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Dossier exclusif : état de la presse sportive en France

7 juin 2025

Temps de lecture : 11 minutes
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Dossier exclusif : état de la presse sportive en France

Temps de lecture : 11 minutes

La presse sportive en France, bien qu’elle représente une petite part du marché global, est un secteur en pleine évolution, marqué par des défis structurels.

Dans ce dossier, nous évo­querons l’état de ce secteur, car­ac­térisé par le mono­pole d’un groupe, les enjeux de la numéri­sa­tion, la place des paris sportifs, et nous met­trons en per­spec­tive la presse française par rap­port à nos voisins européens.

La presse sportive française, estimée à env­i­ron 0,7–0,8 % de la dif­fu­sion payée totale en 2024, reste dynamique grâce à l’engouement majori­taire pour le foot­ball. Selon l’Alliance pour les chiffres de la presse et des médias (ACPM), la dif­fu­sion payée totale s’élevait à 2,6 mil­liards d’exemplaires en 2024, en baisse de 1,6 % par rap­port à 2023 (ACPM — Dif­fu­sion et Fréquen­ta­tion de la Presse — DSH 2023/2024). Le secteur n’échappe donc pas à la ten­dance bais­sière de la presse écrite. Cette muta­tion, accélérée par la tran­si­tion numérique, soulève des ques­tions sur l’avenir des sup­ports tra­di­tion­nels. Ain­si, L’Équipe a entamé un virage en la matière et tente d’adapter son offre tout en réal­isant des économies.

Dans un pays mar­qué par le mono­pole du groupe Amau­ry, pro­prié­taire du titre L’Équipe, et où le foot­ball est roi, la bataille pour la part du marché de la presse sportive pour­rait être boulever­sée par le numérique et par la place crois­sante des paris sportifs.

Presse sportive écrite : un déclin naturel

La presse sportive écrite con­naît un déclin mar­qué. Selon un rap­port de Busi­ness­coot daté d’avril 2024, la dif­fu­sion payée s’élevait à env­i­ron 18 mil­lions d’exemplaires en 2022, représen­tant 0,77 % de la dif­fu­sion payée totale. En 2023, la dif­fu­sion totale de la presse française était de 2,7 mil­liards d’exemplaires, en baisse de 4,6 % par rap­port à 2022, reflé­tant une ten­dance générale de recul dans le secteur. En 2024, avec une dif­fu­sion payée totale de 2,6 mil­liards d’exemplaires, la presse sportive pour­rait représen­ter env­i­ron 18–20 mil­lions d’exemplaires, en sup­posant une part sim­i­laire. Les recettes pub­lic­i­taires, affec­tées par la crise san­i­taire, con­tin­u­ent de baiss­er, mais les revenus numériques, en hausse de 33 % entre 2019 et 2022 selon Busi­ness­coot, com­pensent par­tielle­ment cette perte.

La crise san­i­taire a été par­ti­c­ulière­ment dif­fi­cile pour le secteur sportif, avec l’arrêt pro­longé des com­péti­tions et une perte mas­sive de gains pub­lic­i­taires. Le développe­ment ful­gu­rant du numérique depuis deux décen­nies ouvre néan­moins des per­spec­tives pour le secteur.

Presse généraliste, presse spécialisée et tendances politiques

La presse général­iste, comme Le Monde ou Le Figaro, intè­gre des rubriques sportives mais ne con­cur­rence pas directe­ment les titres spé­cial­isés. L’Équipe, quo­ti­di­en leader, cou­vre l’actualité quo­ti­di­enne, tan­dis qu’une revue comme So Foot adopte une approche plus cul­turelle, mar­quée à gauche, quand un titre comme Midi Olympique se focalise sur le rug­by. La revue heb­do­madaire L’Équipe, qui verse de manière osten­si­ble dans une pen­sée unique, devenant au fil des années une sorte de Nou­v­el Obs du sport, traite de manière obses­sion­nelle des sujets comme la diver­sité sous toutes ses formes. Elle s’est pro­gres­sive­ment dif­féren­ciée du jour­nal, qui, sans être un chef‑d’œuvre de jour­nal­isme, s’en tient à des élé­ments plus factuels, bien qu’ayant per­du en qual­ité, aban­don­nant les descrip­tions des sports et des ambiances pour priv­ilégi­er des com­men­taires sou­vent laborieux sur les trans­ferts et les « à‑côtés » du sport. Le monde du sport est tra­ver­sé par des débats poli­tiques qui font écho à ceux du pays, et un jour­nal­iste comme Daniel Rio­lo, grande gueule du foot­ball français, sera ain­si classé plutôt à droite par ses détracteurs.

