Un décret publié le 2 juin 2025 suscite l’opposition des syndicats de journalistes, qui craignent qu’il permette à des publications sans journalistes professionnels de bénéficier d’aides publiques. Le ministère de la Culture défend une approche équilibrée pour soutenir la presse spécialisée.
Levée de boucliers
La publication d’un décret modifiant les conditions d’attribution des aides à la presse a provoqué une levée de boucliers de la part des syndicats SNJ, SNJ-CGT, CFDT-Journalistes, SGJ-FO et de plusieurs associations professionnelles. Ce texte, qui révise un décret de 2021 jamais appliqué, est au cœur d’un débat sur la définition du journalisme et l’éligibilité aux aides publiques, telles que le taux de TVA réduit à 2,1 %, les tarifs postaux préférentiels ou l’accès au Fonds stratégique pour le développement de la presse. Cette controverse fait écho à la crise de Science & Vie en 2020, où une rédaction vidée de ses journalistes après un rachat par Reworld Media avait conduit à une réflexion sur les critères d’attribution de ces aides.
Un décret controversé
Le décret de 2021 (n°2021–1746) disposait qu’une publication devait s’appuyer sur une « équipe rédactionnelle composée de journalistes professionnels » pour bénéficier des aides, dans le but de garantir un traitement journalistique rigoureux (recherche, collecte, vérification et mise en forme de l’information). Cependant, ce texte n’a jamais été appliqué, faute de consensus sur ses modalités, selon la Direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC). Le nouveau décret, attendu le 2 juin 2025, propose une reformulation : « Le caractère journalistique du traitement de l’information est apprécié au regard de la composition de l’équipe rédactionnelle, de la taille de l’entreprise éditrice, de l’objet de la publication et de sa périodicité. » Il précise que ce caractère est « réputé établi » si le contenu est produit par des journalistes professionnels ou par des agences de presse agréées.
Ce changement élargit les critères d’éligibilité, permettant à des publications rédigées par des experts non-journalistes, comme dans la presse médicale ou juridique, de prétendre aux aides. Environ 90 publications imprimées et 50 titres en ligne, dont Caviar Magazine ou 2CV Xpert, auraient déjà bénéficié de dérogations depuis 2021, selon les syndicats.
Les syndicats jaloux de leurs privilèges
Les syndicats dénoncent une formulation « alambiquée » qui pourrait permettre à des éditeurs de contourner la loi Cressard, imposant une rémunération salariale pour les journalistes, en recourant à des rédacteurs payés en droits d’auteur. Ils craignent que ce texte n’ouvre la voie à une précarisation accrue de la profession et à une dévalorisation du journalisme. Ils demandent l’abandon du décret et une représentation syndicale à la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP).
De son côté, le ministère de la Culture argue que le décret vise à protéger des publications spécialisées contribuant au débat démocratique, tout en préservant l’esprit initial du texte de 2021. Catherine Chagniot, de la Fédération nationale de la presse d’information spécialisée, soutient que ces revues, souvent rédigées par des experts, ne devraient pas être pénalisées.
Face à une profession en pleine mutation et encore largement dépendante des aides publiques comme peut en témoigner notre infographie des aides à la presse en 2023, l’enjeu est de préserver le modèle privilégiant le statut des journalistes contre la presse spécialisée.
Rodolphe Chalamel