Les résultats du sondage publié le 18 novembre dernier par l’IFOP sur le rapport à l’islam et à l’islamisme des musulmans de France n’en finissent pas de susciter des réactions, en France, mais aussi dans le monde arabe, où la question de l’islamisme est posée avec encore plus d’acuité.
L’étude a été commandée par une revue peu connue, Écran de Veille, sorte d’observatoire des mouvements islamistes, dirigée par un journaliste algérien. Elle pointe une « réislamisation » croissante de la population musulmane française, particulièrement chez les jeunes, avec 38% des musulmans approuvant tout ou partie des positions islamistes, et 44% préférant les règles religieuses aux lois républicaines. Des chiffres qui viennent conforter ceux qui, dans l’Hexagone, ne cessent d’alerter sur l’étendue de l’idéologie islamiste au sein de la communauté maghrébine.
Islamisme ou islamophobie ?
Vu du monde arabe, ce sondage creuse davantage le schisme existant entre deux courants de pensée : l’un met en doute l’authenticité des chiffres révélée par l’institut français et crie à l’islamophobie ; l’autre, engagé contre l’islamisme politique, rappelle « le péril » des Frères musulmans.
C’est ce que traduisent les médias arabes dans leurs commentaires sur cette polémique.
L’incontournable chaîne panarabe Al-Jazeera, toujours à l’affut du moindre fait en relation avec l’islamisme dans le monde, met en relief les voix qui contestent les chiffres publiés par l’IFOP. Ce titre publié en Une de son site se passe de tout commentaire :
« Un sondage révélant la montée de l’extrémisme islamique en France largement critiqué ».
L’article met en cause « la méthodologie » et « le cadrage politique de l’étude », qu’il inscrit dans le cadre d’une « islamophobie institutionnelle » et de « surenchère sécuritaire depuis les attentats de 2015 ».
Une contribution diffusée sur le même site corrobore cette analyse. Avec un titre pompeux : « Dans la fabrique de l’islamophobie en France », l’auteur décrit le sondage comme « un maillon d’une chaîne institutionnelle et médiatique plus large ».
Les Émirats arabes pointés du doigt
Toujours dans le camp pro-qatari (donc pro-Frères musulmans), le site Arabi21 accuse nommément les Émirats arabes unis d’avoir financé le sondage de l’IFOP pour renvoyer une image ternie des musulmans de France. Pour ce média basé à Istanbul, l’étude « sert d’instrument de la politique anti‑islamiste d’Abu Dhabi, visant à délégitimer les musulmans d’Europe et à criminaliser toute expression de religiosité ».
Sur la même lancée, le site panarabe Ultrasawt reprend longuement une déclaration du recteur de la mosquée de Paris – d’origine algérienne – dans laquelle celui-ci fustigeait le sondage en question. Ce média dénonce une enquête « entretenant l’amalgame entre la piété et l’extrémisme ».
Même tempo chez le quotidien londonien Al-Quds Al-Arabi :
« Le Conseil français du culte musulman dénonce l’exploitation des sondages contre les musulmans. »
Les attaques les plus virulentes émanent de la presse écrite algérienne. Plusieurs quotidiens pointant du doigt les Émirats arabes unis – ennemi déclaré du pouvoir en place. El-Khabar, le plus gros tirage en langue arabe, affiche en titre : « Les Émirats accusés de nuire à la réputation des musulmans de France ».
Ce qui est reproché, en fait, au régime émirati, ici, c’est d’avoir, non seulement financé un sondage, par l’intermédiaire d’un média basé à Paris, mais aussi de promouvoir en parallèle « un récit alarmiste » sur les musulmans de France, accusant ces acteurs d’alimenter les forces islamophobes en Europe.
« La France face à un grave défi »
Du côté des médias réputés anti-islamistes, on ne fait plus dans la dentelle. « Un sondage révèle la montée des idées des Frères musulmans parmi les musulmans de France », titre Sky News Arabia.
Autre média émirati engagé, Al-Aïn (qui publie aussi une version française) parle de « statistiques choquantes », pour décrire les résultats du sondage. « Les Frères musulmans ont profondément noyauté les milieux de la jeunesse musulmane en France », s’alarme ce média dans un éditorial. L’auteur explique cette situation par « la hausse du niveau d’alerte sécuritaire en France et en Europe ».
Abondant dans le même sens, le site libanais Lebanon Debate estime que la France fait face à un grave défi :
« L’idéologie des “Frères” consolide son influence au sein de la communauté musulmane ».
Qui est derrière Écran de Veille ?
D’aucuns ont soupçonné la revue qui a commandé le sondage à l’Ifop, à savoir Écran de Veille, d’être inspirée par le régime émirati, qui, comme on le sait, traque l’Internationale des Frères musulmans et qui aurait donc intérêt à ce que les États européens, dont la France, fassent de même. Mais sans preuves.
Magazine mensuel spécialisé dans l’analyse des mouvements islamistes, Écran de Veille est dirigé par un journaliste algérien installé en France, Atmane Tazaghart. Avant de lancer sa revue, celui-ci avait longtemps travaillé comme correspondant de nombreux titres de la presse arabe, dont notamment Al-Majalla et Al-Akhbar, avant d’être recruté comme rédacteur en chef du journal de télévision de France 24 en arabe. Il en a été viré en 2016, en raison d’un entretien qu’il avait accordé, trois ans plus tôt, à un média du Moyen-Orient, et dans lequel il accusait « les sionistes » de financer les guerres ayant suivi le printemps arabe.
Mussa A.

















