Tout commence avec une tribune. Celle que Keir Starmer, Premier ministre britannique, et Mette Frederiksen, Première ministre danoise, ont publiée dans The Guardian pour demander une modernisation de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). Pourquoi ? Pour lutter contre l’immigration illégale. Or, Starmer et Frederiksen sont de gauche. Autrement dit, le narratif médiatique prend l’eau, et commence à couler.
Touche pas à ma CEDH
Face à cette offensive, l’un des premiers objectifs des médias est de dépeindre la CEDH comme un garde-fou indispensable pour qui ne veut pas sombrer dans un monde digne des heures les plus sombres. Le Parisien, Le Monde et L’Express expliquent qu’elle « garantit le respect des libertés fondamentales ». Sans surprise, L’Humanité est encore moins subtile et titre : « Du Royaume-Uni au Danemark, les gouvernements conservateurs s’élèvent contre les droits fondamentaux des exilés ». Si Keir Starmer et Mette Frederiksen lisaient le français et, ce qui est plus improbable, L’Humanité, ils seraient sans doute offusqués de se voir qualifiés de conservateurs.
Prendre les armes (médiatiques) face aux attaques
La CEDH est donc un texte fondateur, et les médias s’emploient à montrer qu’il faut le défendre contre un danger imminent. Le Monde parle ainsi des « attaques contre la CEDH » et Ouest-France prévient que le Royaume-Uni « tente d’affaiblir » ce texte. Le Monde publie également une interview avec Peggy Ducoulombier, professeur de droit public et « l’une des meilleures spécialistes de l’institution ». Selon elle, la CEDH « nous protège tous » et il est « dangereux » de l’affaiblir, et même de le vouloir. Ouest-France n’est pas en reste pour ce qui est de terrifier les chaumières et accuse le Royaume-Uni et le Danemark de vouloir « restreindre son interprétation des articles sur le droit à la famille et à la protection contre la torture ».
De l’illustration des idées nauséabondes
Le journalisme, c’est aussi l’illustration. Un article sans image n’existe pas sur Internet, et l’image marque presqu’autant que le titre. Le Monde a choisi une photo de la police polonaise pour un article parlant d’une réforme de la Cour européenne des droits de l’homme au sujet de l’immigration. Hors sujet, sauf si l’on veut instaurer l’idée que l’objectif est de créer des États policiers, voire fascistes, puisque les deux mondes sont perméables dans le monde de la gauche. Ouest-France est plus classique et se contente d’une photo peu réussie de la ministre de l’Intérieur britannique, Shabana Mahmood – patronyme par ailleurs peu britannique. Grimace, cheveux épars au milieu du visage, contre-plongée, il ne manque qu’un chapeau noir pour obtenir une affiche pour Halloween.
Gouvernements de gauche, ne cédez pas aux sirènes de l’extrême droite !
Il s’agit également de maintenir le discours selon lequel le combat contre l’immigration est un combat d’extrême droite, même si, pour prendre le seul exemple des Français, les trois quarts s’y reconnaissent à présent. Ainsi, Les Echos expliquent que Keir Starmer, chef du gouvernement britannique travailliste – donc classé à gauche, « veut lui aussi sa politique migratoire, tout en veillant à se distinguer des partis populistes de droite ». Le journal relie d’ailleurs sa tribune publiée dans The Guardian avec la rencontre de Jordan Bardella et de Nigel Farage, dirigeant de Reform UK. Le Parisien estime quant à lui que le Premier ministre est « acculé par les conservateurs et Reform UK ». Ouest-France prévient que Keir Starmer a opéré « un virage à droite sur la question migratoire » et parle même d’une « croisade anti-immigration ». L’Express et Le Monde signalent enfin que « la première ministre postfasciste Giorgia Meloni » avait déjà remis en cause la CEDH. Radio France s’était à l’époque émue de cette remise en cause en titrant « Migrants : quand l’Europe bascule ».
Un sentiment de submersion migratoire
Certains médias semblent même tenter de garder, encore un peu, l’illusion que la vague migratoire ne fait que lécher les bottes des Européens. Le Parisien et Ouest-France expliquent ainsi que l’un des griefs britanniques contre la CEDH est qu’elle nuit à la lutte contre l’immigration illégale, qui arrive notamment sur de « petits bateaux ». L’Express cite « de nombreux juristes » qui « tentent de remettre les chiffres au cœur des discussions ». Les chiffres en question montrent que les affaires migratoires représentent une très faible minorité (2%) des requêtes traitées par la CEDH.
La Convention européenne des droits de l’homme, c’est un titre pour le moins grandiloquent qui aujourd’hui remplit très exactement son rôle. Y toucher, c’est se vouer aux foudres de tous les hommes de bonne volonté conquis aux idées des Lumières. L’ennui, c’est que sur l’immigration, cela ne prend plus. Trop de familles sont en deuil, et celles qui ne le sont pas restent sous le choc lorsqu’elles se rappellent certains faits atroces plutôt que divers. Les politiques sont en train, peu à peu, de perdre du terrain, voire de rejoindre le camp de l’adversaire, ou de la population, et les médias se trouveront de plus en plus seuls à défendre une submersion indéfendable. Il reste à savoir combien de temps ils tiendront avec des éléments de langage si grossiers et peu nombreux qu’ils se retrouvent d’un article à l’autre.


















