Tandis que Cnews caracole en tête des chaînes d’information et bat ses records d’audience, France 2 a choisi de programmer jeudi 27 novembre son émission Complément d’enquête sur la méthode CNews. L’OJIM décrypte son déroulé qui a eu un effet comparable à celui de l’arroseur arrosé.
Le choix du moment
Alors que la commission d’enquête parlementaire sur l’audiovisuel public bat son plein, et que France TV et Radio France ont assigné Cnews en justice pour « dénigrement », la diffusion d’une émission visant justement à mettre en accusation Cnews surprend. Était-ce réellement le moment opportun ?
La date de diffusion de ce complément d’enquête avait été fixée à l’avance et coordonnée avec la sortie de l’étude que l’ONG Reporters sans frontières (RSF) avait menée, étude à laquelle France 2 avait eu accès à l’avance et qui devait constituer un temps fort de l’émission.
La journaliste ayant réalisé l’émission, Lilya Melkonian, admettait cependant en creux que cette date n’était pas forcément judicieuse. Elle voit en effet dans le maintien de la diffusion « la preuve que l’information de France Télévisions est complètement indépendante de la direction ». Nous comprenons de ce propos que, selon la journaliste, si la direction avait été interventionniste, elle aurait certainement repoussé la diffusion.
Dans les faits, le maintien de cette programmation doit sans doute être relié aux attaques virulentes de Delphine Ernotte contre CNews, notamment dans Le Monde, et à la procédure judiciaire engagée contre la même chaîne. La stratégie est claire, c’est celle d’une combativité renouvelée du service public contre ses détracteurs, et d’une polarisation, voire une antagonisation, du débat sur l’audiovisuel. Pour mieux faire oublier ses difficultés et ses propres turpitudes ? Nous laisserons chacun se faire son opinion.
Controverse et coupures en catastrophe
L’objet principal de l’étude de RSF, diffusée officiellement la veille de l’émission, était de montrer que Cnews détournait les règles sur le temps de parole.
Mais l’étude de RSF a immédiatement été contredite par l’ARCOM qui affirmait « ne pas avoir constaté de détournement des règles du pluralisme politique sur Cnews… Nos résultats ne sont pas ceux de RSF, nous n’avons pas de doute », et qui semblait un peu froissée : « S’il y en avait eu, nous les aurions identifiés et nous serions intervenus ». L’ARCOM fait même le constat inverse d’une surreprésentation de LFI ou du PS sur la période observée.
Ce désaveu de l’étude RSF par le gendarme de l’audiovisuel était si net qu’il s’en est suivi un débat interne à France TV, et la demande de la direction de couper en urgence certains passages de l’émission. Notons que, contrairement à ce qu’affirmait Lilya Melkonian, la direction sait donc être interventionniste lorsqu’elle le juge nécessaire, ce qui est heureux. Malheureusement, les coupures effectuées en urgence ont été incomplètes ; l’animateur Tristan Waleckx a ainsi fait référence dans la séquence des fauteuils rouges à des extraits et des graphiques qui avaient été coupés dans l’émission, rendant ces passages totalement incohérents.
Soit dit en passant, il est intéressant d’observer comment un apprenti-contrôleur (RSF) entend contrôler le contrôleur officiel (l’ARCOM), comment celui-ci se rebiffe pour protéger son monopole du contrôle, et comment les résultats de cette étude sont malgré tout complaisamment repris, notamment par Le Monde, Le Nouvel Obs, L’Humanité, Libération, Huffingtonpost et Télérama. Jean-Louis Borloo disait récemment que la France était devenue un pays de contrôleurs. De ce point de vue, il n’avait pas tort.
Les personnalités ciblées
Deux personnes, Pascal Praud et Vincent Bolloré, concentrent les critiques.
Les autres journalistes vedettes que sont Laurence Ferrari, Sonia Mabrouk et Christine Kelly sont complètement ignorées, ce qui est regrettable pour des incarnations aussi fortes.
Pascal Praud est décrit comme « un ancien journaliste sportif », et à 23 ans comme « très prétentieux, sachant tout, un petit c… », « aimant la polémique » et donnant son avis personnel dans les émissions. Mais d’autres intervenants estiment qu’il est aussi « très cultivé », « professionnel », « fidèle en amitié », « ayant le sens du rythme (d’une émission) », « personnage de théâtre » et « beaucoup plus ouvert que l’image qu’il donne ». Bref, il apparaît comme un personnage clivant et populiste, mais pas totalement dénué de certaines qualités.
