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<span class="dquo">“</span>On finira bien par les avoir” 4/4

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21 août 2012

Temps de lecture : 6 minutes
Accueil | Feuilleton de l'été | “On finira bien par les avoir” 4/4

On finira bien par les avoir” 4/4

Temps de lecture : 6 minutes

Suite et fin du feuilleton de l’été “On finira bien par les avoir”. Une fiction politico-journalistique en quatre parties. Quatrième partie.

J’ai lais­sé les doc­u­ments dans le cof­fre de Regi­na après avoir pris des notes. De retour chez moi, j’ai com­mencé par envoy­er un mail à mon rédac­teur en chef pour l’informer que j’avais une bombe sous le coude et qu’il fal­lait d’ici peu prévoir 10 pages en Une. Puis, j’ai sil­lon­né le Net à la recherche du moin­dre élé­ment con­cer­nant la société Siflo­ral, sans rien trou­ver bien enten­du. Enfin j’ai passé des dizaines de coups de fil en France, à des col­lègues et à des flics avec qui j’avais tou­jours eu de bonnes rela­tions. J’avais le droit à de la bonne vieille ironie de chez nous. « Jacky Blast ? Merde ! T’es encore vivant ! Tu t’es instal­lé dans la forêt vierge avec un trav­elo ou quoi ? Siflo­ral ? Ouais, je vais essay­er de me ren­seign­er mais je garan­tis rien… »

J’avais rédigé des morceaux de mon arti­cle, décidé à le pub­li­er même si je ne réus­sis­sais pas à en savoir plus sur la Siflo­ral. Après tout, j’apporterais la preuve des rétro-com­mis­sions et le nom d’une société. Les juges prendraient le relais. Mau­rice est passé en fin d’après-midi boire l’apéro. Il reve­nait du Nord, pour un reportage sur les orpailleurs clan­des­tins de l’Amazonie. Il avait réus­si à filmer un camp aban­don­né et à inter­view­er des mil­i­taires des forces spé­ciales, mais aucun orpailleur. En dés­espoir de cause, il avait filé un bil­let à deux clochards et leur avait fait appren­dre un texte qu’ils avaient réc­ité devant la caméra. Par­fois il louait car­ré­ment des comé­di­ens, leur demandait de jouer un flic, un juge, un éco­lo, un rescapé. Et le pire de tout, c’est que ça le fai­sait mar­rer. Il avait au bras des piqures de mous­tiques de la taille d’une pièce de 2 euros. S’il y a bien une chose dont j’étais con­va­in­cu, c’est que je ne met­trais jamais les pieds dans cette jun­gle pour­rie. J’ai servi le whisky qu’on a bu sur la ter­rasse en décon­nant. On était en train de se met­tre en appétit en évo­quant les dif­férents morceaux de la vache, filet, onglet, bavette, rum­steck, et leurs qual­ités respec­tives, quand le télé­phone a son­né. J’attendais des nou­velles de Regi­na alors j’ai décroché, ce que je ne fai­sais générale­ment jamais. Nico­las Avi­cenne, le patron de mon jour­nal, m’annonçait en per­son­ne son arrivée à Rio de Janeiro le lende­main après-midi et me don­nait ren­dez-vous, avec les doc­u­ments, au Sher­a­ton Bar­ra Hôtel à 16 heures précises…

Un ser­vice réguli­er de bus reli­ait mon patelin à Rio. J’ai pris celui de 11 heures. A 12h30, le porti­er de l’immeuble de Regi­na lui annonçait ma vis­ite par l’interphone. Je suis mon­té. Elle por­tait une petite jupe à fleur et un chemisi­er blanc qui lui moulait les seins, les cheveux attachés au dessus de la tête. Elle m’a sauté dans les bras. J’ai réal­isé que j’étais sacré­ment mor­du. J’ai réal­isé égale­ment qu’il restait plus de trois heures avant le rendez-vous.

À 16 heures, j’étais assis au bar du Sher­a­ton Bar­ra Hôtel devant un whisky, les doc­u­ments posés sur le tabouret à côté du mien. Avi­cenne est sor­ti de l’ascenseur en costard cra­vate som­bre et s’est dirigé droit vers moi. Il avait repris la direc­tion du jour­nal qua­tre ans aupar­a­vant, on ne s’était jamais ren­con­tré, je n’avais jamais eu à traiter avec lui. Il m’a ten­du la main en souriant.

