Samedi 13 décembre, Jordan Bardella était reçu dans l’émission Quelle époque ! de Léa Salamé, où il a dû faire face à des contradicteurs mi-hostiles, mi-moqueurs. L’épisode a été abondamment commenté, si bien que le jeune président du RN a cru devoir revenir sur cette séquence sur LCI 4 jours plus tard.
Seul contre tous dans Quelle époque !
Selon France 2, le talk-show du samedi soir se veut une émission « qui raconte notre époque et interroge notre société ». Dans les faits, l’émission est éminemment bobo, et elle est le théâtre de mondanités et de joutes oratoires qui sont ensuite largement commentées. Comme une sorte de transposition à aujourd’hui des salons mondains des 17ᵉ et 18ᵉ siècles où il s’agissait de montrer son esprit et de goûter aux plaisirs de la conversation ; et avec les médias en plus, comme arbitre pour distribuer les bons et surtout les mauvais points.
Depuis plusieurs semaines, Jordan Bardella multiplie les apparitions médiatiques, en promotion de son livre et pour affirmer sa stature. Invité politique de Quelle époque !, il fut interrogé de manière serrée par Léa Salamé et Hugo Clément, mais aussi par Roselyne Bachelot et Natacha Polony puisqu’il est d’usage dans cette émission que les invités interviennent sur tous les sujets. Il n’a pas véritablement fait mauvaise figure, assumant une position à rebours de l’opinion sur la question de la fin de vie, et un désaccord avec R. Bachelot sur la réouverture des maisons closes.
Puis vint la séquence du photocall, où l’invité doit improviser une question qu’il aimerait poser à la personnalité qui s’affiche à l’écran. Et Bardella de se répéter en posant la même question : « Mais où trouve-t-il toute cette énergie ? », d’abord à Nicolas Sarkozy, puis plus loin à Donald Trump.
Léa Salamé relève la répétition de la même question : « Vous vous répétez là, petit manque d’imagination » ; Roselyne Bachelot se masque le visage du côté de Jordan Bardella, comme pour cacher son rire, et lance : « Au secours là, oh le cirage de pompe ! » ; Natacha Polony pouffe aussi et surenchérit : « Ben oui, ben évidemment. » ; Jordan Bardella répond : « Je vous trouve bien inélégante Mme Bachelot » ; ce à quoi elle répond en disant la question, supposée plus pertinente, qu’elle-même aurait posée à Trump. Juste après, un autre invité se moque en reprenant à propos de Vladimir Poutine la question déjà posée 2 fois par Bardella : « Mais où trouve t‑il toute cette énergie ? »
Une tempête dans un verre d’eau médiatique
Au final, Léa Salamé apparaît plutôt sobre et mesurée, mais c’est Roselyne Bachelot, en habituée de ce genre d’émission, qui laisse l’impression d’avoir recherché une certaine confrontation.
Bien peu de choses en vérité. Mais suffisamment pour que les médias s’engouffrent dans la brèche d’un leader du RN manquant de répartie et dominé par R. Bachelot. Puis ce sont les réseaux sociaux qui abondent de commentaires divers, tandis que le parti Renaissance et d’autres personnalités politiques y vont de leur petit post sur X.
À partir de ce moment, la caisse de résonance est en marche, tant et si bien que le président du RN a cru nécessaire de faire une mise au point sur le sujet.
Invité de Darius Rochebin sur LCI le mercredi suivant, il est manifeste que J. Bardella a peu apprécié sa participation à Quelle époque. Il regrette le montage de l’émission et les moqueries des personnes présentes qui ne lui auraient pas répondu sur le fond, et il considère qu’un traitement plus dur lui est réservé du fait de sa situation de favori des sondages. Quelle époque ! est en effet une émission en différé et il est vrai que le montage qui s’attarde sur les sourires ou les rires de ses contradicteurs ne l’avantage pas, même s’il connaissait à l’avance les règles du jeu.
L’équation difficile du favori
Le jeune leader du RN, qui à en croire les sondages est déjà en position de favori de la prochaine élection présidentielle, doit naviguer entre plusieurs écueils. Il lui faut tout d’abord rester sur la posture de dédiabolisation ; tout propos un peu trop nerveux qui le ferait sortir de cette ligne serait saisi au bond par ses contradicteurs, qui ne manqueraient pas de crier au fascisme et à l’imposture d’une dédiabolisation de façade. Mais il ne peut pas non plus se contenter de faire profil bas, au risque de passer pour une personnalité trop lisse et manquant de punch.
Quel bilan pour cette séquence médiatique ? À court terme, les railleries encaissées par Jordan Bardella sur les émissions du service public n’auront sans doute pour principal effet que de conforter ses sympathisants ; bon nombre de commentaires sur les réseaux sociaux vont dans ce sens.
Mais les médias mainstream savent parfaitement ouvrir une petite brèche, puis se répéter inlassablement et ne pas lâcher leur proie, jusqu’à obtenir la déconsidération recherchée. Pour le président du RN, ce genre de comité d’accueil va nécessairement se multiplier.
Francesco Bargolino
Illustratrion : capture d’écran vidéo “Quelle époque !”


