La spé­cial­i­sa­tion, avec des mag­a­zines comme Vélo Mag­a­zine pour le cyclisme, fidélise les pas­sion­nés, mais la dépen­dance aux ventes indi­vidu­elles (65 % de la dif­fu­sion payée en 2022) rend ces revenus insta­bles et sen­si­bles à la con­jonc­ture. Le marché du sport demeure ain­si la chas­se gardée d’une presse spé­cial­isée, mais celle-ci est en pleine révo­lu­tion avec l’arrivée d’acteurs gra­tu­its en ligne.

Prix : qui veut payer pour du sport ? L’offensive du numérique « gratuit »

Le prix des jour­naux sportifs reste abor­d­able, avec L’Équipe à env­i­ron 2–3 euros par exem­plaire. Les abon­nements numériques, sou­vent com­binés à des offres papi­er, gag­nent en pop­u­lar­ité, avec des prix annuels vari­ant de 35 à 67 euros pour des mag­a­zines spé­cial­isés comme Ten­nis Mag­a­zine. La dis­tri­b­u­tion physique, gérée par France Mes­sagerie depuis 2020, repose sur les ventes indi­vidu­elles, mais la baisse des abon­nements physiques (-5 % entre 2021 et 2022) frag­ilise le modèle.

À côté des titres his­toriques papi­er, la con­som­ma­tion de presse sportive numérique explose. En 2024, l’ACPM rap­porte 78 mil­lions de vis­ites quo­ti­di­ennes sur les sites et appli­ca­tions de presse, dont 85 % via mobile. L’Équipe.fr dom­i­nait avec 82 mil­lions de vis­ites en juin 2024. Plus de 70 % de ses lecteurs con­sul­tent ses con­tenus en ligne, mon­trant une adop­tion mas­sive, surtout chez les 25–49 ans. Néan­moins, le jour­nal his­torique doit faire face à une con­cur­rence accrue, notam­ment en matière de foot­ball, où une presse dopée aux con­tenus dits « putaclic » aguiche le cha­land avec des titres sen­sa­tion­nels et un con­tenu sou­vent repris de L’Équipe ou d’autres jour­naux européens.

Selon l’ACPM, les hommes représen­tent 84 % des lecteurs de L’Équipe, et la tranche d’âge de cette audi­ence est plutôt ras­sur­ante pour le titre : 37 % des lecteurs ont entre 25 et 49 ans. Les réseaux soci­aux, bien que pop­u­laires, restent sec­ondaires pour l’information sportive, même si la présence des médias sur ces plate­formes est indispensable.

Prédominance du football et monopole du groupe Amaury

Pour L’Équipe, la tran­si­tion numérique cache un enjeu majeur : main­tenir le mono­pole du groupe Amau­ry dans le secteur. Ce groupe, égale­ment organ­isa­teur du Tour de France, a essuyé des pertes d’annonceurs avec la muta­tion vers le numérique, mais les revenus en ligne, notam­ment grâce aux paris sportifs, com­pensent par­tielle­ment le déclin du papier.

Le groupe Amau­ry, via L’Équipe, France Foot­ball, Vélo Mag­a­zine et Golf Mag­a­zine, domine la presse sportive française. L’Équipe, héri­ti­er de L’Auto depuis 1946, béné­fi­cie d’une dif­fu­sion payée par numéro large­ment supérieure à ses con­cur­rents. Cepen­dant, la con­cur­rence des acteurs 100 % numériques, comme Eurosport ou Foot Mer­ca­to, et le piratage (290 mil­lions d’euros de pertes annuelles pour le sport en 2024, selon l’Arcom) com­pliquent la monéti­sa­tion. Les IPTV, en plein essor, captent 37 % des spec­ta­teurs de Ligue 1, défi­ant les offres légales comme DAZN, qui a finale­ment jeté l’éponge, menaçant le foot­ball pro­fes­sion­nel français.

