Le vendredi 16 mai 2025, la Cour des comptes a de nouveau refusé de certifier les comptes 2024 de la branche « famille » de la sécurité sociale, comme cela avait déjà été le cas pour les comptes 2023 et 2022. Les constats de la cour des comptes n’ont bénéficié que d’une couverture médiatique trop succincte. Pourquoi ce désintérêt pour un système de protection sociale dont on prétend par ailleurs que les Français devraient être fiers ? Peut-être parce que la cour des comptes dresse le tableau peu flatteur d’un système laxiste et irresponsable, au moment même où les finances publiques apparaissent justement comme hors de contrôle…
Ce que dit la Cour des comptes
La Cour estime que le montant « des indus et des rappels qui ne seront jamais détectés » est de 6,3 milliards d’euros (Md€), soit 8 % du montant des prestations versées. Ces erreurs concernent notamment le RSA, la prime d’activité et les aides au logement. En particulier, plus d’un quart des montants versés au titre de la prime d’activité est entaché d’erreurs.
La Cour des comptes a jugé que ce chiffre de 6,3 Md€ sur les seules fraudes ou erreurs était « particulièrement élevé ». Pour préciser les idées, ce montant représente à peu près le déficit prévu en 2025 de l’ensemble des systèmes de retraite, ou encore plus de la moitié du budget du ministère de la justice.
La Cour estime que les systèmes de contrôle interne sont insuffisants, et que « la capacité de détection d’erreurs par le réseau demeure très inférieure au risque induit par l’insuffisante fiabilité des données déclarées par les allocataires ».
En guise de justification, le directeur général de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) a mis en avant benoîtement les « erreurs commises par les allocataires lorsqu’ils remplissent leurs déclarations de ressources ». Selon lui, la situation devrait en partie se régler grâce au nouveau dispositif de solidarité à la source, qui prévoit que les déclarations doivent être préremplies sur le principe de ce qui est fait pour l’impôt sur le revenu.
Cependant, le rapport ne confirme pas cet optimisme et constate que la mise en place du dispositif de solidarité à la source a déjà commencé en 2024 sans effets bénéfiques visibles.
Par ailleurs, la cour a bien certifié les comptes des 4 autres branches de la sécurité sociale (maladie, retraite, autonomie, accidents du travail et maladies professionnelles), tout en émettant des réserves importantes sur des outils comptables défaillants, des erreurs en augmentation et une sous-évaluation de la fraude. Enfin, pour toutes les branches, les indicateurs de risque financier sont éloignés des objectifs fixés dans les conventions signées avec l’État.
Un traitement de l’information très inégal
Sur la certification des comptes de la sécurité sociale, la Cour des comptes a produit un rapport complet et une note de synthèse, accessibles ici.
De nombreux médias se sont contentés du minimum en citant quelques brefs extraits de la note de synthèse. Malheureusement, ces extraits sont sortis de leur contexte, ils ne s’accompagnent pas d’une réflexion plus large et ils ne permettent pas de restituer l’impuissance et le laxisme budgétaire qui apparaissent pourtant explicitement à la lecture du rapport.
Seuls quelques médias ont fait une lecture fine et une véritable analyse du rapport. En voici deux exemples :
- D’abord, citons Boulevard Voltaire, qui se montre très critique dans un article intitulé « Sécurité sociale : la cour des comptes décrit une incroyable gabegie ». Le pourcentage d’augmentation de la fraude (+38 % en 2 ans) est évoqué. Sont également mentionnés un service de lutte contre la fraude qui ramène peu d’argent (162 millions) et des prestations indûment versées à de nombreux allocataires nés à l’étranger qui sont particulièrement difficiles à recouvrer. Sont également évoqués des décès non signalés et une suspicion de fraude sur les retraites versées outre-Méditerranée.
- Concernant l’Aide médicale d’État, Boulevard Voltaire souligne une « distribution à l’aveuglette », car ni l’identité, ni la régularité du séjour, ni les conditions de ressources, ni la stabilité de résidence sur le territoire, ni le délai de résidence requis par la loi pour accéder à des soins programmés ne sont contrôlés. Il ajoute que « les consultas s’en fichent » et que « les erreurs d’attribution restent sans conséquence, on ne revient pas sur les sommes versées ».
Boulevard Voltaire de conclure : « Les Français assommés d’impôts, eux, n’auront pas de délai de grâce. »
La Fondation IFRAP a aussi fait le choix d’aller plus loin qu’une simple citation d’extraits. Une actualité dont le titre est « Branche famille : les erreurs coûtent 6,3 Md€ en 2024 » expose avec clarté les principales faiblesses soulevées dans le rapport : dégradation des indicateurs de risque financiers, plan d’action 2023–2027 aux résultats insuffisants, augmentation de la fraude estimée, taux de recouvrement des redressements en baisse.
Cet article relève aussi que les pratiques dans la gestion du RSA et l’articulation des responsabilités entre les CAF et les départements sont très hétérogènes d’un département à l’autre, ce qui est aussi générateur de dysfonctionnements.
Conclusion et nouvelle alerte
Les dispositifs sont complexes et la robustesse de ces dispositifs face à la fraude ou aux erreurs n’est pas forcément considérée en amont. Les situations individuelles sont diverses et, ne soyons pas naïfs, il existe parfois sur le plan local une certaine pression à l’obtention des aides.
Mais il apparaît de façon criante que les acteurs de la protection sociale en général et la branche famille en particulier se satisfont trop facilement d’erreurs massives et récurrentes. Lundi 26 mai, le président de la Cour des comptes Pierre Moscovici a de nouveau exprimé ses craintes sur le financement des déficits sociaux. Il a insisté sur les capacités d’emprunt qui pourraient trouver leur limite et se concrétiser par une « crise de liquidités » de la sécurité sociale.
L’information a cette fois été mieux relayée dans les médias, probablement parce qu’il s’agissait d’une information financière qui ne donnait pas à voir directement les dysfonctionnements internes du modèle social. Le coût global du système de protection sociale constitue un enjeu crucial des années à venir, et il est regrettable qu’une multitude de médias répugnent à rendre compte de la réalité du système.
Francesco
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