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[Rediffusion] Lettre ouverte à Patrick Cohen d’Henri Charpentier

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1 janvier 2017

Temps de lecture : 5 minutes
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[Rediffusion] Lettre ouverte à Patrick Cohen d’Henri Charpentier

Temps de lecture : 5 minutes

[Red­if­fu­sion — arti­cle pub­lié ini­tiale­ment le 16/11/2016]

Henri Charpentier a rejoint jeune France Inter comme reporter puis spécialiste du sport automobile et du rugby. Chef des services de reportage puis rédacteur en chef de la fin de semaine jusqu’en 2011, il est unanimement respecté comme un grand journaliste dans la profession. Ne supportant plus la morgue et le parti pris de Radio France en général et de France Inter en particulier, il a envoyé une lettre ouverte à Patrick Cohen que nous reproduisons avec son autorisation.


Cher con­frère,

Je sou­tiens totale­ment le jour­nal “Causeur” qui décrit l’exacte vérité sur les dérives de notre radio nationale.

La vic­toire de Don­ald Trump, que vous le vouliez ou non, c’est aus­si la vôtre car il n’y a aucun doute, à force de “taper” dessus comme tous les con­frères bien-pen­sants de gauche, vous avez fait son bon­heur et du même coup le mal­heur de votre idole Hillary Clin­ton dont vous avez fait en per­ma­nence la campagne.

Désor­mais, com­ment voulez-vous être crédi­bles et même audi­bles, après une telle gamelle ? Alors pour détourn­er l’attention, vous dédouan­er de vos fautes et erreurs pro­fes­sion­nelles répétées, en com­pag­nie de vos invités triés sur le volet pour érein­ter le camp répub­li­cain, vous accusez main­tenant les sondages qui ne vous ont pas per­mis de prédire cette “sur­prenante” vic­toire, selon vous bien sûr. De toute façon, il n’y avait qu’à vous écouter, le suc­cès des Répub­li­cains n’était pas pos­si­ble tant Hillary Clin­ton, si mer­veilleuse et si admirable à tous points de vue, était déjà instal­lée, selon vos voeux claire­ment exprimées, dans le bureau ovale de la Mai­son Blanche, comme si l’élection n’avait pas lieu d’être et était inutile !!!

Dom­mage pour vous, l’ouragan Trump est passé par là et a souf­flé vio­lem­ment sur vos belles illu­sions : 306 grands électeurs en sa faveur con­tre 232 à Madame Clin­ton, soit 30 états pour le vain­queur con­tre 20 seule­ment à son adver­saire mal­heureuse. Cet échec reten­tis­sant, que vous le vouliez ou non, c’est aus­si le vôtre.

Une ques­tion pri­mor­diale se pose aujourd’hui : fait-on du jour­nal­isme d’après les sondages ? Non, il suff­i­sait d’aller au coeur de l’Amérique pro­fonde pour devin­er que Trump allait l’emporter.

J’ai assez de famille et amis à New York, Den­ver, Los Ange­les, Las Vegas et même à Anchor­age pour “sen­tir” le frémisse­ment d’une impor­tante colère pop­u­laire. Vous n’avez rien vu venir car vous avez fait du “jour­nal­isme de salon” avec autour de vous, pour péror­er, des intel­lectuels ou des spé­cial­istes, pra­tique­ment tous incon­di­tion­nels par­ti­sans de Madame Clinton.

L’information à sens unique vous savez très bien faire… mais par­fois, “trop c’est trop” et il ne faut pas pren­dre les audi­teurs et téléspec­ta­teurs pour des imbé­ciles car eux, ils sont quo­ti­di­en­nement en phase avec les réal­ités économiques et sociales de la vie.

Aujourd’hui, les plus grands jour­naux améri­cains s’excusent publique­ment d’avoir mal fait leur tra­vail. Ils ont le sens de l’honneur.

Mais vous, à France Inter qu’allez-vous faire ou dire à vos audi­teurs après un tel fias­co de la part de la rédac­tion que vous représen­tez cher ami ? Rien, puisque vous avez tou­jours rai­son et que vous détenez la vérité à longueur d’années.

Il y a peu de temps je vous écrivais pour vous dire que vous ne respec­tiez même pas la plus élé­men­taire éthique pro­fes­sion­nelle. Et vous ne m’avez même pas répon­du car bien sûr je ne suis plus rien à vos yeux. Vous oubliez sim­ple­ment que notre généra­tion de jour­nal­istes pro­fes­sion­nels a appris que la base du méti­er ce sont en pri­or­ité “les faits, rien que les faits et tou­jours les faits”.

En réal­ité vous ne faites plus du tout le même méti­er puisque, pour vous, les faits sont incon­nus. Vous utilisez votre fonc­tion sur l’antenne pour créer les faits à votre image, selon votre pen­sée, votre opin­ion : c’est tout sim­ple­ment hon­teux mais comme vous êtes tous for­matés de la même manière vous n’êtes même plus capa­bles de vous en ren­dre compte, per­suadés que vous êtes tous dans LA vérité, “votre vérité”, celle en laque­lle tout le monde doit croire. C’est la pen­sée unique dont vous êtes incon­testable­ment un bril­lant exem­ple et même un représen­tant par­faite­ment extraordinaire !

Aujourd’hui je me demande si vous vous respectez vous-mêmes, en tout cas le moins qu’on puisse dire, c’est que vous ne respectez pas la pro­fes­sion de jour­nal­iste, un méti­er en perdi­tion, où la “médiocratie crasse”* (dont France Inter con­stitue aujourd’hui un exem­ple admirable) est bien en place.

Le drame c’est que vous ne respec­tiez pas l’essence même du devoir d’information, le plu­ral­isme, et encore moins vos audi­teurs en leur imposant la voie très étroite, et de plus en plus étroite, de la pen­sée unique. Je me rap­pelle aus­si vous avoir écrit pour dénon­cer le fait que vous apparte­niez sans aucun doute, par votre atti­tude, au groupe de ceux qui font le lit de Marine Le Pen que ça vous plaise ou non. Mais comme d’habitude, bien sûr, vous êtes con­va­in­cus d’avoir raison.

J’espère que ce mail sincère vous aidera à réfléchir un peu plus intel­ligem­ment à votre rôle dans le cadre de notre profession.

Bien cor­diale­ment
Hen­ri Char­p­en­tier ancien rédac­teur en chef de France Inter (carte de presse 29.386)

* Pro­pos tenus par Aude Lancelin dans le JDD du 20/11/2016 après son évic­tion de son poste de direc­trice adjointe de la rédac­tion de L’OBS

PS : la cour­toisie la plus élé­men­taire veut qu’un jour­nal­iste de car­ac­tère ait le courage de répon­dre à son inter­locu­teur car mon pre­mier “jet” n’a tou­jours pas eu la moin­dre réponse. J’espère ne pas avoir trop touché votre égo.


L’Ojim a con­sacré plusieurs arti­cles récents à Patrick Cohen dans ses œuvres comme son évic­tion de François Rollin ou sa passe d’arme avec Karine Le Marc­hand.

Crédit pho­to : DR

Voir aussi : Patrick Cohen, portrait