique), de favoriser la concurrence, et que les consommateurs profitent de cette compétitivité, quel que soit leur fournisseur. Toutefois cela génère des pertes massives (17,9 milliards en 2022) et une érosion de la clientèle (un million de clients perdus par an).
Les fournisseurs alternatifs (comme Engie ou Total) achètent à bas prix à EDF pour revendre plus cher sur le marché. Cela enrichit les traders sans créer de vrais concurrents, et force EDF à racheter de l’électricité sur le marché spot à des prix exorbitants. Cette loi imposée sans avis d’EDF en 2010 a été un “coup de poignard” dans la compétitivité du fleuron industriel français, perçu comme une volonté politique de le fragiliser comme l’explique très bien Hervé Machenaud, ancien directeur exécutif d’EDF dans un entretien au Figaro.
Le poids de Berlin
Berlin a poussé ces réformes pour un « marché unique » européen et l’ouverture à la concurrence, arguant qu’elles favorisent l’intégration des renouvelables et la sécurité d’approvisionnement mutuelle. Résultat : les concurrents allemands (ou leurs filiales) achètent bas à EDF et revendent cher, générant des pertes pour le groupe français et gonflant les prix finaux pour les consommateurs. L’Allemagne, avec 130 GW de renouvelables (1,5 fois la capacité nucléaire française), exporte ses surplus et importe de l’électricité française bon marché, tout en imposant via l’UE une « ouverture à la concurrence » qui profite à son modèle.
Depuis 2011, EDF est obligé de vendre 100 à 120 TWh par an (25–30 % de sa production nucléaire historique) à ses concurrents à 42 €/MWh, puis 46,20 € depuis 2022. Quand le prix de marché est à 300 €/MWh (2022) ou même à 100 €/MWh (2025), les fournisseurs alternatifs (TotalEnergies, Engie, E.ON, etc.) empochent la différence pure. Entre 2021 et 2023, cela a représenté plus de 30 milliards d’euros de manque à gagner pour EDF, transférés directement vers les actionnaires des concurrents et, indirectement, vers les consommateurs allemands ou italiens qui profitent de prix plus bas grâce à cette électricité nucléaire bradée.
Fin décembre 2025, l’ARENH disparaît officiellement, mais la France a déjà accepté — sous pression européenne — de mettre en place un mécanisme équivalent (« contrat pour différence » ou « CFD ») qui risque de reproduire la même fuite de valeur, juste sous une autre forme.
Les énergies renouvelables au détriment du nucléaire
En outre, le déploiement anarchique des énergies renouvelables intermittentes pose également problème. Leur production irrégulière (vent nul en hiver froid ou soleil absent, par exemple) oblige les centrales nucléaires à s’arrêter temporairement, car EDF doit absorber les surproductions gratuites des renouvelables. S’en suivent des coûts accrus puisque le parc nucléaire tourne à perte quand il est au ralenti.
On peut noter que les pays avec une forte part de renouvelables ont des prix bien plus élevés que la France (Danemark : 40 % de renouvelables, prix 2 fois plus chers ; Allemagne : 30–35 %, prix 1,75 fois plus élevés). Les énergies renouvelables bénéficient d’un « prix plancher » garanti (contrairement au nucléaire), ce qui fausse la concurrence.
La décision du gouvernement de François Hollande de privilégier les énergies renouvelables par rapport au nucléaire jugé trop instable a d’ailleurs provoqué la fermeture des deux réacteurs de la centrale de Fessenheim. Ils produisaient 13 à 15 térawattheures (TWh) par an (environ 3–4 % de la consommation française), avec un facteur de charge.
De surcroît, en 2021–2022, 30 réacteurs français étaient arrêtés pour corrosion sous contrainte. Ces 15 TWh ont cruellement manqué à ce moment-là ; la France est par conséquent devenue importatrice nette d’électricité pour la première fois depuis 42 ans et a dû acheter du charbon et du gaz allemand à des prix records (jusqu’à 1 000 €/MWh).
Aujourd’hui, tout le monde — dont les responsables politiques de l’époque — reconnaissent que la fermeture de Fessenheim est l’un des plus gros ratés de la politique énergétique française des 20 dernières années qui a contribué directement à la précarité énergétique de millions de Français.
Jean-Charles Soulier


