Le foot­ball, qui vac­ille, met en péril tout l’édifice des médias sportifs. En effet, ce sport acca­pare l’offre et la demande médi­a­tique dans le petit monde du sport en France. Près de 70 % des paris sportifs con­cer­nent le rec­tan­gle vert, selon une étude de l’ANJ (Autorité de régu­la­tion des jeux en ligne) datée de 2023, une ten­dance accrue lors d’événements comme l’Euro ou la Coupe du monde. L’Équipe ne déroge pas à la règle et relaie abon­dam­ment la pub­lic­ité autour des paris sportifs.

Paris sportifs : entre tabou et machine à cash lucrative

Depuis la légal­i­sa­tion des paris sportifs en ligne en 2010 via l’Autorité de régu­la­tion des jeux en ligne (ARJEL, dev­enue ANJ en 2020), les paris sportifs ont pris une place crois­sante dans les médias sportifs, soule­vant des ques­tions éthiques et économiques. Devenus un levi­er économique majeur, ils auraient généré, selon l’ANJ, 10,7 mil­liards d’euros de mis­es en 2021, un chiffre en hausse avec des événe­ments comme les JO de Paris 2024. Des jour­naux et sites comme L’Équipe intè­grent des sec­tions dédiées aux cotes, pronos­tics et parte­nar­i­ats avec des opéra­teurs comme Betclic ou Wina­max. Ces col­lab­o­ra­tions se traduisent par des pub­lic­ités, des arti­cles spon­sorisés ou des rubriques comme « Les bons plans paris » sur le site de L’Équipe. Cette inté­gra­tion répond à une demande du pub­lic, mais brouille la fron­tière entre jour­nal­isme et marketing.

Les paris sportifs ont per­mis de com­penser la baisse des ventes papi­er, et les parte­nar­i­ats avec les opéra­teurs atténu­ent la chute des abon­nements. Cepen­dant, cette dépen­dance finan­cière pose un risque d’autocensure. Par exem­ple, les cri­tiques des pra­tiques des opéra­teurs (addic­tion, manip­u­la­tion de cotes) sont rares dans les grands titres, ce qui peut nuire à l’indépendance édi­to­ri­ale. So Foot, plus indépen­dant, abor­de par­fois ces dérives, mais reste une excep­tion. L’ANJ rap­porte que 400 000 joueurs en France présen­tent un risque d’addiction, tan­dis que des scan­dales, comme les soupçons de matchs truqués en foot­ball, hand­ball ou ten­nis, ternissent l’image de sports déjà affec­tés par des affaires de dopage.

L’enjeu pour la presse sportive, si elle veut rester indépen­dante, sera de ne pas se soumet­tre entière­ment aux acteurs économiques des paris en ligne.

RMC : la transition numérique réussie d’une radio sportive

Dans le paysage médi­a­tique sportif, la radio a longtemps eu une place cen­trale depuis les années 1920 jusque dans les années 1980, rem­placée petit à petit par les écrans.

Des sta­tions comme Europe 1 ou RMC ont con­stru­it leur iden­tité sur des émis­sions sportives phares, mêlant com­men­taires en direct, analy­ses et inter­ac­tions avec les auditeurs.

Mais au cours des dernières années, l’univers du sport à la radio a con­nu des trans­for­ma­tions avec le développe­ment des pod­casts et d’émissions à suc­cès. La tran­si­tion vers le DAB+ (Dig­i­tal Audio Broad­cast­ing), entamée dans les années 2010, a per­mis une meilleure qual­ité sonore et une plus grande diver­sité de sta­tions. Le déploiement pro­gres­sif de cette tech­nolo­gie a offert aux radios sportives l’opportunité de pro­pos­er des con­tenus plus spé­cial­isés, notam­ment via des webra­dios dédiées à des dis­ci­plines spé­ci­fiques comme le foot­ball ou le rug­by. Par exem­ple, Radio France a lancé en 2004 une webra­dio sportive, mar­quant un tour­nant dans l’offre numérique. Par­al­lèle­ment, l’essor des pod­casts a trans­for­mé les habi­tudes d’écoute.

