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Quand Donald Tusk « président de l’Europe » muselait la presse d’opposition

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6 mai 2016

Temps de lecture : 4 minutes
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Quand Donald Tusk « président de l’Europe » muselait la presse d’opposition

Temps de lecture : 4 minutes

Donald Tusk a été Président du Conseil des ministres en Pologne de 2007 à septembre 2014, date à laquelle il devient le deuxième Président du Conseil européen. La sortie de nouveaux enregistrements réalisés secrètement révèle comment son gouvernement intervenait pour changer les rédactions des journaux jugés trop critiques.

Les écoutes réal­isées par le per­son­nel des restau­rants où les dirigeants poli­tiques et économiques polon­ais avaient l’habitude de pren­dre leurs repas et de par­ler affaires dans des salons privés, se croy­ant à l’abri des oreilles indis­crètes, con­tin­u­ent de fil­tr­er dans les médias polon­ais les unes après les autres. Ce « scan­dale des écoutes », après avoir con­tribué à la vic­toire du PiS (con­ser­va­teur) aux élec­tions prési­den­tielles puis lég­isla­tives en 2015 nous révèle aujourd’hui com­ment les mem­bres du gou­verne­ment PO-PSL (libéraux) précé­dent, qui deman­dent aujourd’hui à l’Europe d’intervenir pour sauver une lib­erté des médias pré­ten­du­ment men­acée dans leur pays, n’hésitaient pas eux-mêmes à faire chang­er les rédac­tions trop cri­tiques à leur goût.

Ain­si, l’hebdomadaire con­ser­va­teur Do Rzeczy a pub­lié dans son numéro du 25 avril 2016 l’enregistrement d’une con­ver­sa­tion entre, d’une part, Paweł Graś, secré­taire d’État à la chan­cel­lerie du pre­mier min­istre Don­ald Tusk et secré­taire général du par­ti Plate­forme Civique (Plat­for­ma Oby­wa­tel­s­ka, PO) de l’actuel prési­dent du Con­seil européen, et, d’autre part, le mil­liar­daire et homme d’affaires polon­ais Jan Kul­czyk, décédé en juil­let 2015 dans un hôpi­tal de Vienne après une inter­ven­tion chirur­gi­cale. La con­ver­sa­tion entre les deux hommes s’est déroulée le 17 avril 2014 dans un salon privé du restau­rant Amber Room à Varso­vie. Out­re le sujet de la vente par l’État du plus gros groupe chim­ique polon­ais Ciech S.A. (qui fait aujourd’hui l’objet d’une enquête du par­quet pour cause de vente des actions à la hold­ing de Kul­czyk à un prix sous-éval­ué), Paweł Graś et Jan Kul­czyk par­lent des attaques con­tre le gou­verne­ment de Don­ald Tusk (et aus­si con­tre la fille du pre­mier min­istre) de la part du plus gros quo­ti­di­en polon­ais, le tabloïd Fakt, qui appar­tient au groupe médi­a­tique alle­mand Axel Springer.

Paweł Graś se plaint auprès de l’homme d’affaires du rédac­teur en chef de Fakt qu’il accuse d’être par­ti­san du PiS. Jan Kul­czyk promet d’intervenir en Alle­magne auprès de Friede Springer, veuve d’Axel Springer, action­naire majori­taire du groupe médi­a­tique Axel Springer et amie d’Angela Merkel. Le mari de la chancelière alle­mande, Joachim Sauer, pro­fesseur de chimie à l’Université Hum­boldt de Berlin, est d’ailleurs mem­bre du con­seil d’administration de la Fon­da­tion Friede Springer.

Six semaines après la con­ver­sa­tion du 17 avril 2014 entre Graś et Kul­czyk, Grze­gorz Jankows­ki, rédac­teur en chef du quo­ti­di­en Fakt depuis les débuts, soit depuis près de 11 ans, démis­sion­nait à la sur­prise générale après une réu­nion avec des représen­tants d’Axel Springer en vis­ite à la rédac­tion de Fakt. Un nou­veau rédac­teur en chef est nom­mé assisté par un nou­veau « super­viseur » alle­mand accom­pa­g­né d’un tra­duc­teur pour pou­voir com­pren­dre les arti­cles du jour­nal pou­vant avoir un impact poli­tique. La ligne du jour­nal change dans les semaines qui suiv­ent pour devenir beau­coup moins cri­tique envers le gou­verne­ment PO-PSL (dirigé par Don­ald Tusk, puis par Ewa Kopacz quand Don­ald Tusk a été nom­mé prési­dent du Con­seil européen) et beau­coup plus cri­tique à l’égard du par­ti d’opposition PiS.

Fakt n’était toute­fois pas le pre­mier quo­ti­di­en nation­al remis sur la « bonne voie » par le gou­verne­ment de Don­ald Tusk. Le pres­tigieux jour­nal Rzecz­pospoli­ta avait con­nu le même sort en 2011. Pro­prié­taire de 49 % des parts du groupe Presspub­li­ca qui pub­li­ait le quo­ti­di­en Rzecz­pospoli­ta et l’hebdomadaire Uważam Rze, l’État polon­ais exerçait des pres­sions sur la société bri­tan­nique Mecom Group pro­prié­taire des 51 % restants pour qu’elle change le rédac­teur en chef Paweł Lisic­ki (aujourd’hui rédac­teur en chef de Do Rzeczy) sous la coupe duquel le jour­nal avait une ligne libérale-con­ser­va­trice cri­tique à l’égard du gou­verne­ment de Don­ald Tusk. Après avoir résisté plusieurs années, Mecom Group a finale­ment préféré reven­dre ses parts en 2011. C’est l’homme d’affaires polon­ais Grze­gorz Haj­darow­icz, ami per­son­nel de Paweł Graś (l’homme de la con­ver­sa­tion avec le mil­liar­daire Jan Kul­czyk), qui, béné­fi­ciant des bons offices et de facil­ités finan­cières du gou­verne­ment de Tusk, a racheté la total­ité des parts de Mecom et de l’État polon­ais. Le rédac­teur en chef de Rzecz­pospoli­ta a rapi­de­ment été rem­placé, Lisic­ki ne con­ser­vant plus que les com­man­des de l’hebdomadaire Uważam Rze pen­dant encore un peu plus d’un an.

Con­traire­ment à la reprise en main de la radio et de la télévi­sion publique par le nou­veau gou­verne­ment con­ser­va­teur PiS, les inter­ven­tions de l’actuel prési­dent du Con­seil européen Don­ald Tusk et de ses amis n’ont jamais sus­cité aucune inquié­tude à Brux­elles pour la lib­erté des médias en Pologne. Un deux poids deux mesures qui mon­tre à quel point la défense des valeurs démoc­ra­tiques européennes est aujourd’hui instru­men­tal­isée au prof­it d’une lutte poli­tique con­tre les gou­verne­ments nationaux jugés poli­tique­ment incorrects.

Crédit pho­to : eppof­fi­cial via Flickr (cc)

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