Le portrait dressé de Vincent Bolloré est bien pire : « un proche de Nicolas Sarkozy », « marqué à droite », « voulant construire un empire médiatique pour imposer ses idées », « catholique, fervent pratiquant », « fait des pèlerinages », « a des images pieuses dans son portefeuille » et « ayant permis l’ascension d’Éric Zemmour ». Dans la monoculture du service public, ces qualificatifs incarnent le mal. Le grand patron Vincent Bolloré est bien l’instigateur caché, sans qui rien de cela ne serait arrivé.
Alain Minc, après avoir critiqué sa finalité idéologique, estime que Vincent Bolloré est « un grand entrepreneur ». Mais en fait, cela ne fait que le rendre plus dangereux puisqu’il met ce talent au service d’un projet mauvais. Il est aussi dit que Vincent Bolloré s’est radicalisé idéologiquement depuis le début de son aventure dans les médias. Ce point est difficile à évaluer. Mais en même temps, il est crédible d’imaginer qu’une personne qui est ainsi ciblée et extrême-droitisée n’en ressorte pas sans quelques traces.
Des arguments peu convaincants
Il ne reste finalement de l’étude RSF qu’une analyse « scientifique » du vocabulaire utilisé à l’antenne, qui montre que les mots « immigration » et « islam » sont davantage utilisés sur CNews que sur les autres chaînes d’information en continu. Voilà une révélation qui n’a probablement surpris personne. Tout ça pour ça, est-on tenté de dire.
Pour tenter de démontrer que CNews pratiquerait la désinformation, Complément d’enquête s’appuie largement sur les sanctions de l’ARCOM. Les lourdes condamnations de CNews sont un fait incontestable. Il y aurait cependant beaucoup à dire sur la multiplication des signalements à l’ARCOM et sur les motifs des sanctions, mais cela n’est pas notre sujet ici.
Il est d’autre part révélé comme un grand scoop que Cnews demande à ses journalistes de préciser les nationalités, lorsqu’elles sont connues, des victimes comme des fauteurs de trouble. Et pourquoi faudrait-il taire cette information factuelle ?
CNews s’efforcerait d’établir un lien entre immigration et insécurité. Pourtant, selon complément d’enquête, « ce lien de causalité entre étrangers et insécurité n’existe pas, et c’est la science qui le dit ». La science, ce sont en l’occurrence les travaux du CEPII, un « centre de recherche rattaché au gouvernement » pour lequel « toutes les études concluent à l’absence d’impact de l’immigration sur la délinquance ». Comme le rappellera Philippe Ballard, invité surprise en fin d’émission, les chiffres officiels du ministère de l’Intérieur contredisent lourdement cette affirmation.
Les autres arguments avancés à la suite de plusieurs mois d’enquête sont tout aussi faibles.
Il est aussi reproché à CNews d’avoir indiqué dans un bandeau que des habitants de la ville de Charenton-le-Pont s’étaient opposés à l’accueil de réfugiés gazaouis logés dans l’hôtel de ville. L’intervention du maire montre que ces personnes ont bien été accueillies dans un hôtel de Charenton, mais ce n’était pas à l’hôtel de ville. D’autre part, il existe bien une pétition des habitants contre cet accueil, dont ni la préfecture ni la municipalité n’avaient été informées.
Enfin il y a la séquence dans laquelle Prisca Thèvenot pointe une information diffusée 2 jours avant le second tour des élections législatives de juillet 2024 par le JDD, selon laquelle le gouvernement avait volontairement mis en pause des décrets d’application de la loi immigration (de la même manière que Gabriel Attal avait suspendu quelques jours plus tôt la réforme de l’assurance chômage). Le JDD a maintenu son information et s’en est expliqué précisément.
Dans cette affaire, il ne s’agit plus de CNews, mais à ce stade le téléspectateur a compris depuis longtemps que la véritable cible, ce sont tous les médias de droite.
La méthode CNews, puisque tel était le sujet
Des audiences en hausse continue pour une chaîne qui pratiquerait la désinformation ? Il y a quelque chose qui cloche dans la démonstration qui est présentée. Plus précisément, il y a une réflexion un peu courte ; soit les Français aiment la désinformation et il faut les rééduquer, et peut-être nationaliser toutes les chaînes d’information ; soit au contraire ils trouvent sur CNews une vraie information et des sujets qui les préoccupent et qui sont tus ou censurés sur l’audiovisuel public.
Dernier exemple en date de ces sujets : le 24 novembre, lors de la grande interview de CNews et Europe 1, la maman du jeune Elias assassiné en janvier était reçue, et le rapport de l’inspection générale de la Justice qui a suivi cette affaire était évoqué. Pour entendre les victimes ou pour s’informer sur un rapport très instructif, le public n’avait pas d’autre choix que d’aller sur Cnews.
Et si le succès de la chaîne était dû avant tout aux insuffisances des autres médias, et notamment du service public ?
Francesco Bargolino


















