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Le Syndicat du Livre multiplie les blocages pour enrayer son déclin

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5 novembre 2017

Temps de lecture : 7 minutes
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Le Syndicat du Livre multiplie les blocages pour enrayer son déclin

Temps de lecture : 7 minutes

C’est la morosité au Syndicat du Livre, bras armé de la CGT – et historiquement du Parti communiste – qui pendant longtemps a contrôlé en partie la presse. Les imprimeries ferment, la presse décline, les suppressions de postes se multiplient, les français préfèrent lire sur internet, les troupes diminuent et la propagande ne porte plus. Plutôt que d’en tirer les conséquences et de s’éclipser – ou de tenter d’adapter son discours aux nouvelles réalités, le syndicat du Livre multiplie les blocages.

Un syndicat responsable du coût élevé d’impression et de vente des journaux français

Créé en 1944 alors que De Gaulle avait chargé la CGT d’im­primer les livres et les jour­naux en fusion­nant les équipes issues de la résis­tance au per­son­nel des jour­naux exis­tants, le Syn­di­cat du Livre a eu une puis­sance énorme jusqu’au tour­nant des années 2010. Il n’y a eu que deux épisodes de résis­tance avant 1990 : celui d’Em­i­lien Amau­ry et du Parisien libéré de 1975 à 1977, qui se con­clut par le décès du patron de presse rebelle, et la résis­tance des édi­teurs parisiens à une grève des paru­tions de dix jours en 1989. La chute du Mur était déjà en marche.

« Pen­dant des semaines et des mois, les gros bras du syn­di­cat vont tor­tur­er son entre­prise, util­isant les pires méth­odes de la racaille, détour­nant des camions de livrai­son, jetant dans les rues et les mac­u­lant des mil­lions d’ex­em­plaires imprimés, blo­quant des ate­liers et des stocks de papi­er, util­isant la force et la men­ace, les poings et les bar­res de fer, sans oppo­si­tion de la police ni de la jus­tice, en toute impunité », relève Jean Nouail­hac au sujet de la résis­tance d’Em­i­lien Amau­ry dans un arti­cle dédié aux abus du Syn­di­cat du Livre, « syn­di­cat doré sur tranche » choyé du système.

Le syn­di­cat de la presse par­ticipe au déclin de la presse en se payant abon­dam­ment sur sa logis­tique. Ain­si, grâce aux dif­férentes primes et avan­tages, les salaires des ouvri­ers de l’en­tre­prise se situent entre 4200 à 5000 euros. Presstal­is est égale­ment grevée d’un taux d’en­cadrement par­ti­c­ulière­ment élevé, encadrement qui est payé entre 5700 à 7100 euros en moyenne. Ces coûts salari­aux ont pour con­séquence que « le coût d’un employé de Presstal­is équiv­aut à net­te­ment plus du dou­ble de celui des employés d’un autre logis­ti­cien, et son temps de tra­vail est net­te­ment inférieur de moitié », relève le Figaro en 2013.

Par ailleurs des prix élevés sont imposés aux imprimeries con­trôlées par le syn­di­cat, par rap­port aux imprimeries de labeur qu’il ne con­trôle pas, tou­jours en gon­flant la masse salar­i­ale. Ain­si, le rap­port d’in­for­ma­tion n°406 (2003–2004) de Paul Lori­dant, déposé le 7 juil­let 2004, relève que « le coût d’impression, pour un tra­vail iden­tique, en off­set, sur papi­er jour­nal, provient à 80 % des salaires dans l’imprimerie de presse (dédiée à l’impression des quo­ti­di­ens), con­tre 35 % dans l’imprimerie de labeur (impres­sion des mag­a­zines) ».

Organ­isé en branch­es par métiers, le syn­di­cat a aus­si la main­mise sur les emplois, relève Libéra­tion en 1995 : « chaque syn­di­cat est habil­ité à négoci­er le nom­bre d’emplois dans sa branche avec les édi­teurs de jour­naux, ce qui débouche sur une liste nom­i­na­tive dont les édi­teurs garan­tis­sent l’emploi. Par ailleurs, chaque syn­di­cat gère une per­ma­nence d’embauche et four­nit du per­son­nel “hors liste” (non per­ma­nent) pour des rem­place­ments de vacances ou de mal­adie ». On se doute que ceux qui sont embauchés sont en par­fait accord avec les posi­tions défendues par le syn­di­cat du Livre !

