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Loi asile et immigration : médias et associations pro-migrants ont le même discours

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5 avril 2018

Temps de lecture : 6 minutes
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Loi asile et immigration : médias et associations pro-migrants ont le même discours

Temps de lecture : 6 minutes

Red­if­fu­sion. Pre­mière dif­fu­sion le 27 févri­er 2018

C’est un jeu de rôle où les intervenants connaissent leur script par cœur. Chacun – État, associations, partis politiques – joue une partition quasi connue à l’avance. Les médias ne sont pas reste : à l’occasion du débat sur la Loi asile-immigration, nombreux sont ceux qui relaient sans recul cet exercice codifié, au bénéfice d’une gauche libérale libertaire qui s’arroge le monopole de la vertu.

Le scé­nario est com­mun à beau­coup de réformes : le gou­verne­ment laisse « fuiter » les grandes lignes du pro­jet de Loi prévu. Les réac­tions dans la « société civile » per­me­t­tent d’en juger la pop­u­lar­ité. Un rap­port vient ensuite don­ner une vision « équili­brée » de ce qui doit être entre­pris. Puis le pro­jet de Loi est débat­tu au Parlement.

Dans ce jeu de rôle, et à l’occasion de la présen­ta­tion de la Loi sur l’asile et l’immigration, l’immense majorité des médias ne relaie qu’un seul point de vue : celui des asso­ci­a­tions favor­ables à une large ouver­ture des fron­tières. Illus­tra­tion :

Dévoilement du projet

Le 11 jan­vi­er 2018, Le Monde dévoile la trame de la loi asile-immi­gra­tion qui doit être présen­tée ce jour-là par le Pre­mier Min­istre au monde associatif.

Comme nous le rela­tions dans un arti­cle pub­lié en jan­vi­er, le ban et l’arrière ban des asso­ci­a­tions pro- migrants se sont déjà mobil­isés avant d’être reçues par le Pre­mier Min­istre. États généraux, tri­bunes, déc­la­ra­tions, man­i­fes­ta­tions béné­fi­cient d’une large cou­ver­ture médiatique.

Avant même qu’il ne soit ren­du pub­lic, Le Figaro annonce le 19 févri­er que le Pre­mier Min­istre se fera remet­tre à l’occasion d’un déplace­ment à Lyon un rap­port d’un député En marche con­tenant des mesures des­tinées à favoris­er l’intégration des étrangers arrivés en France.

Alors que ce rap­port était cen­sé apais­er le monde médi­ati­co-asso­ci­atif, la con­tes­ta­tion non seule­ment ne retombe pas mais est ravivée par la présen­ta­tion le 21 févri­er en Con­seil de Min­istres et à la presse du pro­jet de Loi sur l’asile.

Tirs à boulets rouges

Les réac­tions ne se font pas atten­dre. La qua­si-total­ité des médias reprend à l’unisson les argu­ments des asso­ci­a­tions pro-migrants :

Ouest-France relaie « les cinq mesures qui fâchent »…les asso­ci­a­tions pro migrants. Des élé­ments de lan­gage partagés par les chaines d’actualité BFMTV et LCI. Europe 1 liste « les points qui font débat »… pour les asso­ci­a­tions pro-migrants et les par­tis de gauche. France Info donne la parole à une représen­tante de la CIMADE (asso­ci­a­tion d’aide aux étrangers), pour qui « c’est un texte grave et dan­gereux ». RTL inter­viewe le passeur de migrants Cédric Her­rou : « L’ex­trême droite est au pou­voir ». Le Monde offre une tri­bune à des uni­ver­si­taires pour qui c’est « un pro­jet ni humain ni effi­cace ». Le 22 févri­er, un édi­to­r­i­al du quo­ti­di­en du soir titre sur « un pro­jet de loi déséquili­bré ». Pour Libéra­tion, c’est « un pro­jet qui déboute ». France Inter s’interroge grave­ment : « la France est-elle encore une terre d’accueil ? », etc…

Le Point fait par­tie des rares médias avec notam­ment Le Figaro et Atlanti­co à ne pas don­ner que les points de vue des asso­ci­a­tions pro-migrants à ce sujet.

Les récits de vie : entre héroïsation et édification des consciences

Dans la péri­ode, les réc­its de vie de migrants se mul­ti­plient dans les médias. Si la dimen­sion humaine de ce sujet est impor­tante, on peut néan­moins se deman­der dans quelle mesure ils ne par­ticipent pas à l’instrumentalisation des émo­tions et à l’édification des con­sciences. Ils s’inscrivent en tous cas dans le droit fil des recom­man­da­tions de l’Union européenne aux médias que l’OJIM a présen­tées en 2017, afin de mieux faire accepter et percevoir l’immigration. En résumé, faire appel à l’empathie plutôt qu’à une con­tex­tu­al­i­sa­tion plus large.

