La polémique ne fait qu’enfler en Algérie depuis l’annonce, le 12 novembre, de la grâce accordée par le président Abdelmadjid Tebboune à l’écrivain franco-algérien emprisonné depuis un an.
Dans leur grande majorité, les Algériens ne comprennent toujours pas le sens d’une décision qui leur semble injustifiable à tout point de vue. Si les médias publics et parapublics (ainsi se définissent les journaux ou télévisions de statut privé dépendant du financement de l’État) se limitent à reproduire un discours lénifiant sur cette grâce, en la justifiant par le souci de « déjouer une manœuvre visant à déstabiliser le pays », les réseaux sociaux sont dominés par des réactions ulcérées, y compris, fait rare, chez les opposants au régime.
Un discours lénifiant
D’El-Moudjahid, organe central du gouvernement, à Echorouk, quotidien anciennement de grande audience, en passant par Le Soir d’Algérie, la presse écrite algéroise a repris tel quel un communiqué de la présidence de la République. Ce qui donne à lire, en fait, un seul et unique article !
D’autres médias proches de la sphère officielle osent des commentaires triomphalistes, comme c’est le cas du site Algérie Patriotique, fondé par l’ex-ministre de la Défense Khaled Nezzar.
« En orchestrant la libération de Boualem Sansal sous le signe de l’amitié algéro-allemande, écrit l’éditorialiste, Alger a délibérément contourné Paris […] et envoyé un message clair : la souveraineté algérienne n’est pas négociable, et les manœuvres de la France n’ont plus la moindre influence sur les décisions de l’État algérien. »
Humanisme à deux vitesses
Plus critique, le site indépendant TSA (Tout sur l’Algérie) analyse la libération de Boualem Sansal sous l’angle de la reprise du dialogue franco-algérien. Dans un article, ce média écrit à ce propos :
« Après Bruno Retailleau, c’est un deuxième gros verrou de blocage de la relation franco-algérienne qui saute avec la grâce présidentielle ». L’auteur souligne que « cette affaire, survenue en novembre 2024, a compliqué la relation bilatérale, déjà entrée dans une phase de brouille depuis juillet de la même année ».
De son côté, Le Matin d’Algérie, un des rares sites critiques (inaccessible sans VPN), dénonce une grande hypocrisie : « Ce geste survient après une condamnation ferme et ce même jour où parallèlement une autre personne, un jeune poète, est lourdement sanctionnée », ce qui donne selon l’auteur l’impression d’un « humanisme à deux vitesses ».
Ce média met en avant l’idée que cette libération « sert plus des calculs diplomatiques, notamment vis-à-vis de la France, que de véritables principes de justice ».
Les réseaux sociaux pris d’assaut par les opposants
Dans les réseaux sociaux, les réactions sont plus débridées. Des torrents de commentaires et d’analyses d’influenceurs et d’activistes politiques vont dans le même sens : les conditions dans lesquelles cette grâce accordée à un homme qui a ouvertement assumé son révisionnisme (par rapport à l’histoire de la révolution algérienne) ne font pas honneur à l’Algérie. Certains appellent même à une mobilisation citoyenne. Ici, un florilège.
Le très populaire présentateur sportif de beIN SPORTS, Hafid Derradji, estime que « si cette décision sert la dignité de l’Algérie, qu’elle soit suivie d’un geste envers ceux qui ont été condamnés pour leurs idées. C’est ainsi qu’on renforce l’unité nationale ! », clame-t-il.
Pour l’avocat et ancien député du RCD, Hakim Saheb :
« La libération de Boualem Sansal ne doit pas faire oublier les autres voix bâillonnées. Celles qui croupissent encore en prison pour leurs idées et leur militantisme pacifique. »
En Algérie, il y aurait encore entre 200 et 250 détenus politiques.
L’islamiste Abderrezak Makri, ex-président du MSP (Frères musulmans), en veut, lui, au pouvoir en place de faire dans le deux poids deux mesures :
« La libération de Sansal, grâce à une intervention étrangère, a‑t-il déclaré, signifie que les accusations de trahison officiellement punies bénéficient d’une protection étrangère, alors que l’exercice du droit constitutionnel à l’opposition politique ou à l’expression d’opinions intellectuelles est perçu comme un crime impardonnable. »
La guerre continue !
Sans se dire ouvertement hostiles à la libération de Boualem Sansal, la plupart des opposants ont saisi l’occasion pour demander au chef de l’État de gracier « d’autres détenus condamnés pour des faits bien moins graves », comme l’écrit Soufiane Djilali.
Cette histoire a aussi fait réagir, avec autant de véhémence, les activistes exilés en France. Le journaliste Mohamed Sifaoui écrit dans ce poste sur X :
« Boualem Sansal est enfin libre ! Mais le peuple algérien est, lui, toujours otage du régime de Abdelmadjid Tebboune depuis 2 163 jours », fulmine-t-il.
Du côté des YouTubeurs, le ton est plus belliqueux. Pour Saïd Bensedira, qui se dit proche des services de renseignements algériens, le président Tebboune « a trahi les martyrs et les principes fondateurs de la révolution algérienne ». Il appelle la population à descendre dans la rue pour manifester et exiger le départ du président et de son gouvernement. « C’est la faillite morale de Tebboune », lance, pour sa part, Abdou Semmar.
Une phrase assassine, prononcée à chaud par Boualem Sansa à son arrivée à Berlin le 12 novembre, et publiée par Le Point, est venue mettre le feu aux poudres. À une demande de son interviewer (l’Algérien Kamel Daoud) de formuler « une phrase optimiste », le désormais ex-détenu répondait :
« Tu dis : “Bonjour la France, Boualem revient. On va gagner !” »
La guerre ne fait que commencer.
Mussa A.


















