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Retour sur l’affaire Zemouri, récidiviste de l’infox

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10 juillet 2022

Temps de lecture : 7 minutes
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Retour sur l’affaire Zemouri, récidiviste de l’infox

Temps de lecture : 7 minutes

Depuis le 22 juin 2022, Le Point est pris dans la tourmente après avoir publié une fausse information sur Raquel Garrido et Alexis Corbière. Très vite, l’auteur de l’article, Aziz Zemouri, a été mis à pied et licencié. Une réaction logique, mais tardive quand on se plonge dans le parcours du reporter.

Femme de ménage employée au noir

L’his­toire a fait les unes de la presse. Raquel Gar­ri­do et Alex­is Cor­bière emploieraient une femme de ménage sans papiers de manière illé­gale. Très vite démen­tie par les intéressés, l’in­for­ma­tion se révèle rapi­de­ment être une fumis­terie. Pour­tant, comme l’ex­plique Medi­a­part, des véri­fi­ca­tions banales auraient pu éviter le ridicule au Point. Véri­fi­er les dates, les âges, les adress­es, autant de pré­cau­tions que ne sem­ble pas avoir pris Aziz Zemouri avant de pub­li­er son arti­cle et mal­gré ses trente ans d’ex­péri­ence. La ques­tion se pose : erreurs ou malveillances ?

Lagarde au coin de l’élection

Le 28 juin, Zemouri porte plainte con­tre Jean-Christophe Lagarde pour « abus de con­fi­ance ». Il porte égale­ment plainte con­tre un cer­tain Anouar Bouhad­jela, con­nu sous le nom de « Noam Aanouar », ancien agent du ren­seigne­ment. Zemouri estime alors avoir été manip­ulé par les deux per­son­nes. De son côté, Raquel Gar­ri­do estime pos­si­ble qu’il s’agisse d’un coup mon­té par Jean-Christophe Lagarde afin de lui nuire dans l’en­tre-deux-tours des lég­isla­tives. Manque de chance, l’ar­ti­cle a été pub­lié après. Mais l’hypothèse reste plau­si­ble au vu du CV d’Anouar, qui a admis dans une vidéo postée sur Face­book avoir servi d’in­for­ma­teur de Zemouri, citant Jean-Chrisophe Lagarde comme source. Si l’homme est proche de l’U­DI et de son patron, Jean-Christophe Lagarde, il se déclare aus­si proche des Insoumis. Plus tard, il pré­ten­dra même être tombé dans un com­plot de « policiers d’ex­trême droite afin de nuire au député Cor­bière » ! Cha­cun se ren­voie la balle afin de ne pas endoss­er la respon­s­abil­ité de ce faux grossier.

Cette his­toire décon­cer­tante pose ques­tions. Com­ment un jour­nal­iste du Point, aupar­a­vant employé au Figaro, a‑t-il pu se laiss­er manip­uler par un député et un ex-polici­er ? Com­ment la rédac­tion du Point a pu pub­li­er cette infor­ma­tion sans chercher à con­tac­ter les deux mis en cause ? Mais il y a une autre ques­tion qui se pose à l’é­tude du passé de Zemouri : com­ment est-ce pos­si­ble qu’il soit encore jour­nal­iste ?

Déjà en 2018

Si Éti­enne Ger­nelle, le directeur du Point, évoque un « dou­ble enfu­mage interne et externe », la con­damna­tion le 28 juin 2022, soit une semaine après la pub­li­ca­tion de l’af­faire Gar­ri­do-Cor­bière, en diffama­tion par Sand Von Roy, une actrice qui accuse Luc Besson de viol, est venue enfon­cer le clou. Dans un arti­cle datant de 2018, Zemouri relate une par­tie du procès-ver­bal d’un inter­roga­toire de Luc Besson. Seule­ment, selon les juges « Dans ce pas­sage il est insin­ué que Sand Van Roy dépose des plaintes pour viol dépourvues de tout fonde­ment. », ils pour­suiv­ent, « le jour­nal­iste sem­ble pren­dre fait et cause pour Luc Besson » et con­clu­ent « Il y a lieu en con­séquence de con­stater que la base factuelle rel­a­tive à l’im­pu­ta­tion est inex­is­tante et, dès lors, que les prévenus seront déclarés coupables ».

Notons que cette con­damna­tion dans cette affaire est la deux­ième pour Le Point et Zemouri. En 2021, la jus­tice avait sanc­tion­né le reporter pour avoir qual­i­fié l’ac­trice d’« ex call-girl ». Ajou­tons enfin que ses arti­cles au Point avaient valus à Zemouri trois autres con­damna­tions. Une petite recherche mon­tre tou­jours les mêmes man­que­ments à la déon­tolo­gie : des man­que­ments dans les véri­fi­ca­tions et à l’impartialité.

Mises en scène précédentes

Avant ces con­damna­tions, Zemouri avait déjà fait par­ler de lui à la fin des années 1990. Il débute alors dans le milieu du jour­nal­isme. Il réalise pour l’émis­sion La preuve par l’im­age, dif­fusée sur France 2, un reportage sur le traf­ic d’armes dans les ban­lieues. Seule­ment trois jours plus tard, l’émis­sion est dépro­gram­mée pour « des raisons déon­tologiques » (Libéra­tion, 5 octo­bre 1995) par Jean-Pierre Elk­a­b­bach, alors prési­dent de France Télévi­sions.

