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Violences au lycée de Stains dans le 9cube : qu’en disent les médias ?

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16 avril 2018

Temps de lecture : 8 minutes
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Violences au lycée de Stains dans le 9cube : qu’en disent les médias ?

Temps de lecture : 8 minutes

Le 12 mars 2018, le lycée Utrillo de Stains, dans « le 9–3 », a connu une journée encore plus violente que d’habitude : Qu’en disent les médias français ? Et que taisent-ils ?

La majeure par­tie des médias, avec plus ou moins de retard, de quelques jours à trois semaines (l’action ne se déroule pas sur un cam­pus améri­cain ou à Moscou), racon­te les événe­ments. Ain­si, Fran­ce­in­fo, le 9 avril (trois semaines pour réa­gir) : « Le 12 mars, trois jeunes cagoulés se présen­tent à l’heure de la récrée et agressent un lycéen ». Suis un témoignage indi­quant que le lycéen agressé a été « frap­pé à coups de marteau ». Puis : « À l’o­rig­ine de cette vio­lence, des règle­ments de comptes entre ban­des rivales. Les par­ents d’élèves, très inqui­ets, red­outent le pire. C’est très très grave ce qu’il se passe, et j’aimerais que les pou­voirs publics fassent le néces­saire”, explique ce par­ent d’élève. Épuisés, les assis­tants d’é­d­u­ca­tion sont tous en arrêt mal­adie depuis ven­dre­di. Pour cette prof’ d’his­toire-géo­gra­phie, le lycée n’est plus un lieu où les élèves peu­vent venir étudi­er en toute sécu­rité : On dit tou­jours que le dernier sanc­tu­aire, pour ces ter­ri­toires aban­don­nés (sic) comme la Seine-Saint-Denis, c’est l’é­cole, et que là on était le dernier bas­tion et on est en train de s’ef­fon­dr­er, c’est en train de s’ag­graver sur tout le départe­ment”. »

Bandes rivales

Il y a donc des « ban­des rivales » qui s’affrontent à Stains, Seine Saint Denis, aux portes de Paris, cap­i­tale de la France, pre­mière des­ti­na­tion touris­tique du monde. C’est pour situer. Ce même jour, un reportage de France 2 mon­tre des agents envoyés par le rec­torat « assur­ant la sécu­rité des lycéens » (tou­jours aux portes de Paris) « suite aux inci­dents graves sur­venus sur le parvis du lycée depuis un mois ». La tem­po­ral­ité médi­a­tique est par­fois étrange, con­cer­nant le 9cube alias 93 et sa vio­lence dans les lycées, ain­si que le mon­tre un arti­cle pris au hasard d’un moteur de recherche : vio­lences au Lycée Sug­er.

Les images de France 2 sont frap­pantes : out­re le sur­veil­lant de l’entrée du lycée, toutes les per­son­nes vis­i­bles sur les images, bien que floutées, sont à l’évidence d’origine plus ou moins loin­taine, non européenne. Sauf une, dont le papa est le seul témoin inter­rogé par le jour­nal­iste. France 2 donne ain­si la parole aux minorités. Les jour­nal­istes pou­vaient aus­si inter­roger l’une ou l’autre des jeunes lycéennes, vis­i­bles à 1’39, à l’entrée du lycée, jeunes femmes qui por­tent toutes un voile plus ou moins proche du voile inté­gral. Aucun des deux médias n’évoque cela, pas plus que n’est évo­quée l’évidente orig­ine extra européenne de 99 % des per­son­nes vis­i­bles (sauf le témoin choisi, donc). Les per­son­nes impliquées sont des « jeunes », des « lycéens ». Du reste, pour LCI ce sont des « rival­ités de cités », la chaîne pré­cise qu’il y a eu une autre agres­sion, cette fois « au hachoir ».

Petite revue de la presse papier

Le Monde qui évoque Gaza, madame Man­dela et la ZAD de NDDL, la SNCF, la Ligue des Cham­pi­ons, les méchants Pou­tine, Trump etc, fin mars et début avril sem­ble avoir ses bureaux situés trop loin de Stains pour enquêter, ou sim­ple­ment informer. Sans doute cela évolue-t-il les jours suiv­ants ? Pas vrai­ment. Stains n’intéresse pas Le Monde. Enfin, pas vrai­ment, sauf dans sa rubrique… « édu­ca­tion », le 6 avril, trois semaines après les faits, et parce que le 3 avril ont eu lieu d’autres agres­sions. Le quo­ti­di­en reprend les mêmes infor­ma­tions que ses con­frères, ajoutant cepen­dant qu’il y a aus­si eu une agres­sion « à l’arme à feu ». Un pas­sage évo­ca­teur de l’article : au sujet d’un con­seil con­vo­qué par le recteur, « Une manière de mon­tr­er que l’Éducation nationale prend la mesure du prob­lème, tout en rap­pelant les lim­ites de sa com­pé­tence : les agres­sions sur­v­enues sur le parvis relèvent de la sécu­rité sur la voie publique, et sor­tent donc de ses prérog­a­tives ». Le Monde indique donc que ce qu’il pro­pose dans ses pages « édu­ca­tion » relève non pas de l’éducation mais de la sécu­rité sur la voie publique. Tou­jours pas un mot sur l’ambiance « eth­nique » qui doit pour­tant bien régn­er devant le lycée de Stains puisque le téléspec­ta­teur de TF1 a des yeux pour voir. Le Figaro racon­te les mêmes vio­lences, évoque le fait que les enseignants exer­cent leur droit de retrait et donne la parole à la Con­seil­lère d’Éducation, de même que France Inter.

