Une majorité de Français soupçonnaient bien un certain parti pris de l’audiovisuel public. Mais c’est une chose que de supposer une inclinaison à gauche, c’en est une autre que d’en avoir confirmation en entendant les choses exprimées sans ambiguïté possible. Et c’est pourquoi la vidéo diffusée par L’Incorrect entraîne des réactions en chaîne.
Les regards se tournent vers l’ARCOM
Ironie de la situation, il se trouve que Rachida Dati, ciblée dans la vidéo par Thomas Legrand et Patrick Cohen dans ses ambitions pour la mairie de Paris, et qui par ailleurs avait déjà eu maille à partir avec Patrick Cohen sur le plateau de France 5, se trouve aussi être la ministre de tutelle de l’audiovisuel public.
Or Rachida Dati réclamait depuis des mois « une exemplarité absolue » du service public et poussait l’ARCOM à imposer ses règles. Et elle a réagi vivement à la diffusion de la vidéo, à la fois comme personnalité politique ciblée et comme ministre de tutelle.
Par ailleurs, la pression monte aussi au Sénat, où un groupe de parlementaires LR a écrit une lettre ouverte à Martin Ajdari, président de l’ARCOM, lui demandant « une réponse forte, appuyée sur des mesures concrètes » afin de « restaurer la confiance des Français ».
L’ARCOM a donc auditionné à huis clos les présidentes de France TV et de Radio France. À la suite de ces auditions, l’Autorité a évacué le cas des 2 journalistes en estimant que l’appréciation de leur déontologie professionnelle relevait des employeurs.
En revanche, elle a annoncé le lancement d’un travail destiné « à objectiver la portée concrète de l’exigence d’impartialité s’appliquant spécifiquement au service public de l’audiovisuel ». De plus, une étude sera lancée sur les attentes du public en la matière. Enfin, les dispositifs et outils existants et visant à assurer l’indépendance et l’impartialité des chaînes et antennes du service public seront passés en revue et le cas échéant complétés.
Lorsque la situation se tend, il est logique que l’autorité de régulation soit sollicitée pour arbitrage. Mais, si l’ARCOM s’est cette fois décidé à se pencher sur la question de l’impartialité du service public, c’est bien contraint et forcé par les événements, et après avoir déjà esquivé le sujet. Peu d’espoir de ce côté-là.
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L’OJIM en lanceur d’alertes
Rappelons que l’OJIM et 3 autres associations avaient saisi l’ARCOM en 2024 pour obtenir une juste représentation des courants d’opinions dans un certain nombre de télévisions et radios, notamment du service public :
Mais cette requête avait été rejetée par l’ARCOM, puis par le Conseil d’État :
Bien entendu, l’OJIM ne manquera pas de suivre le résultat des travaux que l’ARCOM vient de lancer, même si malheureusement les précédents en la matière augurent mal d’une volonté et capacité à aboutir.
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Commission d’enquête parlementaire
Il en va de même à l’Assemblée nationale où le groupe UDR d’Éric Ciotti a demandé la création d’une commission d’enquête sur la neutralité de l’audiovisuel public.
Cette commission d’enquête devrait s’intéresser à certaines nominations, par exemple celle de Stéphane Sitbon-Gomez comme directeur des antennes et programmes de France TV, alors qu’il avait précédemment occupé les fonctions de directeur de cabinet de Cécile Duflot et de directeur de campagne d’Eva Joly.
Il est aussi prévu que la commission auditionne plusieurs figures de l’audiovisuel public, les noms de Martin Ajdari, Delphine Ernotte, Patrick Cohen, Léa Salamé, Caroline Roux, Élise Lucet, Adèle Van Reeth sont cités, ce qui devrait donner une certaine résonance à ses travaux.
Les emmerdes volent en escadrille (Jacques Chirac)
Un souci n’arrivant jamais seul, la Cour des comptes a publié le 23 septembre son rapport de contrôle sur France TV.
Paul Amar, et d’autres avec lui, ont estimé que ce rapport était prêt dès le mois de mai, mais que sa publication avait été retardée afin de ne pas gêner la reconduction de D. Ernotte à la tête de France TV. Mais quoi qu’il en soit, cette publication tombe mal pour l’audiovisuel public, l’irresponsabilité financière venant s’ajouter à la partialité politique.
Ce n’est pas la première fois que la Cour des comptes épingle une mauvaise gestion de l’audiovisuel public. Le dernier rapport sur Radio France de janvier 2025 relevait déjà une gestion des ressources humaines problématique. Et ce nouveau rapport sur France TV évoque notamment « une situation financière préoccupante » et « une rénovation du cadre social qui est indispensable à la performance de l’entreprise ».
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Certaines personnalités politiques se sont empressées de demander la privatisation, arguant que l’audiovisuel n’est pas un domaine où la présence d’un service public se justifie. D’autres demandent que soient mieux définies les obligations de service public, qui doivent être la contrepartie des avantages dont bénéficie ledit service public.
Affaire Legrand-Cohen, un symptôme ?
Cette affaire laissera durablement des traces ; car la vidéo diffusée contient au moins trois sujets marquants.
Le premier sujet est la connivence entre journalistes et responsables politiques. Cette connivence ressemble à une complicité qui est totalement naturelle et intériorisée, où T. Legrand met le service public au service de la stratégie électorale socialiste ; tout d’abord en assurant ses interlocuteurs que France Inter pourra rallier l’électorat centriste à une candidature Glucksmann ; et ensuite en proposant spontanément ses services et ceux de P. Cohen, sur un mode complice, afin de neutraliser R. Dati et de franchir ainsi l’obstacle de l’élection municipale parisienne.
Le deuxième sujet qui interpelle, c’est la grande confiance, pour ne pas dire le sentiment de toute-puissance, qui habite le journaliste. Celui-ci n’a aucun doute sur la puissance de l’outil médiatique dont il dispose. Oui, France Inter a une forte audience sur le centre gauche et le centre droit. Oui, il va enfoncer Rachida Dati ; oui, il pourrait rallier une partie du marais centriste à Raphaël Glucksmann. Sans doute a‑t-il de bonnes raisons de croire à l’impact des médias sur les événements, et la vidéo montre une personne qui n’a aucun doute sur son influence.
Au-delà du parti pris de gauche, le troisième sujet d’étonnement est de voir un Thomas Legrand qui n’est pas seulement observateur, mais qui se voudrait aussi acteur et stratège de la politique. Il recompose le paysage, élargit le champ politique « de Ruffin à Canfin », recentre Glucksman, et se fait fort de faire avaler le tout aux auditeurs de France Inter… Ce numéro de stratégie sur tapis vert peut faire sourire.
Mais il montre en fait un journaliste trop vite aspiré par la cuisine politique et qui ne garde pas – et depuis longtemps – la distance nécessaire à l’exercice de son métier. Comment dans ces conditions peut-il rendre compte des événements avec le recul indispensable ? Thomas Legrand sera absous par le médiateur de Radio France, qui s’en étonnera ? Mais il est bel et bien carbonisé.
Voir aussi : Thomas Legrand, portrait
Francesco Bargolino


















