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Service minimum pour le modèle social français

1 juin 2025

Temps de lecture : 6 minutes
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Service minimum pour le modèle social français

Temps de lecture : 6 minutes

Le ven­dre­di 16 mai 2025, la Cour des comptes a de nou­veau refusé de cer­ti­fi­er les comptes 2024 de la branche « famille » de la sécu­rité sociale, comme cela avait déjà été le cas pour les comptes 2023 et 2022. Les con­stats de la cour des comptes n’ont béné­fi­cié que d’une cou­ver­ture médi­a­tique trop suc­cincte. Pourquoi ce dés­in­térêt pour un sys­tème de pro­tec­tion sociale dont on pré­tend par ailleurs que les Français devraient être fiers ? Peut-être parce que la cour des comptes dresse le tableau peu flat­teur d’un sys­tème lax­iste et irre­spon­s­able, au moment même où les finances publiques appa­rais­sent juste­ment comme hors de contrôle…

Ce que dit la Cour des comptes

La Cour estime que le mon­tant « des indus et des rap­pels qui ne seront jamais détec­tés » est de 6,3 mil­liards d’eu­ros (Md€), soit 8 % du mon­tant des presta­tions ver­sées. Ces erreurs con­cer­nent notam­ment le RSA, la prime d’activité et les aides au loge­ment. En par­ti­c­uli­er, plus d’un quart des mon­tants ver­sés au titre de la prime d’activité est entaché d’erreurs.

La Cour des comptes a jugé que ce chiffre de 6,3 Md€ sur les seules fraudes ou erreurs était « par­ti­c­ulière­ment élevé ». Pour pré­cis­er les idées, ce mon­tant représente à peu près le déficit prévu en 2025 de l’ensem­ble des sys­tèmes de retraite, ou encore plus de la moitié du bud­get du min­istère de la justice.

La Cour estime que les sys­tèmes de con­trôle interne sont insuff­isants, et que « la capac­ité de détec­tion d’er­reurs par le réseau demeure très inférieure au risque induit par l’in­suff­isante fia­bil­ité des don­nées déclarées par les allo­cataires ».

En guise de jus­ti­fi­ca­tion, le directeur général de la Caisse nationale des allo­ca­tions famil­iales (CNAF) a mis en avant benoîte­ment les « erreurs com­mis­es par les allo­cataires lorsqu’ils rem­plis­sent leurs déc­la­ra­tions de ressources ». Selon lui, la sit­u­a­tion devrait en par­tie se régler grâce au nou­veau dis­posi­tif de sol­i­dar­ité à la source, qui prévoit que les déc­la­ra­tions doivent être prérem­plies sur le principe de ce qui est fait pour l’im­pôt sur le revenu.

Cepen­dant, le rap­port ne con­firme pas cet opti­misme et con­state que la mise en place du dis­posi­tif de sol­i­dar­ité à la source a déjà com­mencé en 2024 sans effets béné­fiques visibles.

Par ailleurs, la cour a bien cer­ti­fié les comptes des 4 autres branch­es de la sécu­rité sociale (mal­adie, retraite, autonomie, acci­dents du tra­vail et mal­adies pro­fes­sion­nelles), tout en émet­tant des réserves impor­tantes sur des out­ils compt­a­bles défail­lants, des erreurs en aug­men­ta­tion et une sous-éval­u­a­tion de la fraude. Enfin, pour toutes les branch­es, les indi­ca­teurs de risque financier sont éloignés des objec­tifs fixés dans les con­ven­tions signées avec l’État.

Un traitement de l’information très inégal

Sur la cer­ti­fi­ca­tion des comptes de la sécu­rité sociale, la Cour des comptes a pro­duit un rap­port com­plet et une note de syn­thèse, acces­si­bles ici.

De nom­breux médias se sont con­tentés du min­i­mum en citant quelques brefs extraits de la note de syn­thèse. Mal­heureuse­ment, ces extraits sont sor­tis de leur con­texte, ils ne s’ac­com­pa­g­nent pas d’une réflex­ion plus large et ils ne per­me­t­tent pas de restituer l’im­puis­sance et le lax­isme budgé­taire qui appa­rais­sent pour­tant explicite­ment à la lec­ture du rapport.