Le 20 févri­er, à l’occasion de la présen­ta­tion du pro­jet de Loi sur l’asile au con­seil des min­istres, RTL présente à 7h l’itinéraire de clan­des­tins qui passent la fron­tière fran­co ital­i­enne par le col de l’échelle dans les Alpes. France Inter relate le réc­it de l’exil d’un cou­ple de migrants qui veut pass­er en France dont la femme est enceinte. Le Pop­u­laire évoque l’itinéraire d’une famille de 9 syriens. La Voix du Nord présente le 25 févri­er « l’histoire boulever­sante de Tarek, réfugié syrien ». Le quo­ti­di­en Ouest France pour qui « expulser n’est pas solu­tion », mul­ti­plie les réc­its de vie des migrants, comme celui de Blaise, un congolais.

Pen­dant ce temps, Le Figaro con­sacre le 8 jan­vi­er un dossier sur les chiffres des deman­des d’asile en 2017 qui «  con­fir­ment une hausse his­torique du flux de migrants récla­mant le statut de réfugié ». On y apprend que le prin­ci­pal pays de prove­nance des deman­deurs d’asile est…l’Albanie. « Des ressor­tis­sants de ce que le droit d’asile appelle ” un pays sûr” », comme le sig­nale LCI…..

Les arguments que vous ne trouverez pas dans les médias mainstream

Dans la mémoire courte du jour­nal­isme dom­i­nant, il sem­ble dif­fi­cile d’élargir la con­tex­tu­al­i­sa­tion des arti­cles à autre chose qu’aux réac­tions immé­di­ates des asso­ci­a­tions pro-migrants.

Pour­tant, en 2015, à l’occasion d’un autre pro­jet de Loi sur l’asile, la Cour des comptes pointait dans un rap­port un cer­tain nom­bre de dérives, divul­guées par Le Figaro. Morceaux choisis :

« L’en­gorge­ment des héberge­ments pour les deman­deurs d’asile se réper­cute sur l’héberge­ment d’ur­gence de droit com­mun. Le taux d’exé­cu­tion des oblig­a­tions de quit­ter le ter­ri­toire français noti­fiées aux per­son­nes déboutées du droit d’asile, est de 6,8 %. Un fort enjeu budgé­taire s’at­tache à la réduc­tion des délais d’ex­a­m­en des deman­des d’asile. La diminu­tion des délais per­me­t­trait de dis­suad­er cer­taines deman­des d’asile. Le pro­gramme (du bud­get de l’Etat pour l’asile) a béné­fi­cié d’un traite­ment excep­tion­nel sur cette péri­ode, le faisant échap­per aux con­traintes de la poli­tique de maîtrise générale de la dépense publique ».

Dans un décryptage du pro­jet de loi, la démo­graphe Michèle Trib­al­at affirme au Figaro que « rien, dans le pro­jet, n’indique une volon­té de lim­iter l’im­mi­gra­tion étrangère en France. La Loi prévoit d’ « éten­dre le regroupe­ment famil­ial auprès des réfugiés mineurs. Elle crédi­bilise le pro­jet de familles qui envoient leur grand garçon, en éclaireur, essay­er de trou­ver un avenir meilleur en Europe ».

Un haut fonc­tion­naire évoque dans une tri­bune pub­lié par le Figaro le 22 jan­vi­er 2018 une « fer­meté en trompe l’œil ». Il énumère une longue liste de mesures du pro­jet de Loi favor­ables aux deman­deurs d’asile : « Facil­i­ta­tion de la délivrance, aux mem­bres de la famille d’un réfugié mineur, d’une carte de séjour val­able 10 ans. Pour les réfugiés mineurs, exten­sion du béné­fice de la réu­ni­fi­ca­tion famil­iale non seule­ment aux ascen­dants directs au pre­mier degré, mais aus­si aux frères et sœurs. Dis­po­si­tions pro­tec­tri­ces sur le droit au séjour des vic­times de vio­lences con­ju­gales. Intro­duc­tion d’une règle prévoy­ant que tout deman­deur d’asile est infor­mé qu’il peut sol­liciter un titre de séjour sur un autre fonde­ment pen­dant l’in­struc­tion de sa demande. Pos­si­bil­ité d’ac­corder l’aide au retour volon­taire à un étranger placé en réten­tion », etc…

L’auteur de la tri­bune sig­nale au sujet de tous ces élé­ments factuels « que les asso­ci­a­tions de défense (des migrants) se gar­dent bien de (les) évo­quer » On serait ten­té d’ajouter que la grande majorité des médias les occulte égale­ment… La mémoire courte et une absence de con­tex­tu­al­i­sa­tion aboutis­sent ain­si à une présen­ta­tion médi­a­tique tron­quée du débat en cours. Qui a dit que l’Empire du Bien avait per­du son hégé­monie morale ?