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Prières de rue ? Prière de ne pas trop déranger les médias officiels !

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1 janvier 2018

Temps de lecture : 7 minutes
Accueil | Veille médias | Prières de rue ? Prière de ne pas trop déranger les médias officiels !

Prières de rue ? Prière de ne pas trop déranger les médias officiels !

Temps de lecture : 7 minutes

[Red­if­fu­sion – arti­cle pub­lié ini­tiale­ment le 18/11/2017]

Non qu’ils n’aient pas évoqué cette affaire. Ils en ont parlé. La question est : comment ? La manière dont la majeure partie de la presse française a rendu compte des prières de rue de Clichy, mi-novembre, dit beaucoup des difficultés intellectuelles qui la traversent. La presse ne souffre pas d’un manque de lecteurs. Son lectorat est absent car elle oublie trop souvent de parler réellement de la réalité.

Les prières de rue de Clichy : le 10 novem­bre 2017, l’AFP démarre en trombe et en trompe‑l’œil par une dépêche : « Une cen­taine d’élus en écharpe ont ten­té ven­dre­di 10 novem­bre à Clichy (Hauts-de-Seine) d’empêcher des fidèles musul­mans de faire leur prière dans la rue ». Rien de con­testable, la phrase est factuelle. Elle ouvre cepen­dant la porte à la façon dont la dépêche va être reprise par une par­tie des médias, dans la journée. Le verbe « empêch­er » étant rapi­de­ment rem­placé par le verbe en par­tie syn­onyme « per­turber ». Ain­si, Le Point :

Prières de rue ? Prière de ne pas trop déranger les médias officiels !Deux heures plus tard, cette présen­ta­tion est mod­i­fiée pour devenir « Clichy : une cen­taine d’élus se mobilisent con­tre les prières de rue ». On com­prend que Le Point se soit trompé et ait con­sid­éré que les élus de la République sont les élé­ments per­tur­ba­teurs, étant don­né le rôle actuel des dépêch­es de l’AFP dans le flux accéléré des infor­ma­tions. La for­mu­la­tion de l’agence pou­vait s’y prêter. Pour­tant, l’AFP aurait pu aus­si dif­fuser l’information sous une autre forme. Exem­ples de possibilités ?

  • « Clichy : au nom de la République, des élus man­i­fes­tent pour deman­der l’interdiction de prières de rue illégales »
  • « Clichy : des élus de la République française laïque s’opposent aux prières de rue de mil­i­tants islamistes »
  • « Clichy : la République dans la rue face aux prières musulmanes » 
  • « Clichy : des élus répub­li­cains défend­ent la laïc­ité con­tre l’occupation illé­gale de la rue par des mil­i­tants musul­mans islamistes »

Le choix des mots par l’AFP n’est jamais anodin, il induit le choix d’une par­tie des médias. Toutes ces présen­ta­tions étaient pos­si­bles et pou­vaient dire réelle­ment la réal­ité, et ain­si éviter que nom­bre de médias emboî­tent le pas en accu­sant à leur tour la République de faire du mal à des croy­ants vic­times et oblig­és de prier dans la rue. Vic­times et qui plus est « per­tur­bés » dans leur foi.

L’interprétation de l’expression « tenter d’empêcher » fait boule de neige

Prières de rue ? Prière de ne pas trop déranger les médias officiels !Le sens des mots « tente » et « empêch­er » choi­sis par l’AFP a entraîné le même jour une inter­pré­ta­tion du même ordre que celle du Point dans dif­férents médias. Ain­si, Le Parisien pour qui les élus aus­si « per­turbent » la prière, ici qual­i­fiée d’« illé­gale ».

Le Lab d’Europe 1 quant à lui ne lésine pas sur l’interprétation alléchante : « Des élus chantent la Mar­seil­laise et bous­cu­lent des fidèles musul­mans en pleine prière de rue à Clichy ». Dans cette for­mu­la­tion, la prière de rue appa­raît comme nor­male ou légitime, en rien illé­gale, tan­dis que l’action délictueuse sem­ble le fait des « élus » qui « bous­cu­lent ». Sans compter qu’ils chantent l’hymne nation­al, ce qui sem­ble une cir­con­stance dis­crim­i­na­toire augmentée.

