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Précarité énergétique : les médias français établissent un constat alarmant mais refusent d’en mentionner les causes

24 novembre 2025

Temps de lecture : 7 minutes
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Précarité énergétique : les médias français établissent un constat alarmant mais refusent d’en mentionner les causes

Temps de lecture : 7 minutes

Précarité énergétique : les médias français établissent un constat alarmant mais refusent d’en mentionner les causes

Les prix de l’énergie ne cessent d’augmenter, et les Français s’en plaig­nent ! Afin de lut­ter con­tre la pré­car­ité énergé­tique, plusieurs asso­ci­a­tions ont man­i­festé mar­di 18 novem­bre 2025. TF1, Ouest-France, France Bleu, France Info… De nom­breux médias qui ont cou­vert cette journée nous infor­ment qu’un Français sur trois souf­fre du froid et que cer­tains n’arrivent par­fois même plus à pay­er leurs fac­tures énergé­tiques. Mais tous ces médias qui aler­tent sur les con­séquences dra­ma­tiques évi­tent soigneuse­ment de par­ler des caus­es de la hausse des prix de l’énergie : marché européen de l’électricité et choix poli­tiques désas­treux vis-à-vis du nucléaire.

Un chauffage sous contrainte

De nom­breux Français n’ont pas suff­isam­ment de chauffage en hiv­er. Selon une étude de l’Ob­ser­va­toire nation­al de la pré­car­ité énergé­tique, 35% des répon­dants déclar­ent avoir souf­fert du froid durant l’hiv­er 2024–2025, soit 5 points de pour­cent­age de plus que l’an­née précédente.

Selon le baromètre annuel du médi­a­teur nation­al de l’énergie, 30 % des ménages déclar­ent avoir souf­fert du froid pen­dant au moins 24h dans leur loge­ment. Cette part a dou­blé en qua­tre ans. Autre sta­tis­tique : 75 % des ménages réduisent leur chauffage pour ne pas avoir de fac­tures trop élevées (6 points de plus qu’en 2022). Et ces chiffres sont en con­stante aug­men­ta­tion d’année en année… En 2024, 28% des foy­ers étaient ain­si con­cernés con­tre 18% en 2020, le tout avec un dou­ble­ment du prix moyen de l’électricité en dix ans.

Les associations sonnent l’alarme

Afin de résoudre ce prob­lème, 20 asso­ci­a­tions appel­lent les locataires con­cernés à deman­der le chèque énergie et d’autres aides comme le Fonds de sol­i­dar­ité loge­ment ou encore de rejoin­dre un syn­di­cat de locataires. Pour les pro­prié­taires, ils con­seil­lent MaPrimeRénov’ ou encore les Cer­ti­fi­cats d’économie d’énergie (CEE). Cepen­dant, le média gau­cho écol­o­giste Reporterre nous informe que le gou­verne­ment Lecor­nu envis­age de couper un quart du bud­get — soit 225 mil­lions d’euros — con­sacré au chèque énergie et de bas­culer un demi-mil­liard d’euros de MaPrimeRénov’ vers des finance­ments privés « incertains ».

À l’instar des asso­ci­a­tions mobil­isées qui deman­dent un triple­ment du chèque énergie mal­gré la volon­té con­traire du gou­verne­ment, Ouest-France titre dans leur arti­cle :

« À quelles aides peu­vent pré­ten­dre les 18 000 ménages en pré­car­ité énergé­tique dans l’agglo d’Angers ? »

À qui la faute ?

Dans la grande majorité des arti­cles parus sur le sujet de la pré­car­ité énergé­tique, aucun jour­nal­iste ne men­tionne le marché européen de l’électricité ou encore la loi NOME et l’ARENH. Pour­tant, l’augmentation de la fac­ture énergé­tique des Français est la résul­tante directe de poli­tiques mis­es en place par l’Union européenne. En effet, ce marché européen de l’électricité et les lois qui en ont découlé ont con­tribué à détru­ire le pat­ri­moine énergé­tique français qui nous per­me­t­tait d’avoir l’électricité la plus pro­pre et la moins chère d’Europe.

Une véri­ta­ble guerre de l’énergie agite le con­ti­nent. L’Allemagne, ne voy­ant pas d’un très bon œil l’avantage com­péti­tif de la France en matière d’énergie, a joué un rôle moteur dans les direc­tives UE pro­mou­vant la libéral­i­sa­tion des marchés élec­triques (depuis les années 2000), alignées sur son mod­èle décen­tral­isé et renouvelable.

Cela inclut notam­ment l’ou­ver­ture à la con­cur­rence, qui a con­duit en France à la loi Nou­velle Organ­i­sa­tion du Marché de l’Electricité (NOME) 2010, oblig­eant EDF à ven­dre 25 % de sa pro­duc­tion nucléaire his­torique à prix régle­men­té (42 €/MWh) aux four­nisseurs alter­nat­ifs – sou­vent alle­mands ou liés à des groupes comme Engie.

L’arnaque de l’ARENH

De cette loi découle l’ARENH (Accès Régulé à l’Électricité Nucléaire His­torique). Il s’agit d’un mécan­isme créé par la loi NOME : EDF doit ven­dre jusqu’à un cer­tain vol­ume de son élec­tric­ité nucléaire à d’autres four­nisseurs, à un prix « régulé » sous-éval­ué. L’objectif était de per­me­t­tre aux four­nisseurs alter­nat­ifs – et donc privés — d’accéder à une élec­tric­ité bas-coût (issue du parc nucléaire his­torique), de favoris­er la con­cur­rence, et que les con­som­ma­teurs prof­i­tent de cette com­péti­tiv­ité, quel que soit leur four­nisseur. Toute­fois cela génère des pertes mas­sives (17,9 mil­liards en 2022) et une éro­sion de la clien­tèle (un mil­lion de clients per­dus par an).

