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Allemagne : “Je ne peux plus”, lettre ouverte d’Ole Skambraks

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9 octobre 2021

Temps de lecture : 9 minutes
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Allemagne : “Je ne peux plus”, lettre ouverte d’Ole Skambraks

Temps de lecture : 9 minutes

L’ARD regroupe neuf diffuseurs de radio et de télévision en Allemagne (Hesse, Saxe, Thuringe, Schleswig-Holstein, Hambourg, Berlin, Brême, Brandebourg, Sarre, Bade Wurtemberg, Rhénanie Palatinat, Rhénanie du Nord-Westhalie et Bavière). C’est le groupe public de médias le plus puissant en Allemagne. Une étude publiée à Harvard et couvrant les cent premiers jours de la présidence Trump avait révélé une tonalité négative à 98% des articles de l’ARD consacrés à Trump sur cette période. Dans une lettre ouverte « Je ne peux plus », un de ses journalistes dénonce les conditions dans lesquelles les informations concernant le coronavirus y sont élaborées ou filtrées. Nous en publions les contenus les plus significatifs. Certains intertitres sont de notre rédaction.

Voir aus­si : Alle­magne : les vérités désagréables doivent être sup­primées, ou la lib­erté d’opinion selon Twitter

Je ne peux plus, par Ole Skambraks

Je ne peux plus me taire. Je ne peux plus accepter en silence ce qui se passe depuis un an et demi chez mon employeur, le dif­fuseur pub­lic. Dans les statuts et les traités sur les médias d’É­tat, des élé­ments comme « l’équili­bre », la « cohé­sion sociale » et la « diver­sité » sont ancrés dans le reportage. C’est exacte­ment le con­traire qui est pra­tiqué. Il n’y a pas de dis­cours et d’échanges réels dans lesquels toutes les par­ties de la société puis­sent se retrouver.

Dès le départ, j’é­tais d’avis que la radiod­if­fu­sion de ser­vice pub­lic devait rem­plir exacte­ment cet espace : favoris­er le dia­logue entre par­ti­sans et cri­tiques, entre ceux qui ont peur du virus et ceux qui ont peur de per­dre leurs droits fon­da­men­taux, entre les défenseurs de la vac­ci­na­tion et les scep­tiques. Mais depuis un an et demi, l’e­space de dis­cus­sion s’est con­sid­érable­ment réduit.

Des scientifiques acceptés puis rejetés

Les sci­en­tifiques qui étaient respec­tés et respec­tés avant Coro­na, à qui on accor­dait de la place dans le dis­cours pub­lic, sont soudaine­ment devenus fous, des por­teurs de cha­peaux en alu­mini­um ou des covid­iots. Comme exem­ple sou­vent cité, référence est faite à Wolf­gang Wodarg. C’est un mul­ti­spé­cial­iste, épidémi­ol­o­giste et homme poli­tique de longue date dans le domaine de la san­té. Jusqu’à la crise coro­na, il était égale­ment mem­bre du con­seil d’ad­min­is­tra­tion de Trans­paren­cy Inter­na­tion­al. En 2010, en tant que prési­dent du comité de la san­té du Con­seil de l’Eu­rope, il a exposé l’in­flu­ence de l’in­dus­trie phar­ma­ceu­tique sur la pandémie de grippe porcine. À cette époque, il a pu exprimer son opin­ion per­son­nelle sur la radiod­if­fu­sion publique, depuis le Coro­na cela n’a plus été pos­si­ble. Les soi-dis­ant vérifi­ca­teurs de faits ont pris sa place et le dis­crédi­tent.

Un consensus paralysant

Au lieu d’un échange de vues ouvert, un « con­sen­sus sci­en­tifique » a été proclamé, qui doit être défendu. Quiconque en doute et appelle à une per­spec­tive mul­ti­di­men­sion­nelle sur la pandémie gagne indig­na­tion et méchanceté.

