Véritable drame dans le monde du streaming, le décès en direct du streamer Raphaël Graven alias Jean Pormanove, dans la nuit du 17 au 18 août 2025, a choqué la France entière et a même été repris de manière massive par la presse internationale. Car son décès tragique, à la vue de tous, est rapidement devenu un scandale d’État dans l’hexagone, révélant notamment la faillite de l’ARCOM, censée assurer la sécurité des citoyens sur le web.
Mort en direct
Avec sa chaîne Kick aux 16 000 abonnés, il était le streamer français le plus regardé sur la plateforme. Selon Le Nouvel Obs, il était aussi le quatrième streamer le plus regardé et le plus populaire au monde. Raphaël Graven, alias Jean Pormanove, alias JP, ancien militaire de 46 ans, est mort en direct dans la nuit du 17 au 18 août 2025, à Contes, au nord de Nice, au cours d’un « livestream » sur la plateforme Kick, qui durait depuis plus de 298 heures.
Maltraité, violenté et humilié pendant des mois par ses acolytes du « Lokal » – Narutovie (de son vrai nom Owen Cenazandotti) et Safine (Safine Hamadide) –, Raphaël Graven aura ainsi vécu – jusqu’à sa mort – l’enfer à la vue de tous. Son décès tragique et en direct sonnera par là même le glas de l’impunité. Dès le 18 août, politiques, journalistes, lanceurs d’alerte et internautes interpellent en effet le gouvernement et l’ARCOM, les accusant d’avoir manqué de réactivité.
Depuis ce 18 août, la question est sur toutes les lèvres : comment un streamer, violenté depuis des mois, a‑t-il pu mourir en direct sur Internet alors même que le gendarme de l’audiovisuel – censé réguler les plateformes et lutter contre les contenus illicites ou préjudiciables – avait reçu de nombreux signalements ?
Huit mois de sévices
Comme l’a révélé Médiapart dans une enquête datant du 15 décembre 2024, Raphaël Graven, dont le passé avait déjà été jalonné par de nombreux sévices et brimades (plus jeune, il aurait notamment été battu par son maître de stage en BEP mais également durant son service militaire), était vu comme quelqu’un « d’excessivement gentil mais de vulnérable à l’influence des autres ». Sur sa chaîne Kick, il était ainsi souvent mis en scène dans des séances d’humiliation présentées comme des « contenus à caractère humoristique », et ce pour le plus grand plaisir de ses viewers qui, lors du dernier live de Jean Pormanove, avaient permis à la cagnotte de la chaîne d’atteindre près de 36 000 euros en dons.
Plus tôt, en février 2025, la Ligue des droits de l’Homme (LDH) avait pourtant déjà alerté l’ARCOM en expliquant que la diffusion de ces « actes […] pouvait correspondre à des qualifications pénales ». La LDH avait dans la foulée demandé au gendarme de l’audiovisuel d’intervenir contre ces contenus manifestement illicites en « sa qualité de coordinateur chargé de la mise en œuvre du Règlement européen sur les services numériques (Digital Services Act – DSA) ». Mais la demande, révèle Médiapart, reste à l’époque lettre morte.
Inaction de l’ARCOM
Face au scandale provoqué par la mort de Jean Pormanove, l’ARCOM a finalement justifié son inaction en expliquant que la plateforme Kick ne disposait pas de représentant légal en Europe et qu’elle n’était pas installée en France. Pourtant, à y regarder de plus près, l’article 13 du DSA dispose bien « qu’une plateforme qui n’a pas de siège au sein de l’UE est dans l’obligation de désigner un représentant légal au sein de l’UE ». À défaut, l’ex-CSA prévoit que « tous les États membres disposent de pouvoirs de surveillance et d’exécution » (article 56–7).
En outre, le président de l’ARCOM dispose, en vertu de l’article 42–10 de la loi du 30 septembre 1986, d’un « outil lui permettant de s’attaquer efficacement à des contenus audiovisuels en ligne qui lui paraissent contraires aux principes dont l’ARCOM assure le contrôle, et notamment le principe de dignité ». En clair : cet article lui permet de saisir directement le Conseil d’État afin d’obtenir d’un service de vidéos en ligne « de se conformer à ces dispositions, de mettre fin à l’irrégularité ou d’en supprimer les effets ».
L’embarras de la ministre déléguée au Numérique
Encore plus accablant, sur Twitter, le compte « Gabriel de Varenne » révèle qu’en avril 2025 l’Autorité nationale des jeux (ANJ) avait déjà réussi à faire bloquer en France des streams de jeux illégaux sur la plateforme Kick, après une simple mise en demeure (loi nᵒ 2010–476, art. 61, modifiée par loi nᵒ 2022-296).