- Jacques Blast ? Je suis très heureux de vous ren­con­tr­er. Vous êtes le seul jour­nal­iste de la rédac­tion que je ne con­nais­sais pas…

Je lui ai ser­ré la main. Il m’a pro­posé de mon­ter dans sa cham­bre, une suite plutôt, la plus belle de l’hôtel. J’ai fini mon whisky d’un trait et je l’ai suivi dans l’ascenseur.

- C’est la seule cham­bre libre qu’il leur restait, s’est-il excusé en ouvrant la porte.

On s’est assis autour d’une table, je lui ai ten­du le dossier, ain­si que mes notes qui réca­pit­u­laient l’affaire. Il a par­cou­ru le tout en silence, tor­dant par­fois sa bouche ou acquiesçant d’un signe de tête.

- Et la Siflo­ral ? il a finale­ment demandé.

J’ai haussé les épaules. Il a pris un air contrarié.

- C’est quoi vos sources ?
— Un haut fonc­tion­naire du min­istère de l’Intérieur.
— Pourquoi ?
— Pourquoi quoi ?
— Pourquoi il vous a bal­ancé ça ?
— Dis­ons que ça à voir avec la morale.

Il a souri.

- Oubliez la morale, mon vieux. Dans ces affaires, elle n’est jamais présente. Vous n’avez pas pen­sé à une manipulation ?
— Non.
— Vous auriez dû. Il faut être très pru­dent en la matière. Cer­tains pays pen­saient obtenir ce con­trat et s’estiment lésés. Il y a des intérêts énormes. Sans être para­no, il ne faut jamais écarter a pri­ori une ten­ta­tive de déstabilisation.

Il a refer­mé le dossier, a joint ses mains sous son menton.

- C’est du lourd, votre truc. Je marche mais il faut d’abord enquêter dis­crète­ment sur votre source.
— Elle est clean.
— Je n’en doute pas mais il faut s’en assur­er. Elle n’apparaîtra nulle part.
— Très bien. Elle s’appelle Regi­na dos San­tos, elle est con­seil­lère tech­nique auprès du min­istre de l’Intérieur.
— Bon. On ver­ra bien. En atten­dant, essayez d’en savoir plus sur la Siflo­ral et tenez-vous prêt. Quand ça va sor­tir, ça va faire mal.

Il m’a ten­du la main.

- Bra­vo, mon vieux. C’est du jour­nal­isme comme je l’aime. Je vous tiens au courant.

Je suis retourné chez Regi­na qui a rangé les doc­u­ments dans le coffre.

- Alors ? m’a‑t-elle demandé.
— Alors ça roule, jolie poupée. Deux ou trois véri­fi­ca­tions et on fait sauter la baraque.

Elle a ri.

- Et si on se saoulait au whisky pour fêter ça ?

J’ai ri à mon tour.

- A mon avis tu seras saoul avant moi.
— Alors je serai sans défense et tu pour­ras abuser de moi.

Elle a servi les verres.

Je suis ren­tré chez moi le lende­main matin. J’avais un mes­sage sur mon répon­deur, d’un vieux col­lègue indépen­dant, fouineur comme pas deux. « Salut ma couille, j’ai des nou­velles de ta société à la con. Devine qui la dirige ? Quelqu’un qui a trois enfants : Siméon, Flo­re et Alexan­dre, ce qui donne Siflo­ral… pas bête, hein ? T’as pas encore trou­vé ? C’est ton pro­pre boss, ducon : Nico­las Avi­cenne. J’espère qu’il n’est pas au courant que tu fouines dans ses affaires… Allez, on se rap­pelle, bises. »

Le lende­main matin, le Jor­nal do Brasil titrait sur un crime cra­puleux com­mis la veille à Rio de Janeiro. Extrait : « Les mal­fai­teurs ont réus­si à neu­tralis­er le gar­di­en d’un immeu­ble chic de Leblon et sont mon­tés au six­ième étage où ils ont for­cé le cof­fre de Regi­na dos San­tos, une jeune juriste qui offi­ci­ait au min­istre de l’Intérieur. La mal­heureuse qui a prob­a­ble­ment sur­pris les cam­bri­oleurs en pleine nuit a été griève­ment blessée. Elle est décédée à l’hôpital São Lucas des suites de ses blessures ».

Pierre Montchal

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