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L’affaire Ján Kuciak : quand le meurtre d’un journaliste devient un outil politique

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5 mai 2018

Temps de lecture : 6 minutes
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L’affaire Ján Kuciak : quand le meurtre d’un journaliste devient un outil politique

Temps de lecture : 6 minutes

Le 21 février 2018, Ján Kuciak, journaliste d’investigation, ainsi que sa compagne, Martina Kušnírová, sont assassinés par balle. La police découvre les corps 4 jours plus tard. Les douilles sont disposées de telle sorte que le double homicide ne laisse que peu de place au doute : c’est l’œuvre de la mafia. Une équipe internationale, impliquant notamment les polices tchèques et italiennes, ainsi que des agents du FBI et de Scotland Yard, se charge du dossier — toujours en cours début mai 2018 — à l’heure de la rédaction de cet article.

Qui est Ján Kuciak ?

Ján Kuci­ak, né en 1990, diplômé d’un doc­tor­at en jour­nal­isme de l’U­ni­ver­sité de Con­stan­tin le Philosophe à Nitra, en Slo­vaquie, com­mence en 2015 à tra­vailler pour le site d’ac­tu­al­ité Aktuality.sk, pro­priété du groupe Ringi­er-Axel Springer, basé à Zurich, qui détient de nom­breux tabloïds, mag­a­zines et sites inter­net et qui est implan­té entre autres dans les pays baltes, en Pologne, en Slo­vaquie, en Hon­grie et en Ser­bie. « Il fai­sait du jour­nal­isme de don­nées. Il avait deux écrans devant lui, et il fai­sait le lien entre les don­nées. Il util­i­sait des don­nées publiques » témoigne Peter Bardy, rédac­teur-en-chef de Aktuality.sk.

Le jeune jour­nal­iste se fait rapi­de­ment remar­quer en pub­liant des arti­cles dénonçant de pos­si­bles malver­sa­tions, affaires de cor­rup­tion et autres sus­pi­cions de détourne­ments de fonds. Ján Kuci­ak accuse et donne des noms. Des mem­bres de la ‘Ndrangheta, branche cal­abraise de la mafia ital­i­enne, con­nue pour ses escro­queries aux sub­ven­tions agri­coles européennes, sont nommés.

Ses enquêtes sur des affaires de cor­rup­tion l’ont amené à porter plainte en sep­tem­bre 2017, pour men­aces de la part d’un homme d’af­faire slo­vaque, Mar­ián Kočn­er. Le riche entre­pre­neur aurait dit à Ján Kuci­ak, que s’il trou­vait quoique ce soit sur « son passé ou celui de sa famille (sur Kuci­ak ou sa famille, note de la rédac­tion), il le rendrait pub­lic ». Le dernier arti­cle de Kuci­ak pub­lié de son vivant, le 9 févri­er 2018, par­lait à nou­veau du même homme d’af­faires, entre autres per­son­nes citées.

Un dernier article

Mais pour cer­tains de ces col­lègues et con­frères, c’est le tout dernier arti­cle de Ján Kuci­ak, qu’il n’a pas pu ter­min­er et qui a été pub­lié après la mort du jour­nal­iste — en français ici — qui lui a coûté la vie.

Dans cet arti­cle, Ján Kuci­ak fait le lien entre mafieux et hommes d’af­faires proches du gou­verne­ment, voire mem­bres de l’ad­min­is­tra­tion gou­verne­men­tale. En par­tant de ces soupçons, l’as­sas­si­nat du jour­nal­iste prend une tour­nure poli­tique. Par­mi les per­son­nes désignées comme étant en lien avec la mafia, la jeune con­seil­lère du Pre­mier min­istre Robert Fico, Mária Trošková, ancien man­nequin de 30 ans, qui avant de con­naître une ascen­sion très rapi­de, avait cofondé une société avec un homme d’affaires ital­ien proche de la mafia. Autre per­son­nal­ité proche, celui qui a servi de trem­plin à Mária Trošková, Vil­iam Jasan, le respon­s­able de ges­tion de crise du gou­verne­ment slovaque.

Des soupçons à la certitude, l’ingénierie sociale en action

Si les bass­es œuvres de la mafia ital­i­enne en Slo­vaquie ne font que peu de doute, et si le tra­vail de Ján Kuci­ak soulève des ques­tions très sérieuses, l’exploitation poli­tique de son meurtre laisse entrevoir un pro­jet de désta­bil­i­sa­tion fort dif­férent et de plus grande ampleur.

