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Ukraine : BHL au meilleur de sa forme

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7 juillet 2022

Temps de lecture : 7 minutes
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Ukraine : BHL au meilleur de sa forme

Temps de lecture : 7 minutes

Que serait une guerre sans le concours cinématographique de Bernard-Henri Lévy ? Les conflits armés ne sont véritablement importants que lorsque BHL prend la peine de se rendre sur place pour y faire vibrer sa voix pleine d’émotion et actionner ses caméras. En première ligne, il nous explique alors ce qu’il faut penser de la situation, qui sont les gentils et les méchants et quelle devrait être la voie de la paix ; pourquoi il faut faire la guerre sans l’aimer. L’Ukraine n’échappe pas à cette règle. Il avait déjà été très productif au moment du Maïdan en 2013–2014, le voilà de retour avec « Pourquoi l’Ukraine », diffusé avec complaisance sur Arte fin juin 2022.

À bas le fascisme poutinien !

Dès le départ le ton est don­né, sans sur­prise avec une suff­i­sance et un aplomb de man­darin si car­ac­téris­tiques de cette Alban­ie men­tale qu’est Saint-Germain-des-Prés :

« [Maï­dan], grande insur­rec­tion démoc­ra­tique qui embrasa la ville il y a huit ans, c’était un mélange de mai 68 et de prise de la Bastille. »

De ce con­stat qui pour­rait pour­tant faire l’objet de vifs débats découle tout le reste. La mécanique et la rhé­torique BHLi­ennes se met­tent en bran­le et s’engagent dans une course à sens unique con­tre le Mal.

Le Mal, c’est-à-dire Vladimir Pou­tine. Ce chien fou qui entend écras­er les Ukrainiens, ces « cham­pi­ons de la lib­erté ». La belle Ukraine de BHL, mise à mal par « un viva la muerte, un fas­cisme qui a le vis­age de Poutine ».

Une tirade d’anthologie

Arché­type de ce que Pierre Cone­sa appelle le « com­plexe mil­i­taro-intel­lectuel », BHL est sous le charme du goût ukrainien pour la lib­erté et la démoc­ra­tie. Le com­bat des Ukrainiens débuté en 2013 est le sien, et il s’en inspire pour livr­er une tirade dont lui seul a le secret.

Tou­jours la même tar­tine, un laïus inter­minable, réc­ité tré­mo­los dans la voix, cheveux au vent et chemise débou­ton­née. L’ingérence french touch, sûre d’elle-même mais poétique :

« Ukrainiens de l’Ouest et de l’Est, habi­tants des villes et marins de la mer Noire, Cosaques et Juifs sur­vivants de l’Holodomor et rescapés de la Shoah par balles, enfants de l’Armée rouge et vétérans de la révo­lu­tion orange, tous étaient unis dans la volon­té de se sous­traire à l’empire russe […] »

Les souvenirs d’un globe-philosopher

BHL se sou­vient de « Sara­je­vo en flammes », « des villes libyennes éven­trées » et de Mossoul. Son diag­nos­tic est formel : c’est Grozny et Alep qui recom­men­cent. Mar­i­oupol ? « Guer­ni­ca en Ukraine ! » Désor­mais, il en fait le ser­ment : il n’oubliera jamais Irpin et Boutcha. Boutcha, cette ville entrée « dans le grand livre noir de l’horreur, des crimes con­tre l’humanité, comme Oradour et Srebrenica. »

Toutes les pau­vres vic­times de la bar­barie que BHL a défendues par le passé sont là aujourd’hui devant lui. Les Ukrainiens sont prêts pour la « con­tre-offen­sive la plus inat­ten­due de l’Histoire mil­i­taire mod­erne », grâce à la déter­mi­na­tion des mem­bres d’une armée de « pêcheurs, de tan­neurs et de trans­porteurs ». Les retranchés d’Azovstal, mem­bres d’un batail­lon objet de tous les fan­tasmes mais auteurs d’une résis­tance digne des « Spar­ti­ates de Léonidas, du Ron­ce­vaux de la Chan­son de Roland ou du ghet­to de Varsovie. »

Bataillon Azov ? Circulez, y’a rien à voir !

Il lui fal­lait bien crev­er l’abcès. Éclair­er de sa lumière et de son aura le point d’ombre de cette triste guerre : y a‑t-il des néo-nazis au sein du batail­lon Azov ? L’homme de ter­rain est affir­matif : pro­pa­gande russe ! La dénaz­i­fi­ca­tion invo­quée par Pou­tine est un mirage. Les con­clu­sions du détec­tive BHL sont sans appel. Les élé­ments prob­lé­ma­tiques du batail­lon ont été écartés depuis belle lurette. Idem s’agissant des troupes du batail­lon Aidar, que le maréchal BHL n’a pas man­qué de pass­er en revue.