D’autres affaires met­tant en cause le Syn­di­cat du Livre ont été décou­vertes par le passé. Ain­si, dans son livre Spé­ciale dernière : qui veut la mort de la presse quo­ti­di­enne française ?, paru en 2007, Emmanuel Schwarzen­berg avait révélé que 200 tonnes de papi­er, soit 5% du papi­er util­isé pour l’im­pres­sion des jour­naux en France, était détourné par le syn­di­cat du Livre au prof­it de la presse offi­cielle cubaine. C’est Robert Her­sant qui décou­vre et fait déman­tel­er le juteux traf­ic en 2007, mais ne porte pas plainte par peur de repré­sailles pour les jour­naux de son groupe. Idem, en 1991 la direc­tion des NMPP (Nou­velles mes­sageries de la presse parisi­enne, l’ancêtre avant 2009 de Presstal­is) décou­vre une cache de 5000 armes dans ses entre­pôts de Saint-Ouen, faite par le syn­di­cat après la fail­lite de Manufrance en prévi­sion du « grand soir ». L’af­faire est étouffée.

Des méthodes musclées envers tous ceux qui perturbent les juteuses affaires du syndicat

Le Syn­di­cat du Livre ne recule devant rien pour faire peur aux patrons de presse qui voudraient fuir les coûts qu’il impose : en 1992, la société Les meilleures édi­tions SA, éditrice des jour­naux Le Meilleur et Spé­ciale dernière, est vic­time de ses intim­i­da­tions et for­cée à recourir aux imprimeries qu’il con­trôle. En 2002 ce sont les jour­naux gra­tu­its Metro et 20 Min­utes qui sont ciblés par le syn­di­cat, des col­por­teurs sont tabassés, puis Direct Matin Plus alors que Bol­loré a choisi une imprimerie de labeur.

Et pour cause : elles sont moins chères, les jour­naux en y recourant peu­vent ven­dre moins cher (voire gra­tu­ite­ment) et espér­er enray­er l’éro­sion de leur lec­torat. S’ils le pou­vaient, ils s’en­gouf­fr­eraient dans la brèche. Mais le « mod­èle économique » du syn­di­cat du Livre serait rayé de la carte, ain­si que les juteux salaires de ses mem­bres. Le syn­di­cat du Livre a aus­si les moyens d’im­pos­er son dis­cours. Ain­si le 26 mai 2016, le syn­di­cat empêche la paru­tion des jour­naux, pour leur refus de pub­li­er une tri­bune du prési­dent de la CGT Philippe Mar­tinez con­tre la loi tra­vail ; seule L’Hu­man­ité, qui a pub­lié la let­tre, paraît.

Le syndicat du Livre menacé par les suppressions d’imprimeries et les réformes

Cepen­dant, les imprimeries ne cessent de fer­mer – notam­ment en région parisi­enne, mais aus­si en province comme MOP à Vit­rolles. Le Syn­di­cat du Livre y répond de façon mus­clée et via ses relais comme le jour­nal com­mu­niste La Mar­seil­laise, mais ne peut enray­er le proces­sus, qui témoigne d’une nou­velle étape dans la grande crise de la presse papi­er en France et des médias « du sys­tème » en général, aux­quels les français font de moins en moins confiance.

A rebours de l’évo­lu­tion des choses, le Syn­di­cat du Livre figé dans un mono­pole peu favor­able à l’évo­lu­tion des idées et des mod­èles de pen­sée y répond à sa façon : en sus­pen­dant les paru­tions des jour­naux les jours de grève, ce qui frag­ilise encore leur san­té économique. D’au­tant que la con­tes­ta­tion sociale ne fait plus recette : les français sont las, même ceux qui ont l’habi­tude de descen­dre dans les rues. Elles étaient vides les 21 sep­tem­bre et ou le 19 octo­bre – alors que le lende­main Ouest-France était à son tour touché par une grève de ses imprimeries et ne parais­sait pas, pas plus que Presse-Océan ou le Cour­ri­er de l’Ouest. Pas de quoi per­turber les lecteurs qui se repor­taient sur le web ou la télé.

En mai 2017 le Fil­pac-CGT, la fédéra­tion syn­di­cale CGT qui com­prend entre autres le syn­di­cat du Livre organ­i­sait à Mon­treuil (évidem­ment) des Assis­es du monde du livre. Le dis­cours, cen­tré sur le « livre attaqué de toutes parts par le numérique » mon­trait la crispa­tion des syn­di­cats CGT qui refusent toute prise en compte du numérique autrement que comme un dan­ger mor­tel… avant tout pour l’ex­is­tence même du syn­di­cat et de ses troupes.

Dans le numérique, pas d’im­pres­sion con­trôlée par un syn­di­cat qui con­trôle emplois, prix et con­di­tions. Pas de dis­cours jour­nal­is­tique cal­i­bré pour échap­per aux men­aces de grève de l’im­pres­sion. Pas de cen­sure, donc, et pas de con­trôle pos­si­ble. C’est peut-être bien tout le problème.

Crédit pho­to : stevepb via pix­abay (cc0)