Les four­nisseurs alter­nat­ifs (comme Engie ou Total) achè­tent à bas prix à EDF pour reven­dre plus cher sur le marché. Cela enri­chit les traders sans créer de vrais con­cur­rents, et force EDF à racheter de l’élec­tric­ité sur le marché spot à des prix exor­bi­tants. Cette loi imposée sans avis d’EDF en 2010 a été un “coup de poignard” dans la com­péti­tiv­ité du fleu­ron indus­triel français, perçu comme une volon­té poli­tique de le frag­ilis­er comme l’explique très bien Hervé Machenaud, ancien directeur exé­cu­tif d’EDF dans un entre­tien au Figaro.

Le poids de Berlin

Berlin a poussé ces réformes pour un « marché unique » européen et l’ouverture à la con­cur­rence, arguant qu’elles favorisent l’in­té­gra­tion des renou­ve­lables et la sécu­rité d’ap­pro­vi­sion­nement mutuelle. Résul­tat : les con­cur­rents alle­mands (ou leurs fil­iales) achè­tent bas à EDF et reven­dent cher, générant des pertes pour le groupe français et gon­flant les prix fin­aux pour les con­som­ma­teurs. L’Alle­magne, avec 130 GW de renou­ve­lables (1,5 fois la capac­ité nucléaire française), exporte ses sur­plus et importe de l’élec­tric­ité française bon marché, tout en imposant via l’UE une « ouver­ture à la con­cur­rence » qui prof­ite à son modèle.

Depuis 2011, EDF est obligé de ven­dre 100 à 120 TWh par an (25–30 % de sa pro­duc­tion nucléaire his­torique) à ses con­cur­rents à 42 €/MWh, puis 46,20 € depuis 2022. Quand le prix de marché est à 300 €/MWh (2022) ou même à 100 €/MWh (2025), les four­nisseurs alter­nat­ifs (Total­En­er­gies, Engie, E.ON, etc.) empochent la dif­férence pure. Entre 2021 et 2023, cela a représen­té plus de 30 mil­liards d’euros de manque à gag­n­er pour EDF, trans­férés directe­ment vers les action­naires des con­cur­rents et, indi­recte­ment, vers les con­som­ma­teurs alle­mands ou ital­iens qui prof­i­tent de prix plus bas grâce à cette élec­tric­ité nucléaire bradée.

Fin décem­bre 2025, l’ARENH dis­paraît offi­cielle­ment, mais la France a déjà accep­té — sous pres­sion européenne — de met­tre en place un mécan­isme équiv­a­lent (« con­trat pour dif­férence » ou « CFD ») qui risque de repro­duire la même fuite de valeur, juste sous une autre forme.

Les énergies renouvelables au détriment du nucléaire

En out­re, le déploiement anar­chique des éner­gies renou­ve­lables inter­mit­tentes pose égale­ment prob­lème. Leur pro­duc­tion irrégulière (vent nul en hiv­er froid ou soleil absent, par exem­ple) oblige les cen­trales nucléaires à s’ar­rêter tem­po­raire­ment, car EDF doit absorber les sur­pro­duc­tions gra­tu­ites des renou­ve­lables. S’en suiv­ent des coûts accrus puisque le parc nucléaire tourne à perte quand il est au ralenti.

On peut not­er que les pays avec une forte part de renou­ve­lables ont des prix bien plus élevés que la France (Dane­mark : 40 % de renou­ve­lables, prix 2 fois plus chers ; Alle­magne : 30–35 %, prix 1,75 fois plus élevés). Les éner­gies renou­ve­lables béné­fi­cient d’un « prix planch­er » garan­ti (con­traire­ment au nucléaire), ce qui fausse la concurrence.

La déci­sion du gou­verne­ment de François Hol­lande de priv­ilégi­er les éner­gies renou­ve­lables par rap­port au nucléaire jugé trop insta­ble a d’ailleurs provo­qué la fer­me­ture des deux réac­teurs de la cen­trale de Fes­sen­heim. Ils pro­dui­saient 13 à 15 térawattheures (TWh) par an (env­i­ron 3–4 % de la con­som­ma­tion française), avec un fac­teur de charge.

De sur­croît, en 2021–2022, 30 réac­teurs français étaient arrêtés pour cor­ro­sion sous con­trainte. Ces 15 TWh ont cru­elle­ment man­qué à ce moment-là ; la France est par con­séquent dev­enue impor­ta­trice nette d’électricité pour la pre­mière fois depuis 42 ans et a dû acheter du char­bon et du gaz alle­mand à des prix records (jusqu’à 1 000 €/MWh).

Aujourd’hui, tout le monde — dont les respon­s­ables poli­tiques de l’époque — recon­nais­sent que la fer­me­ture de Fes­sen­heim est l’un des plus gros ratés de la poli­tique énergé­tique française des 20 dernières années qui a con­tribué directe­ment à la pré­car­ité énergé­tique de mil­lions de Français.

Jean-Charles Souli­er

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