Le prob­lème ? L’émis­sion est accusée d’être une mise en scène orchestrée par Zemouri en per­son­ne. C’est Mar­tine Aubry qui con­voque la presse lors d’une con­férence de presse, le 28 sep­tem­bre 1995. Alors prési­dente de la fon­da­tion Agir con­tre l’ex­clu­sion, l’an­ci­enne min­istre du Tra­vail présente alors le témoignage d’un jeune qui a servi d’in­ter­mé­di­aire à Zemouri et explique « Sur la demande d’Az­iz Zemouri j’ai trou­vé cinq ou six jeunes à la MJC de Créteil pour tourn­er les trois scènes pour un mon­tant de 350 francs. Un ami d’Az­iz Zemouri a fourni les fauss­es armes et nous avons tourné les séquences à Créteil » (Libéra­tion, 5 octo­bre 1995).

Zemouri se con­tentera de com­menter : « Mon pro­pos était de mon­tr­er que les jeunes pos­sè­dent bien des armes mais qu’il n’ex­iste pas de traf­ic à grande échelle et encore moins des arse­naux cachés comme cela se dit de plus en plus. M’a-t-on mon­tré des fauss­es armes ? Je n’en sais rien je ne suis pas expert » (Libéra­tion, 5 octo­bre 1995). Notre reporter ne sem­blait pas plus au courant que ça, ce qui ne l’empêche pas d’at­ta­quer en diffama­tion Elk­a­b­bach et Aubry.

Condamnations antérieures

Out­re ces bidon­nages, notons quelques autres con­damna­tions pour diffama­tion qu’ont écopées Zemouri et Le Point : ils sont con­damnés en 1997 envers Jean-Claude Bour­ret, ancien prési­dent de la Cinq, suite à un arti­cle inti­t­ulé Où est passé l’a­gent de la Cinq ? coécrit avec Frédéric Dez­ert. En 2016, Patrick Pel­loux fait con­damn­er le jour­nal Le Point après un arti­cle affir­mant que le médecin urgen­tiste avait reçu 1,4 mil­lion d’eu­ros en dédom­mage­ment après les attaques con­tre Char­lie Heb­do.

Bien-pensance de rigueur

Sans sur­prise, Zemouri n’échappe pas à la bien-pen­sance ambiante dans une bonne par­tie du jour­nal­isme. En 2013, il accuse Elsa Vassent, pseu­do­nyme de Mathilde Androu­et (aujourd’hui eurodéputée RN), de faire chanter un cadre du RN avec des accu­sa­tions d’at­touche­ments sex­uels sur mineur afin de grimper les éch­e­lons du RN. Dans le même arti­cle, Wallerand de Saint-Just, alors mem­bre du bureau poli­tique du FN, nie con­naître ce genre de pratiques.

Dans un droit de réponse, la prin­ci­pale intéressée nie en bloc les accu­sa­tions, tan­dis que Zemouri les main­tient. Le silence de la presse sur ce point inter­roge. Seul Le Point – et pour cause – évoque cette his­toire. Tout comme il est seul à accuser sans preuves Hervé Juvin, eurodéputé RN, de vio­lences con­ju­gales en 2019. Nous auri­ons pour­tant pu nous atten­dre à ce que la presse rap­pelle ces faits, mais il s’agissait de parias lep­énistes, indéfend­ables par déf­i­ni­tion. Dans la même optique, en plein con­fine­ment en avril 2020, Zemouri pense avoir mis la main sur une messe pas­cale clan­des­tine en la paroisse Saint-Nico­las-du-Chardon­ney. Alors qu’il s’agis­sait d’une messe à huis clos retrans­mise en direct.

Enfin, admirons la diplo­matie Zemouri­enne (notez bien qu’il n’y a qu’un m). En 2019, La let­tre de l’au­dio­vi­suel dévoile des ten­sions au sein de la rédac­tion du Point. Zemouri n’au­rait pas digéré qu’Alexan­dre Benal­la, alors pris dans l’af­faire de la con­tre-escarpe, ne fasse pas appel à lui pour un entre­tien exclusif. Sur Twit­ter, le proche de Macron dévoile des con­ver­sa­tions où Zemouri lui explique qu’il fera tout pour « qu’il ne soit pas élu maire de Saint-Denis ».

C’est donc avec un tel CV qu’Az­iz Zemouri exerçait encore au sein du jour­nal Le Point jusqu’en juin 2022. Mais cette fois la cible était trop grosse et trop poli­tique­ment cor­recte pour que l’af­faire passe inaperçue ; et elle touchait la France Insoumise et non le FN ou le RN. Un exem­ple qui laisse pen­sif sur l’é­tat des rédac­tions en France, et nous laisse curieux de savoir ce qui per­me­t­tait à Zemouri de sauver sa peau à chaque affaire. Enfin, une dernière ques­tion : où étaient les Décodeurs, Reich­stadt, Mendès-France, et con­sort pour « fact-check­er » les affab­u­la­tions de Zemouri con­tre le FN/RN ? La réponse est dans la question.

Voir aus­si : Rudy Reich­stadt, portrait