Le Prési­dent de la République slo­vaque, Andrej Kiska, inter­vient à la télévi­sion sur l’affaire. Andrej Kiska est con­nu pour son oppo­si­tion au gou­verne­ment pop­uliste et social-démoc­rate (mais con­ser­va­teur sur de nom­breux sujets : opposé au mariage homo­sex­uel et à l’im­mi­gra­tion, et ayant accru les mesures con­tre la crim­i­nal­ité tsi­gane) de Robert Fico. Le prési­dent slo­vaque avait notam­ment été remar­qué comme hôte de George Soros en sep­tem­bre 2017, à New-York.

Les ONG et les médias partageant l’idéolo­gie de la « société ouverte » organ­isent et favorisent les protes­ta­tions de rue pour exiger la démis­sion de l’indéboulonnable Robert Fico, Pre­mier min­istre de la jeune République slo­vaque de 2006 à 2010, puis de 2012 à 2018.

La pres­sion des ONG et des médias d’op­po­si­tion ain­si que les soupçons légitimes por­tant sur cer­taines per­son­nal­ités proches du gou­verne­ment poussent Robert Fico à démis­sion­ner, don­nant sat­is­fac­tion aux man­i­fes­tants ; mais son retrait n’est que stratégique, ayant exigé en échange de sa démis­sion que la coali­tion établie aux élec­tions de 2016 reste en place. En tant que prési­dent du prin­ci­pal par­ti de la coali­tion il nomme le futur Pre­mier min­istre. C’est ain­si que Peter Pel­le­gri­ni, un de ses lieu­tenants (mal­gré son nom, il n’est pas ital­ien), est devenu après sa démis­sion le nou­veau Pre­mier min­istre slo­vaque, pen­dant que Robert Fico, à l’in­star de Liviu Drag­nea en Roumanie et de Jarosław Kaczyńs­ki en Pologne, dirige le pays dans l’om­bre, selon les com­men­ta­teurs politiques.

Bras de fer politique, les réseaux Soros à l’action

Plus de deux mois après le drame et six semaines après le change­ment de gou­verne­ment, la crise engen­drée par le meurtre de Ján Kuci­ak n’est cepen­dant pas ter­minée. Les nom­i­na­tions et les démis­sions s’en­chaî­nent, et le bras de fer entre le par­ti de Robert Fico, le Smer, et la “société civile” con­tin­ue. Le min­istère de l’In­térieur aura notam­ment eu un nou­v­el occu­pant pen­dant une semaine, et le poste de chef nation­al de la police reste à pourvoir.

D’un côté, Robert Fico et le Smer jouent la carte de la sou­veraineté nationale et du légal­isme démoc­ra­tique, ayant écarté les per­son­nes sus­pec­tées de cor­rup­tion. De l’autre, les réseaux Soros, béné­fi­ciant de relais médi­a­tiques nationaux et inter­na­tionaux mas­sifs (dont le groupe Ringi­er-Axel Springer) prof­i­tent de l’oc­ca­sion pour gag­n­er du ter­rain et essay­er de ren­vers­er les forces sou­verain­istes du pays.

La démis­sion de Robert Fico et de son gou­verne­ment, le retrait de la vie poli­tique des per­son­nes soupçon­nées de cor­rup­tion, la démis­sion du chef de la police, la mise en place d’une équipe d’en­quête inter­na­tionale… rien de tout cela ne suf­fit à la “société civile” orchestrée par ces réseaux, qui utilisent chaque avancée pour aller plus loin dans leurs exi­gences. Le Par­lement européen a demandé en avril la mise en place d’une “enquête indépen­dante”, déclarant qu’il serait préférable que l’a­gence de police européenne Europol se joigne à l’enquête.

Liberté de la presse en Slovaquie et en France

Fin avril, alors que Reporters Sans Fron­tières RSF pub­li­ait son annuel « Indi­ca­teur de la lib­erté de la presse », la presse slo­vaque anti-gou­verne­men­tale par­lait non seule­ment d’un impor­tant recul de la lib­erté de la presse, mais aus­si de dan­ger pour la démoc­ra­tie ou d’at­teinte à l’E­tat de droit. Selon RSF, la Slo­vaquie est passée de la 10e à la 27e place pour la lib­erté de la presse à l’échelle mon­di­ale. À titre infor­matif, la France est 33e en 2018 ! RSF dénonce égale­ment la « remise en cause de l’indépen­dance de la chaîne » RTVS, la télévi­sion publique slo­vaque, par Jaroslav Rezník, nom­mé directeur de la chaîne au mois d’août par le Par­lement slovaque.

Tout sem­ble con­verg­er vers un seul but, la mise en place d’un gou­verne­ment tech­nocra­tique aligné sur Brux­elles, la mise entre par­en­thès­es de la sou­veraineté nationale et la mise en place d’une « société ouverte » mod­èle Open Soci­ety de George Soros.

Crédit pho­to : DR