Sous couvert d’alerter sur les « dangers du numérique », Emmanuel Macron a lancé un tour de France de débats coorganisés par la presse quotidienne régionale. Une opération de reconquête symbolique, où les journaux locaux financent la logistique tandis que l’Élysée tient le micro, en pleine chute de popularité.
La PQR met en scène avec complaisance
Derrière la mise en scène d’un président « à l’écoute » des Français sur « la démocratie à l’épreuve des réseaux sociaux et des algorithmes », l’Élysée a choisi un canal bien précis : la presse quotidienne régionale (PQR). De Toulouse avec La Dépêche du Midi à Arras avec La Voix du Nord, en passant bientôt par Clermont-Ferrand (La Montagne) ou Épinal (groupe EBRA), ce sont les titres locaux qui servent de cadre, de producteur et de caution à cette tournée très politique.
Une croisade très encadrée
Selon les révélations de Nathalie Segaunes dans Le Monde, tout commence par un déjeuner à l’Élysée, le 29 octobre, avec une quinzaine de patrons de la PQR, convoqués pour parler des réseaux sociaux et de la démocratie. Là, Emmanuel Macron explique qu’il veut engager un « tour de France » et déclare aux éditeurs : « J’ai besoin de vous. » La presse nationale, elle, n’est tout simplement pas invitée.
La suite est connue : débats au format « face aux lecteurs », dispositif lourd à monter et assumé financièrement par les journaux, mobilisation de centaines de lecteurs, production vidéo pour diffuser la parole présidentielle… Le tout à un rythme serré, calé sur l’agenda de l’Élysée. À Toulouse, La Dépêche n’a que quelques jours pour tout organiser, avant une séquence sur la stratégie spatiale.
Autrement dit, la pédagogie sur le numérique s’accompagne d’une mise en scène où le chef de l’État reste le centre de gravité, tandis que les rédactions locales endossent les frais et la logistique d’une campagne de communication qui ne dit pas son nom.
La PQR, relais de proximité ou variable d’appoint ?
L’argument avancé par Emmanuel Macron est clair : la PQR serait le « premier rempart » contre les « fake news », grâce à son ancrage territorial. L’initiative élyséenne, avec son cadrage thématique très serré, laisse peu de doute sur l’intérêt politicien de la manœuvre.
Les débats ne débouchent d’ailleurs sur aucune mesure concrète. Le président recycle ses thèmes : « majorité numérique » à 15 ans, promesse de « très lourdes amendes » pour les plateformes, éventuel label pour distinguer les « bons » réseaux sociaux et sites d’information, donc ceux jugés dignes de confiance ».
Pendant ce temps, plusieurs analyses rappellent que la France applique encore mal les outils déjà disponibles dans le droit européen du numérique.
Réguler le numérique… et recadrer le paysage médiatique
Le contexte politique donne à cette tournée une autre coloration. Un récent sondage Ipsos/BVA pour Le Monde indique que 58 % des Français souhaitent la démission du président, signe d’une usure profonde de la parole macronienne. Se présenter en rempart contre le « chaos » des réseaux sociaux permet alors de se replacer au centre du jeu démocratique, en opposant la respectabilité des journaux régionaux au « Far West » des plateformes.
Reste une question, que la PQR ne peut esquiver : en acceptant de porter seule la logistique et le coût d’un dispositif pensé par l’Élysée, tout en donnant au chef de l’État un accès privilégié à ses lecteurs, ne risque-t-elle pas de perdre un peu de l’aura dont elle dispose encore presque partout en France ?
Déjà fragilisée ici et là pour des proximités idéologiques, la PQR pourrait s’affaiblir un peu plus avec ce baiser de la mort présidentiel.
Antonin Firminy


















