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Centrale nucléaire de Zaporijjia : faire peur est plus important qu’informer

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27 août 2022

Temps de lecture : 5 minutes
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Centrale nucléaire de Zaporijjia : faire peur est plus important qu’informer

Temps de lecture : 5 minutes

Il s’agit d’une des plus grandes centrales nucléaires au monde, la plus puissante d’Europe. Elle fait trembler tout le monde depuis le milieu de l’été. La centrale de Zaporijjia pourrait à tout moment faire l’objet d’un accident, dont les responsables seraient bien évidemment à chercher du côté de Moscou. C’est ce que chantent tous en chœur les médias occidentaux, qui oublient au passage de livrer les informations les plus élémentaires sur la place de cette centrale dans le conflit russo-ukrainien.

Un enjeu stratégique de premier plan

Cette cen­trale est aux mains des Russ­es depuis début mars 2022. Ce que nos médias ont ten­dance à oubli­er, c’est que l’enjeu de cette cen­trale va au-delà de son occu­pa­tion mil­i­taire et réside dans le con­trôle et l’acheminement de sa pro­duc­tion. Ce point est dans l’ensemble mas­sive­ment occulté dans la presse occi­den­tale. Le regain de ten­sion médi­a­tique sur cette cen­trale cor­re­spond au moment où les Russ­es, début août, ont offi­cielle­ment annon­cé l’enclenchement de la phase de réori­en­ta­tion de la pro­duc­tion élec­trique de la cen­trale vers la Crimée, en coupant les itinéraires d’approvisionnement vers les régions con­trôlées par Kiev. Il n’est du reste pas à exclure que ces opéra­tions expliquent le récent retour de la ques­tion criméenne, les dis­cours de Zelen­sky expli­quant vouloir repren­dre la pénin­sule aux Russ­es et les attaques ukraini­ennes con­tre cette dernière. Mais ces enchaîne­ments sont trop com­plex­es pour les médias de grand chemin, qui préfèrent don­ner dans le sen­sa­tion­nel et le lar­moy­ant, une atti­tude qui a cul­miné le 15 août sur BFMTV avec Aline Le Bail-Kre­mer, qui sous un angle psy­chologique et affichant fière­ment les couleurs ukraini­ennes, rejette la faute sur Poutine :

France 2 pris en flagrant délit de manipulation

Le ton don­né par la presse française cet été con­sis­tait à par­ler de « bom­barde­ments » en se gar­dant bien de pré­cis­er, ou d’essayer de clar­i­fi­er, qui étaient les auteurs de ces bom­barde­ments. Les experts s’étant aven­turés à pré­ten­dre que la Russie n’avait aucun intérêt à effectuer des frappes sur une cen­trale qu’elle occupe depuis plusieurs mois étaient large­ment minori­taires dans la presse, et n’étaient en général invités qu’une seule fois sur les plateaux.

Mais France 2 est allé bien plus loin, et, dans un sujet mémorable, a sans ver­gogne mon­tré des images qui selon la voix-off prou­vent les attaques russ­es sur le toit de la cen­trale. Les inter­nautes ont très vite effec­tué leur pro­pre fact-check­ing, en mon­trant que le fameux mis­sile mon­tré par la chaîne France 2 était en fait une chem­inée du toit de la cen­trale. Pris la main dans le sac, France 2 a présen­té ses plus plates excus­es depuis :

Quand Zelensky sort du bois, la presse française l’ignore

Le 14 août, en plein frémisse­ment médi­a­tique sur la cen­trale, le prési­dent Zelen­sky passe indi­recte­ment aux aveux en expli­quant que les forces ukraini­ennes étaient prêtes à frap­per les Russ­es occu­pant la cen­trale nucléaire.

Aucune réac­tion out­rée dans la presse française suite à cette déc­la­ra­tion. Les bom­barde­ments étant depuis tou­jours présen­tés sans pré­cis­er leurs orig­ines, voire en sous-enten­dant ou en affir­mant qu’ils sont l’œuvre du chien fou Pou­tine, comme l’appelle BHL dans son film Pourquoi l’Ukraine.

Les Occi­den­taux veu­lent le départ des troupes russ­es de la cen­trale, car ils ont bien con­science que Kiev est en train d’être privé de ses ressources essen­tielles. La bataille pour les ressources est un des ver­sants de cette guerre, et pour l’habiller les médias occi­den­taux usent comme à leur habi­tude de tech­niques mani­ant l’émotionnel et le sen­sa­tion­nel. Certes, une cat­a­stro­phe nucléaire n’est pas à exclure – dont les ukrainiens seraient au moins par­tielle­ment respon­s­ables — et les agi­ta­tions autour de la cen­trale con­sis­tent à jouer avec le feu. Mais nos médias répan­dent un brouil­lard psy­chologique empêchant d’y voir clair dans cette affaire.

Le spectre de Tchernobyl

Il sem­blerait que les Russ­es aient désor­mais accep­té la venue d’une équipe inter­na­tionale de l’Agence inter­na­tionale de l’énergie atom­ique pour inspecter la cen­trale. Le prési­dent français a déclaré que son homo­logue russe était d’accord sur ce principe. En par­al­lèle de cette option qui sem­ble raisonnable, le tra­vail médi­a­tique à sens unique con­tin­ue. Rien ne sem­ble indi­quer que les médias français enten­dent faire la lumière sur les respon­s­abil­ités des uns et des autres. Il leur suf­fit de lancer invari­able­ment le mots « bom­barde­ments » et « cen­trale nucléaire » pour que les con­som­ma­teurs de médias con­di­tion­nés men­tale­ment sur ce con­flit n’y voient que du feu et voient naturelle­ment appa­raître la main du Pou­tine. Les médias n’ont plus besoin d’être pré­cis, la machine de pro­pa­gande de guerre fonc­tionne toute seule.

On évoque partout des frappes sur une cen­trale occupée par les Russ­es, un nou­veau Tch­er­nobyl qui se des­sine. Une carte inter­ac­tive des éventuelles radi­a­tions, dans le cas d’un acci­dent entre le 15 et le 18 août, a même été publiée :

Et cela va plus loin : ces radi­a­tions toucheraient des pays de l’OTAN ! La Russie se rendrait ain­si respon­s­able d’une attaque con­tre l’OTAN. Tout est donc bon pour l’escalade médi­a­tique (et qui sait mil­i­taire), alors qu’aucun élé­ment con­cret n’est fourni par la grande presse française sur la réelle sit­u­a­tion mil­i­taire autour de la centrale.