Avec plus de 3 mil­lions d’auditeurs quo­ti­di­ens, la radio RMC se place en véri­ta­ble leader du secteur a su cap­i­talis­er sur sa cou­ver­ture sportive pour devenir un acteur incon­tourn­able, notam­ment grâce à des émis­sions emblé­ma­tiques comme L’After Foot, Super Mosca­to Show et Rothen s’enflamme.

Ces pro­grammes, mêlant analy­ses, débats pas­sion­nés et inter­ac­tions avec les audi­teurs, ont con­tribué à faire de RMC la pre­mière radio privée de France sur les pod­casts, avec près de 30 mil­lions d’écoutes men­su­elles. L’After Foot, en par­ti­c­uli­er, est devenu le pod­cast le plus écouté du pays en 2023, selon Médi­amétrie, illus­trant l’engouement pour le foot­ball et le ton de la station.

Le sport occupe une place cen­trale dans la grille de RMC, notam­ment de 15h à minu­it, avec une cou­ver­ture en direct des grands événe­ments, des matchs de Ligue 1, de Ligue des Cham­pi­ons et d’autres compétitions.

Fort de ce suc­cès radio­phonique, RMC a franchi une nou­velle étape avec le lance­ment de L’After Foot TV le 7 avril 2025, une chaîne télévisée entière­ment dédiée au foot­ball. Un suc­cès qui devrait voir naître des con­cur­rents sur ce seg­ment de marché.

Europe : des tendances assez homogènes

En Europe, la presse sportive suit une tra­jec­toire sim­i­laire à celle de la France, avec un recul du papi­er (-22 % de ventes depuis 2019) et une adop­tion mas­sive du numérique. L’Espagne (Mar­ca, As) et l’Italie (La Gazzetta del­lo Sport) mis­ent sur des sites à forte audi­ence, mais le foot­ball reste pré­dom­i­nant, selon des rap­ports de Busi­ness­coot. Au Roy­aume-Uni, The Sun et Dai­ly Mail intè­grent sport et actu­al­ité, con­cur­rençant les titres spé­cial­isés et adop­tant sou­vent une tonal­ité résol­u­ment « peo­ple ». Aux États-Unis, la presse sportive est dom­inée par des géants comme ESPN et Sports Illus­trat­ed, qui com­bi­nent télévi­sion, sites web et mag­a­zines. Le marché, porté par le foot­ball améri­cain, le bas­ket et le base­ball, béné­fi­cie de bud­gets colos­saux (230 mil­liards d’euros pour les paris sportifs en 2024, selon Sportradar), mais n’a pas une cul­ture du papi­er. Ce sont sou­vent les jour­naux locaux et les plate­formes numériques (Bleach­er Report) qui trait­ent du sport, ain­si que les grands quo­ti­di­ens nationaux.

La presse sportive française, con­fron­tée au déclin du papi­er, s’adapte à l’ère numérique tout en main­tenant une offre diver­si­fiée. L’affaire des droits télévisés du foot­ball, avec la défec­tion du dif­fuseur DAZN, pour­rait plonger le bal­lon rond dans une crise sans précé­dent et, par ric­o­chet, l’ensemble du secteur de la presse sportive, haute­ment dépen­dant de ce sport.

Le marché français des médias sportifs sem­ble aujourd’hui à la croisée des chemins, avec le développe­ment de sports comme le MMA ou de com­péti­tions comme la King’s League, un foot­ball en salle revis­ité pour le numérique. Le mono­pole de L’Équipe tient bon, mais l’arrivée de con­cur­rents dans un secteur en muta­tion pour­rait chang­er la donne, d’autant que la France est loin d’avoir autant dévelop­pé la dig­i­tal­i­sa­tion qu’un marché comme celui des États-Unis, sou­vent précurseur en matière de divertissement.

Rodolphe Cha­la­mel

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