« Un putschiste n’est pas un révolutionnaire et l’Afrique doit faire la différence. Un putschiste prend le pouvoir. Un révolutionnaire le transforme. Ne confondons pas les deux. » C’est le coup de gueule poussé, le 3 mai, par un journaliste malien, Sega Diarrah, à l’occasion de la Journée internationale de la presse, prédisant la répression qui allait s’abattre sur les journalistes, dès le lendemain.
Sit-in devant la Maison de la Presse
Ainsi, à l’appel de l’Union des journalistes reporters du Mali (UJRM) à un sit-in, le 4 mai, devant la Maison de la Presse pour dénoncer la censure et l’arrestation des professionnels des médias dans le pays, de nombreux journalistes et activistes politiques ont tenu à être présents, bravant les menaces et les interdictions. La manifestation a vite tourné à l’émeute, suite à l’intervention musclée des forces de l’ordre. Plusieurs journalistes ont été agressés, dont Camara Fatoumata, violemment prise à partie par un groupe mené par un ancien conseiller à la primature, d’après un communiqué de l’UJRM.
« C’était un acte d’agression barbare qui n’a pas sa place dans une société de droit », dénonce la Maison de la Presse dans un communiqué rendu public le jour même.
Un régime liberticide
Porté par une poussée nationaliste farouchement antifrançaise, le régime malien risque aujourd’hui de s’aliéner une partie de la population qui l’a soutenu au départ. Ce n’est plus visiblement le temps où des foules en furie scandaient à tue-tête «La France dégage !», tout en brandissant des drapeaux russes.
Décidé à mater toute liberté démocratique dans le pays, la junte militaire, dirigée par colonel Assimi Goïta, veut en même réduire au silence toute voix discordante. Mettant ses menaces à exécution, le gouvernement a décidé, dès le 8 mai, de dissoudre l’ensemble des partis et d’interdire toute activité politique. Contestant cette décision, de nombreuses formations politiques et associations ont appelé à des manifestations populaires. La révolte commence à faire tache d’huile dans le pays, mais le pouvoir en place ne donne aucun signe de fléchissement, pour l’instant.
Verrouillage médiatique tous azimuts
Prise dans le collimateur depuis longtemps, la liberté d’information est la première à faire les frais de ce durcissement du régime malien. Plusieurs médias indépendants ont été interdits pour avoir « osé » couvrir des activités de l’opposition. C’est le cas de la chaîne de télévision Joliba TV News qui a été suspendue en novembre 2024 pour « traitement déséquilibré de l’information », nom donné par les autorités pour désigner les couvertures des manifestations de l’opposition.
La cabale lancée contre les journalistes se poursuit à un rythme soutenu. Selon le site Studio Tamani, qui suit la situation de la liberté de la presse au Mali, le journaliste et directeur de publication du Canard de la Venise, Alhousseyni Togo, a été arrêté et incarcéré depuis le 9 avril. Il est poursuivi pour « atteinte au crédit de l’État, injures par le biais d’un système informatique et diffamation. »
Le 9 mai, la Haute autorité de la communication (HAC) a annoncé la fermeture « immédiate » de la chaine TV5 Monde sur le territoire malien. La décision a été prise, explique l’instance, « en réponse aux manipulations flagrantes de l’opinion publique orchestrées par la chaîne. »
Cette chape de plomb qui pèse sur les médias astreint de nombreux journalistes locaux à l’autocensure. «Nous vivons dans la peur permanente», confie sous couvert d’anonymat un journaliste de Bamako. «Toute couverture des activités de l’opposition, explique-t-il, est considérée comme un acte hostile envers la transition. Nous sommes contraints à l’autocensure ou à l’exil. »
Sale temps pour la presse subsaharienne
La situation n’est guère plus reluisante dans les pays voisins, également dirigés par des juntes militaires issues de coups d’État. Au Burkina Faso, les autorités ont déjà interdit plusieurs médias internationaux, dont RFI, France 24, Jeune Afrique et The Guardian. Depuis mars dernier, une vague d’arrestations s’est abattue sur les journalistes, dont certains ont été illégalement conscrits, une méthode utilisée pour faire taire les journalistes, selon un rapport de Human Right Watch. Selon Guinee360, une dizaine de journalistes burkinabè ont été contraints à l’exil depuis l’arrivée au pouvoir du capitaine Ibrahim Traoré en 2023. Il va sans dire que le Burkina Faso a chuté dans les classements de la liberté de la presse. Classé 86e en 2024, ce pays occupe aujourd’hui la 105e place, selon le dernier rapport de Reporters sans frontières.
Au Niger, l’exercice du métier de journaliste est devenu périlleux depuis le coup d’État de juillet 2023. Parallèlement à la dissolution des partis politiques, les nouveaux maitres du pays ont verrouillé totalement le champ médiatique, en fermant notamment la Maison de la presse dès janvier 2024, et en arrêtant des journalistes et en suspendant des médias internationaux. Se nourrissant d’idéologie nationaliste, comme chez les voisins, le régime putschiste nigérien fait la promotion d’un «journalisme patriotique», aligné sur la politique officielle.
Ce vent liberticide s’étend à d’autres pays d’Afrique de l’Ouest. Au Sénégal, pays pourtant épargné par le syndrome des coups d’Etat, le gouvernement a retiré, ces derniers mois, le permis de publier à 381 médias pour «non-conformité» avec le Code la presse. L’annonce a été faite par des journalistes locaux à l’occasion de la Journée internationale de la presse qui, pour eux, ne rime plus avec la liberté, mais plutôt avec la censure.
Mussa A.