Non, non, essay­er d’y voir clair sans pour autant pren­dre par­ti reviendrait à mon­tr­er des pen­chants com­plo­tistes. BHL coupe court aux rumeurs et nous dit avoir vu des « nation­al­istes et des inter­na­tion­al­istes, des sup­port­ers du Dynamo Kiev et des ingénieurs, des Cosaques de Zapor­i­jie et des Juifs d’Odessa, mais pas de néo-nazis. » Et un instruc­teur, man­i­feste­ment améri­cain, qui motive ses troupes d’une manière étrange­ment sim­i­laire à celle du Ser­gent Hart­man dans Full Met­al Jack­et.

Les nazis sont plutôt à chercher du côté de Moscou selon lui. Il n’a aucun doute sur le fait que c’est bien Pou­tine qui a détru­it par bom­barde­ment le mémo­r­i­al juif de Babi Yar, alors que cette ver­sion des faits a été con­testée, y com­pris dans la presse occi­den­tale.

BHL n’a d’ailleurs pas perçu de traces d’antisémitisme en Ukraine. Oui, c’est le pays de la Shoah par balles, mais aus­si une terre de Justes par­mi les nations. Il le dit, il faut donc le croire sur parole. Ses péré­gri­na­tions le con­duisent même jusqu’à inter­roger un cer­tain Roman Sigov, jeune soci­o­logue par­lant un français mal dégrossi, si typ­ique de ces intel­lectuels des pays post-sovié­tiques prêts à tout dire pour plaire à leurs maîtres occi­den­taux. L’antisémitisme en Ukraine ? Un phénomène mar­gin­al. Une affir­ma­tion cor­roborée par le grand ami de BHL, « ce héros mys­térieux », le prési­dent Zelen­sky, ou encore par ce rab­bin auquel BHL donne la parole et qui explique que « l’Ukraine est le sec­ond Israël. »

BHL, l’ami des grands de ce monde

Il s’en tar­gue dès qu’il le peut. BHL con­naît les puis­sants occi­den­taux, et aura tou­jours la bon­té d’en faire prof­iter aux vic­times du Mal. Il se vante d’avoir organ­isé la ren­con­tre entre Porochenko, Klitschko et François Hol­lande ; et va jusqu’à com­par­er ces deux Ukrainiens à Gam­bet­ta et Carnot. L’ancien prési­dent ukrainien a toutes les faveurs de BHL et se voit lui aus­si qual­i­fié de grand résis­tant, alors que ce dernier se pavane ces derniers temps avec sa famille dans les rues de Londres.

Mais c’est Zelen­sky le véri­ta­ble chou­chou de BHL : « Tel Churchill en 40 aux pires heures du Blitz sur Lon­dres, il marche dans les rues de Kiev. » BHL le flat­te, Zelen­sky a le regard scin­til­lant. L’un fait l’éloge de sa vision du monde sur toutes les planch­es européennes, l’autre, après une car­rière dans la série B post-sovié­tique, clame haut et fort que l’âme de l’Europe se trou­ve à Kiev. Ils font la paire. Des acteurs d’un niveau honorable.

Ceux que BHL remercie

Les vrais cinéphiles savent qu’il est inter­dit de se lever sans avoir vision­né le générique de fin. En l’occurrence, cette règle d’or joue à plein et s’y astrein­dre nous en apprend des vertes et des pas mûres.

Dans la liste des per­son­nes remer­ciées, on trou­ve notam­ment Doro­ta Hryniewiec­ka-Fir­lej, la patronne de Pfiz­er en Pologne. Sans doute une sim­ple amie. Mais la liste des « remer­ciements par­ti­c­uliers » est encore plus intéres­sante. On y croise François Pin­ault, la Patrick and Lina Drahi Foun­da­tion, Denis Olivennes et Claude Per­driel. Et on apprend au pas­sage que l’ambulance et le matériel médi­cal mon­trés dans la séquence 8 du film ont été offerts par la Fon­da­tion Jean-Luc Lagardère.

« Pourquoi l’Ukraine » mon­tre un BHL au meilleur de sa forme. L’homme est infati­ga­ble et vend son numéro de cla­que­ttes tou­jours avec autant de pas­sion et d’entrain. Alors même qu’il vient de per­dre en appel con­tre Blast, et que ses liens avec le Qatar dans le déclenche­ment de la guerre en Libye écla­tent au grand jour. Ce film per­met néan­moins de se don­ner la bonne ques­tion : pourquoi BHL ?

Voir aus­si : Pro­pa­gande anti-Orbán : Arte récidive