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Retour sur le Madleen : militantisme ou humanitaire ?

2 juillet 2025

Temps de lecture : 5 minutes
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Retour sur le Madleen : militantisme ou humanitaire ?

Temps de lecture : 5 minutes

« Flotille de la liberté » ou « selfie yacht ». « Militants » ou « journalistes ». Briser le blocus ou faire une croisière.

Les mots ont un sens et les jour­nal­istes les choi­sis­saient avec soin pour évo­quer l’affaire du Madleen, bateau arraison­né par Israël à 30 miles des côtes de Gaza (donc dans les eaux inter­na­tionales), et qui devait apporter aux Gaza­oui l’équivalent d’un camion de den­rées diverses.

Quand un journaliste d’extrême-gauche joue de son statut… et avec le feu

Par­mi les Français retenus par Israël fig­u­raient deux jour­nal­istes. Yanis Mham­di, actuelle­ment chez Blast et ancien de Off Inves­ti­ga­tion, et Omar Faiad. Off Inves­ti­ga­tion écrit ain­si que Yanis Mham­di était sur le Madleen pour « [cou­vrir] une opéra­tion human­i­taire à des­ti­na­tion de Gaza ». Blast détaillera les men­aces et mau­vais traite­ments subis par les pas­sagers du Madleen : pri­va­tion de som­meil, impos­si­bil­ité d’accès aux san­i­taires, à l’eau et à la nour­ri­t­ure. Les autorités israéli­ennes auraient men­acé Rima Has­san de lui « écras­er la tête con­tre le mur » si elle ne sig­nait pas un doc­u­ment recon­nais­sant l’illégalité de son action et accep­tant son expul­sion du ter­ri­toire pour cent ans. Blast pré­cise égale­ment que Yanis Mham­di « claire­ment iden­ti­fié comme jour­nal­iste », « a été braqué avec une arme de guerre par les sol­dats israéliens ». Il dénonce comme une « honte » la prise de parole de François Bay­rou (plus tard qual­i­fié comme « l’homme »), qui a qual­i­fié les huit pas­sagers français du Madleen de mil­i­tants « en oubliant de men­tion­ner que notre jour­nal­iste Yanis Mham­di est retenu par Israël mal­gré son statut et en toute illégalité. »

Un abus de la liberté de la presse ?

Il a été dit que, au nom de la lib­erté de la presse, il aurait fal­lu soutenir incon­di­tion­nelle­ment les deux jour­nal­istes et exiger leur libéra­tion immé­di­ate. Qu’il soit per­mis à l’Observatoire de soupçon­ner que Yanis Mham­di et Omar Faiad ont d’abord pris place sur le Madleen en tant que mil­i­tants, bien qu’ils se soient cachés der­rière leur carte de presse. Un com­porte­ment qui met juste­ment en dan­ger la lib­erté éponyme, car pour que chaque jour­nal­iste puisse être pro­tégé, tous doivent être irréprochables. Cette fron­tière poreuse entre la fonc­tion des mem­bres de l’équipage sur le Madleen et leur rai­son per­son­nelle d’y être se retrou­ve chez d’autres mem­bres, et cer­tains médias ne s’y trompent pas. Ain­si, Pas­cal Mau­rien­as est « ingénieur infor­ma­tique et pas­sion­né de voile » pour 20 Min­utes, qui se con­cen­tre sur son méti­er et ses hob­bies. En revanche, pour Le Monde, le même Pas­cal Mau­rien­as devient un « militant ».