La majorité des médias relate le con­flit qui oppose la mairie et une par­tie des musul­mans de Clichy depuis bien­tôt 9 mois. Cer­tains, mais pas tous, indiquent que le lieu de culte a été fer­mé car le loy­er n’est plus payé au bailleur depuis longtemps et qu’il y a une mosquée dans Clichy, à quelques min­utes à pied du lieu où la prière de rue se déroule. Un lieu choisi à des­sein, près de la mairie. Aucun média n’indique cet autre fait, impor­tant puisque les événe­ments se pro­duisent en proche ban­lieue parisi­enne et que tout y est à deux pas : il y a 6 mosquées dans un ray­on de 500 mètres autour du lieu de cette prière de rue. De ce fait, on serait ten­té de deman­der à l’AFP ce qui « empêche » les musul­mans con­cernés de prier ailleurs que dans la rue et au Parisien en quoi l’action des élus est per­tur­ba­trice. Il est d’ailleurs à not­er que ces prières se font sere­ine­ment sous la pro­tec­tion des forces de l’ordre répub­li­caine financées par les citoyens d’une France laïque.

Et ailleurs dans la presse ?

Glob­ale­ment, il ressort des analy­ses des médias que ces prières de rue seraient une con­séquence d’une sit­u­a­tion imposée aux musul­mans con­cernés. Ce que le maire de Clichy tente de désamorcer en expli­quant sur les plateaux de télévi­sion qu’il a tou­jours favorisé l’exercice du culte musul­man sur sa com­mune. Ce qu’il parvient à démon­tr­er sans peine. Cepen­dant, Ven­dre­di soir 10 novem­bre 2017, RTL organ­ise un débat dans son émis­sion On refait le monde. La présen­ta­tion de l’émission est claire : les élus se sont opposés de façon « assez ferme et mus­clée » à des musul­mans qui « prient dans la rue, comme tous les ven­dredis d’ailleurs », « car il n’y a pas de lieu de culte adéquat sur la com­mune de Clichy ». Une mosquée à quelques min­utes à pied et d’autres à prox­im­ité, Bernard Poirette bien que tra­vail­lant pour l’une des prin­ci­pales radios hexag­o­nales sem­ble peu infor­mé. Il insiste sur le fait (sup­posé) que les lieux de culte musul­mans seraient en France faits « de clapiers et de planch­es ». Le débat per­met ensuite à des per­son­nal­ités mil­i­tantes comme Rokhaya Dial­lo et Antonin André de dévelop­per un dis­cours qui divise le monde con­tem­po­rain entre les « vic­times », ou minorités, et les représen­tants d’une France qui con­tin­uerait d’être colo­niale. Pour madame Dial­lo « c’est très désagréable pour les per­son­nes con­cernées de prier dans la rue et cela le devien­dra encore plus avec le froid qui va arriv­er ». Pour elle, « il y a une instru­men­tal­i­sa­tion de la part des élus », de l’« élec­toral­isme dans une péri­ode où les musul­mans n’ont pas bonne presse ». Antonin André est d’accord, sous-enten­dant une ambiance islam­o­phobe en France. Poirette con­clut en entéri­nant le fait que l’islam est la 2e reli­gion de France et que cela va aller crescen­do « étant don­née la démo­gra­phie ». Du coup, « il va fal­loir trou­ver des solu­tions et des lieux de culte ». Quant au Figaro, il sig­nale que les élus de la République ont été accueil­lis par des jeunes maghrébins au cri de « fachos dehors ! ». Pour­tant, la mosquée de Clichy, à moins de 15 min­utes à pied, pro­pose 2000 m² d’espace et un bus gra­tu­it pour s’y ren­dre, pré­cise Le Figaro. Après avoir indiqué que la fer­me­ture du lieu de culte découle d’un long con­flit ponc­tué par une déci­sion de jus­tice, L’Obs rap­pelle que le 24 mars 2017 près de 2000 « fidèles » se sont réu­nis pour prier devant la mairie de Clichy et cite une inter­ven­tion du directeur du « Col­lec­tif con­tre l’Islamophobie en France » sans pour autant not­er que la présence forte de ce per­son­nage est étrange, à moins de con­sid­ér­er que l’islamophobie est le prob­lème qui se pose à Clichy. Pour un autre man­i­fes­tant musul­man, il y aurait eu « manip­u­la­tion de la droite et de l’extrême droite pour stig­ma­tis­er les musul­mans » et une plainte est cen­sée être déposée.

Le fait que cet événe­ment pose la ques­tion taboue de la place expo­nen­tielle occupée en France par un islam aux mul­ti­ples facettes, dont cer­taines ne parais­sent pas prêtes à con­sid­ér­er les valeurs de la République française comme légitimes, n’est pas posée. La prière de rue, ce n’est pas une man­i­fes­ta­tion religieuse extérieure ostentatoire ?

Crédit pho­to : cap­ture d’écran vidéo RT France