🔴 AFFAIRE PORMANOVE-ARCOM (MAJ)| KICK bloqué pour du poker par l’ANJ… mais l’ARCOM laisse passer des crimes en direct.
Dans son communiqué publié ce soir, l’ARCOM soutient qu’elle n’avait pas les moyens d’intervenir pour stopper la diffusion du stream.
Pourtant très intrusif… pic.twitter.com/JbXrJCvv0v
— Gabriel de Varenne (@G_deVarenne) August 20, 2025
Un énième élément accablant pour l’ARCOM, qui suggère que cette dernière n’a pas effectué la tâche qui lui est pourtant dévolue ou, pire, a sciemment ignoré les sévices de Jean Pormanove.
Rappelons, en comparaison, que l’ARCOM a été bien plus ferme et réactive envers les chaînes du groupe Bolloré, et ce pour des faits jugés bien moins graves (C8 condamnée à hauteur de 3,5 millions d’euros pour insultes à un député, mise en garde pour manque de pluralisme adressée à CNews, non-reconduction de la fréquence TNT de C8, etc.).
Lire aussi : L’ARCOM s’acharne sur CNews et Europe 1
Ces sanctions – toujours adressées au même groupe – ont largement suscité interrogations et indignations sur la toile et dans les couloirs de l’Assemblée nationale quant à la neutralité supposée et les priorités davantage politiques du régulateur censé assurer la sécurité des citoyens sur le web.
La ministre déléguée au Numérique Clara Chappaz n’a pas échappé au scandale, le décès de Jean Pormanove ayant permis d’exhumer l’enquête de Médiapart qui révélait que, dès 2024, la ministre avait été sollicitée par le journal – sans qu’elle ne donne suite – quant aux sévices subis par le streamer.
Il aura fallu attendre la mort de ce dernier pour qu’elle saisisse l’ARCOM et la plateforme Pharos, soit huit mois après les premières alertes.
Ne pas dire qu’on n’a rien fait quand on n’a strictement rien fait.
Cas d’école avec Clara Chappaz, ministre déléguée au Numérique dans l’affaire Pormanove :https://t.co/yohg3FOMQP pic.twitter.com/5WfNC9TJSr— David Perrotin (@davidperrotin) August 22, 2025
Interrogée à ce sujet le 21 août 2025 lors d’un pool de journalistes, Clara Chappaz, à l’évidence embarrassée, peinera d’ailleurs à se justifier, renvoyant la faute sur l’ARCOM.
Un symbole du racisme anti-blanc ?
Le manque de réaction de l’ARCOM et des autorités compétentes pourrait-il s’expliquer en partie par le prisme du tabou des tabous du « racisme antiblanc légitimé » ? François Bousquet, auteur d’une enquête choc sur le racisme antiblanc, estime en effet que la mort du streamer pourrait faire écho à la légitimation par les institutions du racisme antiblanc.
Le racisme antiblanc tue !
Les images du calvaire de Jean Pormanove sont insoutenables. Pendant plusieurs semaines, des racailles ont torturé à mort cet homme pour le simple plaisir d’un public aussi barbare que ses bourreaux.
Cette barbarie a un nom : le racisme antiblanc, le… pic.twitter.com/c68Y2DhAQI
— François Bousquet (@Bousquet_FR) August 20, 2025
Rappelons que l’ex-militaire très affaibli a été continuellement maltraité par ses deux « bourreaux », dont l’un des deux « Naruto » avait déclaré être converti à l’islam. Sur les différentes vidéos en direct diffusées sur Kick, les streamers semblent en outre prendre un malin plaisir à torturer et violenter JP, le menaçant d’ailleurs à plusieurs reprises.
La mort atroce de Jean Pormanove est pour moi un des révélateurs les plus brutaux du racisme antiblanc.
Ne vous laissez pas abuser par le fait que son principal bourreau, “Naruto”, est blanc. Non, il s’est converti à l’Islam ! C’est la seule chose qui compte vraiment pour lui.… pic.twitter.com/6i7TyXGqRa
— François Bousquet (@Bousquet_FR) August 23, 2025
Dans un stream, l’un deux ira même jusqu’à le traiter de « Roerk » – un nom de chien – et déclarer : « On est en plein live, tu t’énerves, tu te mets à crier et tu fais un arrêt cardiaque ? Les gens vont s’en prendre à nous alors que c’est dû à tes 46 ans de vie minable. »
Jean-Charles Soulier

