Ce sché­ma fonc­tionne égale­ment au sein des rédac­tions. Cela fait un an et demi que je ne tra­vaille pas sur l’ac­tu­al­ité quo­ti­di­enne, ce dont je suis très heureux. Dans mon poste actuel, je ne suis pas impliqué dans les déci­sions con­cer­nant les sujets à met­tre en œuvre et com­ment. Je décris ici ma per­cep­tion des con­férences édi­to­ri­ales et une analyse du reportage. Pen­dant longtemps je n’ai pas osé sor­tir du rôle d’ob­ser­va­teur, le con­sen­sus sup­posé me parais­sait trop absolu et unitaire…

Moins d’espace pour le débat

L’ar­gu­ment est sou­vent avancé que les cri­tiques représen­tent une petite minorité nég­lige­able, à laque­lle il ne faut pas don­ner trop de place pour des raisons de pro­por­tion­nal­ité. Cela devrait être réfuté au plus tard depuis le référen­dum en Suisse sur les mesures coro­na. Bien qu’il n’y ait pas non plus de libre échange d’opin­ions dans les médias de masse, le vote ne s’est ter­miné qu’à 60:40 pour le gou­verne­ment. Peut-on par­ler d’une petite minorité avec 40 % des suf­frages exprimés ? Il con­vient égale­ment de men­tion­ner que le gou­verne­ment suisse avait lié les verse­ments de l’aide Coro­na au vote, ce qui aurait pu influ­encer la déci­sion de cer­tains de cocher « Oui ».

Les développe­ments de cette crise se pro­duisent à telle­ment de niveaux et affectent toutes les par­ties de la société qu’en ce moment nous avons besoin non pas de moins, mais de plus d’e­space libre pour le débat.

Voir aus­si : Liens entre passeurs de migrants et ONG : les révéla­tions explo­sives du jour­nal alle­mand Die Welt n’intéressent pas les médias français

Mensonges par omission

Il ne révèle pas ce qui est dis­cuté sur la radiod­if­fu­sion publique, mais ce qui n’est pas men­tion­né. Il y a de nom­breuses raisons à cela et néces­si­tent une analyse interne hon­nête. Les pub­li­ca­tions du spé­cial­iste des médias et ancien con­seiller en radiod­if­fu­sion du MDR Uwe Krüger peu­vent aider, comme son livre « Main­stream — Pourquoi nous ne faisons plus con­fi­ance aux médias ».

Dans tous les cas, il faut du courage pour nag­er à con­tre-courant dans des con­férences où les sujets sont dis­cutés et dis­cutés. Sou­vent celui qui peut présen­ter ses argu­ments avec le plus d’élo­quence l’emporte ; en cas de doute, la direc­tion édi­to­ri­ale décide, bien sûr. L’équa­tion était val­able très tôt, car la cri­tique du cours coro­na du gou­verne­ment appar­tient au spec­tre de la droite. Quel édi­teur ose exprimer une pen­sée dans ce sens ?…

Compréhension journalistique de base

La sor­tie de la pandémie propagée par la poli­tique et les médias s’avère être un abon­nement vac­ci­nal per­ma­nent. Les sci­en­tifiques qui exi­gent une manière dif­férente de traiter Coro­na n’ob­ti­en­nent tou­jours pas une place adéquate dans les médias publics, comme le mon­trent à nou­veau les reportages par­fois diffam­a­toires sur la cam­pagne #alle­sauf­den­tisch (« Tout sur la table », une cam­pagne inci­tant au débat sur la pandémie NDLR). Au lieu de dis­cuter du con­tenu des vidéos avec les per­son­nes impliquées, des experts ont été recher­chés pour dis­créditer la cam­pagne. Ce faisant, les radiod­if­fuseurs publics com­met­tent exacte­ment la même erreur qu’ils accusent #alle­sauf­den­tisch.

Carnets de vaccination numériques et suivi

Les fon­da­tions Gates et Rock­e­fell ont conçu et financé les direc­tives de l’OMS pour les dossiers de vac­ci­na­tion numériques. Ils sont main­tenant intro­duits dans le monde entier. Ce n’est qu’avec eux que la vie publique doit être pos­si­ble — qu’il s’agisse de con­duire le tram, de boire un café ou de se faire soign­er. Un exem­ple en France mon­tre que cette iden­ti­fi­ca­tion numérique devrait rester en place même après la fin de la pandémie. La députée Emanuelle Ménard a demandé l’a­jout suiv­ant dans le texte de loi : Le cer­ti­fi­cat de vac­ci­na­tion numérique « prend fin lorsque la prop­a­ga­tion du virus ne con­stitue plus une men­ace suff­isante pour jus­ti­fi­er son util­i­sa­tion. » Sa propo­si­tion d’a­mende­ment a été rejetée. Cela sig­ni­fie que le pas vers le con­trôle de la pop­u­la­tion mon­di­ale ou même un état de sur­veil­lance à tra­vers des pro­jets tels que ID2020 est très petit.