La propagande, celle que tous dénoncent et que tous reprennent

Nos ancêtres les Poilus savaient déjà que dans la guerre se trou­ve aus­si la guerre de l’information. Depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas – et avant, pen­dant la guerre entre la Russie et l’Ukraine – les par­ti­sans de chaque camp accusent les autres de repren­dre le nar­ratif d’un camp ou de l’autre. Ain­si, Blast, Off Inves­ti­ga­tion et d’autres titres sem­blables reprochent ain­si au gou­verne­ment de répéter les élé­ments de lan­gage d’Israël. Plusieurs ONG, dont cer­taines se par­ent des atouts de la neu­tral­ité, en néan­moins font autant des élé­ments de lan­gage du Hamas. Amnesty Inter­na­tion­al dénonce ain­si le « blo­cus illé­gal » qui « restreint la four­ni­ture de biens et ser­vices essen­tiels ». Selon cette organ­i­sa­tion « Israël affame les civil·e·s et assiège le ter­ri­toire dans le cadre d’un plan orchestré pour men­er à la destruc­tion physique des Palestinien·ne·s de Gaza. Il s’agit d’un géno­cide. » Con­cer­nant le Madleen, Amnesty explique que ses pas­sagers « ont ten­té de dénon­cer le géno­cide per­pétré par Israël et la poli­tique cru­elle et inhu­maine de ce pays », qu’ils « ont agi dans le respect le plus strict du droit inter­na­tion­al et du droit mar­itime » et que « leur déten­tion est arbi­traire et dépourvue de fonde­ment juridique. » Selon Amnesty, « il y avait 12 per­son­nes à bord du Madleen, issues d’horizons divers allant du mil­i­tan­tisme au jour­nal­isme, en pas­sant par la poli­tique », comme si ces trois hori­zons étaient éloignés les uns des autres, surtout pour les jour­nal­istes de médias militants.

Les condamnations unanimes de la presse

Dans la guerre entre Israël et le Hamas, pren­dre par­ti est pour le moins dan­gereux. Être con­tre Israël, c’est être pour le Hamas, mou­ve­ment ter­ror­iste, et cau­tion­ner poten­tielle­ment les mas­sacres, les vio­ls et le fait de pren­dre des enfants et des bébés en otage. Être pour Israël, c’est cau­tion­ner un gou­verne­ment dont les actes sont peu con­formes à l’idéal occi­den­tal paci­fiste. Dans le cas du Madleen, les médias sem­blent se voir autorisés à se retourn­er con­tre Israël. Il ne s’agit plus de défendre des ter­ror­istes, mais de défendre des ressor­tis­sants français jour­nal­istes, eurodéputé, médecin, bref, des citoyens qua­si-lamb­das. Les médias se font donc peu prier pour dénon­cer un « arraison­nement illé­gal » et une arresta­tion « arbi­traire » (Le Monde). Off Inves­ti­ga­tion défend son ancien con­tribu­teur, Yanis Mham­di, et dénonce notam­ment le gou­verne­ment français qui « loin de con­damn­er la déten­tion arbi­traire d’un de ses ressor­tis­sants par une puis­sance étrangère, cherche depuis dix jours à délégitimer l’opération human­i­taire qu’il cou­vrait ». Le traite­ment des pas­sagers du Madleen est qual­i­fié de « naufrage politi­co-médi­a­tique sans précédent ».

Israël pouvait-il intercepter le Madleen ?

Les médias dénon­cent égale­ment une inter­cep­tion dans les eaux inter­na­tionales. Selon le droit inter­na­tion­al, un pays pra­ti­quant un blo­cus peut arrêter un bateau en haute mer s’il est avéré qu’il veut bris­er le blo­cus. Selon ces ter­mes, l’arrestation du Madleen serait légale. Cepen­dant, le blo­cus est une mesure mil­i­taire encadrée. Il ne doit notam­ment pas avoir d’effets dis­pro­por­tion­nés pour la pop­u­la­tion civile par rap­port à l’avantage mil­i­taire atten­du. Il ne doit pas non plus organ­is­er une famine ou une pénurie d’accès aux vivres. On peut donc dis­cuter de la légal­ité du blo­cus imposé par Israël autour de Gaza, et donc de la légal­ité de l’arrestation du Madleen en eaux inter­na­tionales. Mais on voit mal com­ment les autorités auraient pu tolér­er une opéra­tion de pro­pa­gande sous cou­ver­ture humanitaire.

Adélaïde Hec­quet

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