Seuls quelques médias ont fait une lec­ture fine et une véri­ta­ble analyse du rap­port. En voici deux exemples :

  • D’abord, citons Boule­vard Voltaire, qui se mon­tre très cri­tique dans un arti­cle inti­t­ulé « Sécu­rité sociale : la cour des comptes décrit une incroy­able gabe­gie ». Le pour­cent­age d’aug­men­ta­tion de la fraude (+38 % en 2 ans) est évo­qué. Sont égale­ment men­tion­nés un ser­vice de lutte con­tre la fraude qui ramène peu d’ar­gent (162 mil­lions) et des presta­tions indû­ment ver­sées à de nom­breux allo­cataires nés à l’é­tranger qui sont par­ti­c­ulière­ment dif­fi­ciles à recou­vr­er. Sont égale­ment évo­qués des décès non sig­nalés et une sus­pi­cion de fraude sur les retraites ver­sées outre-Méditerranée.
  • Con­cer­nant l’Aide médi­cale d’É­tat, Boule­vard Voltaire souligne une « dis­tri­b­u­tion à l’aveu­glette », car ni l’i­den­tité, ni la régu­lar­ité du séjour, ni les con­di­tions de ressources, ni la sta­bil­ité de rési­dence sur le ter­ri­toire, ni le délai de rési­dence req­uis par la loi pour accéder à des soins pro­gram­més ne sont con­trôlés. Il ajoute que « les con­sul­tas s’en fichent » et que « les erreurs d’attribution restent sans con­séquence, on ne revient pas sur les sommes versées ».
    Boule­vard Voltaire de con­clure : « Les Français assom­més d’im­pôts, eux, n’au­ront pas de délai de grâce. »

La Fon­da­tion IFRAP a aus­si fait le choix d’aller plus loin qu’une sim­ple cita­tion d’extraits. Une actu­al­ité dont le titre est « Branche famille : les erreurs coû­tent 6,3 Md€ en 2024 » expose avec clarté les prin­ci­pales faib­less­es soulevées dans le rap­port : dégra­da­tion des indi­ca­teurs de risque financiers, plan d’ac­tion 2023–2027 aux résul­tats insuff­isants, aug­men­ta­tion de la fraude estimée, taux de recou­vre­ment des redresse­ments en baisse.

Cet arti­cle relève aus­si que les pra­tiques dans la ges­tion du RSA et l’articulation des respon­s­abil­ités entre les CAF et les départe­ments sont très hétérogènes d’un départe­ment à l’autre, ce qui est aus­si généra­teur de dysfonctionnements.

Conclusion et nouvelle alerte

Les dis­posi­tifs sont com­plex­es et la robustesse de ces dis­posi­tifs face à la fraude ou aux erreurs n’est pas for­cé­ment con­sid­érée en amont. Les sit­u­a­tions indi­vidu­elles sont divers­es et, ne soyons pas naïfs, il existe par­fois sur le plan local une cer­taine pres­sion à l’obtention des aides.

Mais il appa­raît de façon cri­ante que les acteurs de la pro­tec­tion sociale en général et la branche famille en par­ti­c­uli­er se sat­is­font trop facile­ment d’erreurs mas­sives et récur­rentes. Lun­di 26 mai, le prési­dent de la Cour des comptes Pierre Moscovi­ci a de nou­veau exprimé ses craintes sur le finance­ment des déficits soci­aux. Il a insisté sur les capac­ités d’emprunt qui pour­raient trou­ver leur lim­ite et se con­cré­tis­er par une « crise de liq­uid­ités » de la sécu­rité sociale.

L’in­for­ma­tion a cette fois été mieux relayée dans les médias, prob­a­ble­ment parce qu’il s’agis­sait d’une infor­ma­tion finan­cière qui ne don­nait pas à voir directe­ment les dys­fonc­tion­nements internes du mod­èle social. Le coût glob­al du sys­tème de pro­tec­tion sociale con­stitue un enjeu cru­cial des années à venir, et il est regret­table qu’une mul­ti­tude de médias répug­nent à ren­dre compte de la réal­ité du système.

Francesco

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