L’Aus­tralie teste actuelle­ment une appli­ca­tion de recon­nais­sance faciale pour s’as­sur­er que les per­son­nes en quar­an­taine restent à la mai­son. Israël utilise des bracelets élec­tron­iques pour cela. Dans une ville ital­i­enne, des drones sont testés pour mesur­er la tem­péra­ture des vis­i­teurs de la plage, et en France la loi est actuelle­ment en cours de mod­i­fi­ca­tion pour ren­dre pos­si­ble la sur­veil­lance à grande échelle des drones.

Voir aus­si : Alle­magne : citoyens d’une nation ou citoyens du monde ? La bour­geoisie est à gauche

Tous ces sujets néces­si­tent un échange inten­sif et cri­tique au sein de la société. Mais cela n’ap­pa­raît pas assez dans les reportages de nos dif­fuseurs et n’é­tait pas un sujet de cam­pagne électorale.

Entre-temps, la restric­tion du dis­cours est allée si loin que la société bavaroise de radiod­if­fu­sion a omis à plusieurs repris­es de dif­fuser les dis­cours des députés qui cri­tiquent les mesures lors de la dif­fu­sion des débats par­lemen­taires au par­lement du Land.

Quelque chose s’est mal passé

Pen­dant longtemps, j’ai pu dire avec fierté et joie que je tra­vaille pour le radiod­if­fuseur de ser­vice pub­lic. Beau­coup de recherch­es, de for­mats et de con­tenus excep­tion­nels provi­en­nent d’ARD, de ZDF et de Deutsch­landra­dio. Les normes de qual­ité sont extrême­ment élevées et des mil­liers d’employés font un excel­lent tra­vail, même sous une pres­sion accrue sur les coûts et des objec­tifs d’é­conomies. Mais quelque chose s’est mal passé avec le coro­na. Soudain, je perçois une vision style tun­nel et des œil­lères et un con­sen­sus sup­posé qui n’est plus remis en cause.

Le dif­fuseur autrichien Servus TV mon­tre que cela peut être fait dif­férem­ment. Par­ti­sans et con­temp­teurs ont leur mot à dire dans le pro­gramme « Coro­na Quar­tet » / « Talk in Hang­er 7 ». Pourquoi cela ne serait-il pas pos­si­ble à la télévi­sion alle­mande ? « Vous ne pou­vez pas don­ner une scène à tous les cinglés », est la réponse rapi­de. Le faux équili­bre, le fait que les opin­ions sérieuses et dou­teuses soient enten­dues égale­ment, doivent être évités. — Un argu­ment d’homi­cide qui n’est pas non plus sci­en­tifique. Le principe de base de la sci­ence est de douter, de ques­tion­ner, de véri­fi­er. Quand cela n’ar­rive plus, la sci­ence devient religion.

Oui, il y a effec­tive­ment un faux sol­de. C’est l’an­gle mort qui est entré dans nos têtes qui ne per­met plus de véri­ta­ble dis­cus­sion. Nous jetons des faits appar­ents autour de nos oreilles, mais ne pou­vons plus nous écouter. Le mépris rem­place la com­préhen­sion, com­bat­tre l’autre opin­ion rem­place la tolérance. Les valeurs fon­da­men­tales de notre société sont jetées par-dessus bord hopladi­hop. Ici on dit : les gens qui ne veu­lent pas vac­cin­er sont fous, là on dit : « Honte au mou­ton endormi »…

En écrivant ces lignes, je me sens héré­tique ; quelqu’un qui com­met une haute trahi­son et risque une puni­tion. Ce n’est peut-être pas du tout comme ça. Peut-être que je ne risque pas mon tra­vail avec ça, et la lib­erté d’ex­pres­sion et le plu­ral­isme ne sont pas en dan­ger. Je l’e­spère beau­coup et attends avec impa­tience un échange con­struc­tif avec mes collègues.

Ole Skam­braks

Source (texte inté­gral, en alle­mand) : Mul­ti­po­lar Mag­a­zine, 5 octo­bre 2021

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