« Flotille de la liberté » ou « selfie yacht ». « Militants » ou « journalistes ». Briser le blocus ou faire une croisière.
Les mots ont un sens et les journalistes les choisissaient avec soin pour évoquer l’affaire du Madleen, bateau arraisonné par Israël à 30 miles des côtes de Gaza (donc dans les eaux internationales), et qui devait apporter aux Gazaoui l’équivalent d’un camion de denrées diverses.
Quand un journaliste d’extrême-gauche joue de son statut… et avec le feu
Parmi les Français retenus par Israël figuraient deux journalistes. Yanis Mhamdi, actuellement chez Blast et ancien de Off Investigation, et Omar Faiad. Off Investigation écrit ainsi que Yanis Mhamdi était sur le Madleen pour « [couvrir] une opération humanitaire à destination de Gaza ». Blast détaillera les menaces et mauvais traitements subis par les passagers du Madleen : privation de sommeil, impossibilité d’accès aux sanitaires, à l’eau et à la nourriture. Les autorités israéliennes auraient menacé Rima Hassan de lui « écraser la tête contre le mur » si elle ne signait pas un document reconnaissant l’illégalité de son action et acceptant son expulsion du territoire pour cent ans. Blast précise également que Yanis Mhamdi « clairement identifié comme journaliste », « a été braqué avec une arme de guerre par les soldats israéliens ». Il dénonce comme une « honte » la prise de parole de François Bayrou (plus tard qualifié comme « l’homme »), qui a qualifié les huit passagers français du Madleen de militants « en oubliant de mentionner que notre journaliste Yanis Mhamdi est retenu par Israël malgré son statut et en toute illégalité. »
Un abus de la liberté de la presse ?
Il a été dit que, au nom de la liberté de la presse, il aurait fallu soutenir inconditionnellement les deux journalistes et exiger leur libération immédiate. Qu’il soit permis à l’Observatoire de soupçonner que Yanis Mhamdi et Omar Faiad ont d’abord pris place sur le Madleen en tant que militants, bien qu’ils se soient cachés derrière leur carte de presse. Un comportement qui met justement en danger la liberté éponyme, car pour que chaque journaliste puisse être protégé, tous doivent être irréprochables. Cette frontière poreuse entre la fonction des membres de l’équipage sur le Madleen et leur raison personnelle d’y être se retrouve chez d’autres membres, et certains médias ne s’y trompent pas. Ainsi, Pascal Maurienas est « ingénieur informatique et passionné de voile » pour 20 Minutes, qui se concentre sur son métier et ses hobbies. En revanche, pour Le Monde, le même Pascal Maurienas devient un « militant ».
La propagande, celle que tous dénoncent et que tous reprennent
Nos ancêtres les Poilus savaient déjà que dans la guerre se trouve aussi la guerre de l’information. Depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas – et avant, pendant la guerre entre la Russie et l’Ukraine – les partisans de chaque camp accusent les autres de reprendre le narratif d’un camp ou de l’autre. Ainsi, Blast, Off Investigation et d’autres titres semblables reprochent ainsi au gouvernement de répéter les éléments de langage d’Israël. Plusieurs ONG, dont certaines se parent des atouts de la neutralité, en néanmoins font autant des éléments de langage du Hamas. Amnesty International dénonce ainsi le « blocus illégal » qui « restreint la fourniture de biens et services essentiels ». Selon cette organisation « Israël affame les civil·e·s et assiège le territoire dans le cadre d’un plan orchestré pour mener à la destruction physique des Palestinien·ne·s de Gaza. Il s’agit d’un génocide. » Concernant le Madleen, Amnesty explique que ses passagers « ont tenté de dénoncer le génocide perpétré par Israël et la politique cruelle et inhumaine de ce pays », qu’ils « ont agi dans le respect le plus strict du droit international et du droit maritime » et que « leur détention est arbitraire et dépourvue de fondement juridique. » Selon Amnesty, « il y avait 12 personnes à bord du Madleen, issues d’horizons divers allant du militantisme au journalisme, en passant par la politique », comme si ces trois horizons étaient éloignés les uns des autres, surtout pour les journalistes de médias militants.
Les condamnations unanimes de la presse
Dans la guerre entre Israël et le Hamas, prendre parti est pour le moins dangereux. Être contre Israël, c’est être pour le Hamas, mouvement terroriste, et cautionner potentiellement les massacres, les viols et le fait de prendre des enfants et des bébés en otage. Être pour Israël, c’est cautionner un gouvernement dont les actes sont peu conformes à l’idéal occidental pacifiste. Dans le cas du Madleen, les médias semblent se voir autorisés à se retourner contre Israël. Il ne s’agit plus de défendre des terroristes, mais de défendre des ressortissants français journalistes, eurodéputé, médecin, bref, des citoyens quasi-lambdas. Les médias se font donc peu prier pour dénoncer un « arraisonnement illégal » et une arrestation « arbitraire » (Le Monde). Off Investigation défend son ancien contributeur, Yanis Mhamdi, et dénonce notamment le gouvernement français qui « loin de condamner la détention arbitraire d’un de ses ressortissants par une puissance étrangère, cherche depuis dix jours à délégitimer l’opération humanitaire qu’il couvrait ». Le traitement des passagers du Madleen est qualifié de « naufrage politico-médiatique sans précédent ».
Israël pouvait-il intercepter le Madleen ?
Les médias dénoncent également une interception dans les eaux internationales. Selon le droit international, un pays pratiquant un blocus peut arrêter un bateau en haute mer s’il est avéré qu’il veut briser le blocus. Selon ces termes, l’arrestation du Madleen serait légale. Cependant, le blocus est une mesure militaire encadrée. Il ne doit notamment pas avoir d’effets disproportionnés pour la population civile par rapport à l’avantage militaire attendu. Il ne doit pas non plus organiser une famine ou une pénurie d’accès aux vivres. On peut donc discuter de la légalité du blocus imposé par Israël autour de Gaza, et donc de la légalité de l’arrestation du Madleen en eaux internationales. Mais on voit mal comment les autorités auraient pu tolérer une opération de propagande sous couverture humanitaire.
Adélaïde Hecquet