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Dans les pays du Sahel, les journalistes démythifient les régimes putschistes

12 mai 2025

Temps de lecture : 5 minutes
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Dans les pays du Sahel, les journalistes démythifient les régimes putschistes

Temps de lecture : 5 minutes

« Un putschiste n’est pas un révo­lu­tion­naire et l’Afrique doit faire la dif­férence. Un putschiste prend le pou­voir. Un révo­lu­tion­naire le trans­forme. Ne con­fon­dons pas les deux. » C’est le coup de gueule poussé, le 3 mai, par un jour­nal­iste malien, Sega Diar­rah, à l’occasion de la Journée inter­na­tionale de la presse, prédis­ant la répres­sion qui allait s’abattre sur les jour­nal­istes, dès le lendemain.

Sit-in devant la Maison de la Presse

Ain­si, à l’appel de l’Union des jour­nal­istes reporters du Mali (UJRM) à un sit-in, le 4 mai, devant la Mai­son de la Presse pour dénon­cer la cen­sure et l’arrestation des pro­fes­sion­nels des médias dans le pays, de nom­breux jour­nal­istes et activistes poli­tiques ont tenu à être présents, bra­vant les men­aces et les inter­dic­tions. La man­i­fes­ta­tion a vite tourné à l’émeute, suite à l’intervention mus­clée des forces de l’ordre. Plusieurs jour­nal­istes ont été agressés, dont Cama­ra Fatouma­ta, vio­lem­ment prise à par­tie par un groupe mené par un ancien con­seiller à la pri­ma­ture, d’après un com­mu­niqué de l’UJRM.

« C’é­tait un acte d’a­gres­sion bar­bare qui n’a pas sa place dans une société de droit », dénonce la Mai­son de la Presse dans un com­mu­niqué ren­du pub­lic le jour même.

Un régime liberticide

Porté par une poussée nation­al­iste farouche­ment antifrançaise, le régime malien risque aujourd’hui de s’aliéner une par­tie de la pop­u­la­tion qui l’a soutenu au départ. Ce n’est plus vis­i­ble­ment le temps où des foules en furie scan­daient à tue-tête «La France dégage !», tout en bran­dis­sant des dra­peaux russes.

Décidé à mater toute lib­erté démoc­ra­tique dans le pays, la junte mil­i­taire, dirigée par colonel Assi­mi Goï­ta, veut en même réduire au silence toute voix dis­cor­dante. Met­tant ses men­aces à exé­cu­tion, le gou­verne­ment a décidé, dès le 8 mai, de dis­soudre l’ensem­ble des par­tis et d’interdire toute activ­ité poli­tique. Con­tes­tant cette déci­sion, de nom­breuses for­ma­tions poli­tiques et asso­ci­a­tions ont appelé à des man­i­fes­ta­tions pop­u­laires. La révolte com­mence à faire tache d’huile dans le pays, mais le pou­voir en place ne donne aucun signe de fléchisse­ment, pour l’instant.

Verrouillage médiatique tous azimuts

Prise dans le col­li­ma­teur depuis longtemps, la lib­erté d’in­for­ma­tion est la pre­mière à faire les frais de ce dur­cisse­ment du régime malien. Plusieurs médias indépen­dants ont été inter­dits pour avoir « osé » cou­vrir des activ­ités de l’opposition. C’est le cas de la chaîne de télévi­sion Joli­ba TV News qui a été sus­pendue en novem­bre 2024 pour « traite­ment déséquili­bré de l’in­for­ma­tion », nom don­né par les autorités pour désign­er les cou­ver­tures des man­i­fes­ta­tions de l’opposition.

La cabale lancée con­tre les jour­nal­istes se pour­suit à un rythme soutenu. Selon le site Stu­dio Tamani, qui suit la sit­u­a­tion de la lib­erté de la presse au Mali, le jour­nal­iste et directeur de pub­li­ca­tion du Canard de la Venise, Alhousseyni Togo, a été arrêté et incar­céré depuis le 9 avril. Il est pour­suivi pour « atteinte au crédit de l’État, injures par le biais d’un sys­tème infor­ma­tique et diffama­tion. »

Le 9 mai, la Haute autorité de la com­mu­ni­ca­tion (HAC) a annon­cé la fer­me­ture « immé­di­ate » de la chaine TV5 Monde sur le ter­ri­toire malien. La déci­sion a été prise, explique l’instance, « en réponse aux manip­u­la­tions fla­grantes de l’opin­ion publique orchestrées par la chaîne. »

Cette chape de plomb qui pèse sur les médias astreint de nom­breux jour­nal­istes locaux à l’autocensure. «Nous vivons dans la peur per­ma­nente», con­fie sous cou­vert d’anony­mat un jour­nal­iste de Bamako. «Toute cou­ver­ture des activ­ités de l’op­po­si­tion, explique-t-il, est con­sid­érée comme un acte hos­tile envers la tran­si­tion. Nous sommes con­traints à l’au­to­cen­sure ou à l’exil. »

Sale temps pour la presse subsaharienne

La sit­u­a­tion n’est guère plus reluisante dans les pays voisins, égale­ment dirigés par des juntes mil­i­taires issues de coups d’É­tat. Au Burk­i­na Faso, les autorités ont déjà inter­dit plusieurs médias inter­na­tionaux, dont RFI, France 24, Jeune Afrique et The Guardian. Depuis mars dernier, une vague d’arrestations s’est abattue sur les jour­nal­istes, dont cer­tains ont été illé­gale­ment con­scrits, une méth­ode util­isée pour faire taire les jour­nal­istes, selon un rap­port de Human Right Watch. Selon Guinee360, une dizaine de jour­nal­istes burk­in­abè ont été con­traints à l’ex­il depuis l’ar­rivée au pou­voir du cap­i­taine Ibrahim Tra­oré en 2023. Il va sans dire que le Burk­i­na Faso a chuté dans les classe­ments de la lib­erté de la presse. Classé 86e en 2024, ce pays occupe aujourd’hui la 105e place, selon le dernier rap­port de Reporters sans fron­tières.

Au Niger, l’exercice du méti­er de jour­nal­iste est devenu périlleux depuis le coup d’É­tat de juil­let 2023. Par­al­lèle­ment à la dis­so­lu­tion des par­tis poli­tiques, les nou­veaux maitres du pays ont ver­rouil­lé totale­ment le champ médi­a­tique, en fer­mant notam­ment la Mai­son de la presse dès jan­vi­er 2024, et en arrê­tant des jour­nal­istes et en sus­pen­dant des médias inter­na­tionaux. Se nour­ris­sant d’idéologie nation­al­iste, comme chez les voisins, le régime putschiste nigérien fait la pro­mo­tion d’un «jour­nal­isme patri­o­tique», aligné sur la poli­tique officielle.

Ce vent lib­er­ti­cide s’étend à d’autres pays d’Afrique de l’Ouest. Au Séné­gal, pays pour­tant épargné par le syn­drome des coups d’Etat, le gou­verne­ment a retiré, ces derniers mois, le per­mis de pub­li­er à 381 médias pour «non-con­for­mité» avec le Code la presse. L’annonce a été faite par des jour­nal­istes locaux à l’occasion de la Journée inter­na­tionale de la presse qui, pour eux, ne rime plus avec la lib­erté, mais plutôt avec la censure.

Mus­sa A.

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