Le pro­fil des élèves ? Pas de pro­fil. Des élèves. Tous les élèves sont les mêmes élèves et tous les « jeunes » sont les mêmes jeunes. C’est la République. Par ailleurs, sur son site, Le Figaro nous apprend que le lycée Utril­lo de Stains obtient 85 % de réus­site au bac­calau­réat, avec une pointe à 92 % en STMG et 87 % en L. Un lycée bril­lant, dans un départe­ment bril­lant, avec des « jeunes » à la pointe con­cer­nant la lit­téra­ture française clas­sique (« L », c’est la série lit­téraire). Le lycée n’est pour­tant classé que 1596e en France. Il y a donc sur le ter­ri­toire des lycées qui obti­en­nent de meilleurs résul­tats que celui de Stains.

Armes de poing et affrontements

Libéra­tion con­sacre plus de place aux infor­ma­tions con­cer­nant le lycée Utril­lo de Stains : « Il est 7h50, mar­di. Les élèves se pressent sur le parvis du lycée Mau­rice-Utril­lo à Stains (Seine-Saint-Denis). Des indi­vidus cagoulés passent en voiture et braque­nt ce qui sem­ble être une arme de poing vers un des élèves, qui se réfugie dans le lycée. Cette scène ahuris­sante n’est pas inhab­ituelle devant l’établissement. Le même jour, à 13h30, un élève est agressé par un mem­bre d’un groupe, armé d’un hachoir. Ces affron­te­ments de ban­des rivales, venues de cités alen­tour, rap­pel­lent un épisode encore plus grave. Le 12 mars, tou­jours sur ce parvis, un élève de pre­mière a fini à l’hôpital après avoir été frap­pé à coups de marteau sur le crâne ». La parole est don­née aux enseignants qui expliquent le stress, la peur, la « dif­fi­culté de faire cours » (pour­tant, les résul­tats mon­trent que ce lycée est une « chance » pour le départe­ment, pour le pays c’est à voir). Une sur­veil­lante : « l’autre jour un petit se fai­sait taper avec une barre de fer. On n’est pas à l’abri de pren­dre un coup de machette ». La machette, cet out­il tra­di­tion­nel (ailleurs) par­fois util­isé comme arme, dont l’usage est attesté en France, pour l’une ou l’autre occu­pa­tion, tuer ou tra­vailler, depuis… depuis quand ? Les Mérovingiens ? Clo­vis ? L’époque romaine ?

Les identités de Francetv éducation

Sans doute un reportage de Francetv édu­ca­tion don­nera-t-il prochaine­ment la réponse. Le jour­nal par­le cepen­dant d’identité, le mot est même écrit en toutes let­tres : « iden­tité ». L’information va donc s’éclairer ? Que nen­ni ! C’est une « iden­tité ter­ri­to­ri­ale », une iden­tité de « cités ». Un mois après les événe­ments, le quo­ti­di­en chré­tien La Croix évoque le drame, sans utilis­er ce mot, car bien qu’aucun quo­ti­di­en n’emploie un vocab­u­laire de ce reg­istre, l’usage d’un marteau, d’un hachoir ou d’armes à feu à la sor­tie ou dans un lycée est un drame, en tout cas c’en est un chaque fois que cela se pro­duit dans un autre pays que la Seine Saint Denis, par­don que la France, Aux Etats-Unis par exem­ple. Out­re Atlan­tique, la presse papi­er n’hésite jamais à en par­ler, il y a de nom­breux « drames » et de nom­breuses « tragédies » liés à l’usage d’armes de divers­es natures, et très sou­vent, sig­nale cette même presse, les vic­times sont noires et les coupables blancs. La Croix sig­nale qu’un lycée de Toulouse a lui aus­si con­nu « de graves vio­lences » (pas de drame) et que le « phénomène » (qui n’est pas une tragédie) est « dif­fi­cile à endiguer », sans néan­moins aller jusqu’à pro­mou­voir l’interdiction des machettes dans les cités. Le quo­ti­di­en chré­tien donne la parole à un pro­viseur qui explique avoir pris con­science de ces vio­lences après les atten­tats de New York de 2001, quand des élèves n’ont pas fait de minute de silence, « indi­quant qu’ils préféraient penser à d’autres vic­times, en par­ti­c­uli­er les pales­tiniens ». ! Pas un mot de plus.

La solution par la BD en résidence

Ain­si vont les médias offi­ciels français, la tonal­ité est partout iden­tique. Pour­tant, les solu­tions exis­tent et La Croix en pro­pose, en don­nant la parole à un chercheur du CNRS spé­cial­isé dans la délin­quance (il y a donc des chercheurs payés pour étudi­er la délin­quance en France) : « Il serait per­ti­nent de mod­i­fi­er la répar­ti­tion socio-économique des élèves, en faisant évoluer la carte sco­laire ».  Il y a cepen­dant d’autres pistes, dont cer­taines sont déjà en cours. Ain­si, le lycée Utril­lo de Stains accueille déjà un auteur de ban­des dess­inées en rési­dence pour « appro­fondir le débat engagé au sujet du sex­isme ». La bande dess­inée, une arme à méditer. Le sex­isme, ce grand enne­mi du lycée Utril­lo de Stains, dans le 9–3 alias 9cube , près de Paris, ex-France, à l’ombre de la Cathé­drale des rois.